DIALLOBEDUCATION

DIALLOBEDUCATION

Touba: Une contribution de Jean Français BIAGUI

TOUBA : Une contribution du Secrétaire Général du MFDC

 

Aurais-je jamais tort de penser que l’on ne saurait, sous aucun prétexte, aller à Touba pour s’y essuyer les babouches ?

En tout cas, si le dernier chassé-croisé d’hommes politiques et autres membres de la société civile, dans la ville sainte, laisse pantois plus d’un, il n’en a pas moins le mérite de livrer quelque enseignement. Nous constatons, en effet, et malheureusement, que le débat qu’il suscite, quoique légitime, vole très bas, pour apparaître, alors, comme le symbole d’une société en panne ou, plus exactement, en perte de valeurs et qui semble ne plus disposer des leviers nécessaires pour repartir. Mais pour repartir où ? A Touba, et seulement à Touba ?...

Le premier enseignement, que nous puissions jamais tirer de cela, du moins selon moi, pourrait résider dans notre incapacité apparente, peut-être même dans notre démission individuelle et collective avérée, à nous familiariser d’avec nos valeurs, lesquelles, dans leur épanouissement ou leur promotion, et face à l’invective, à l’injure ou à toutes autres formes de faiblesses, savent, en principe, faire la part belle à l’usage de proverbes ou de paraboles. C’est que ces derniers, depuis un temps immémorial, ont cette particularité heureuse de receler, tout à la fois, un objet et une finalité éminemment universels ; de telle sorte que, quand on en use, on s’adresse, nécessairement et indistinctement, et à autrui et à soi-même. A ce titre, le proverbe ou la parabole ont une fonction cathartique ou purgative susceptible, au mieux, d’élever celui qui en use à quelque niveau optimal au-dessus de la mêlée ou, au pire, de l’orienter vers l’usage de la langue de bois, en tant que celle-ci est, par essence et du point de vue de sa finalité, un sas de sécurité ou de salubrité ou encore d’humilité, qu’il convienne, alors, et pour cette même raison, d’user sans modération. Toute autre approche pourrait inciter, certainement, à initier ou à s’immiscer dans des débats ou des discussions de bas-vol, voire de très-bas-vol, fussent-ils, éventuellement, le fait d’esprits de haut-vol, ou considérés comme tels, ainsi que nous avons pu le constater récemment, et pour le déplorer, dans la ville sainte de Touba.

Le second enseignement possible, qui, du reste, n’en est pas un fondamentalement, nous interpelle et nous interroge : qu’est-ce qui peut bien pousser des talibés (fidèles) à éprouver le besoin d’aller en pèlerinage à Touba d’une manière bruyante (ce qui est une chose !) et – fait extraordinaire, qui n’en est pas moins une autre chose ! – d’effectuer un tel pèlerinage, effectivement donc, dans le bruit ? J’admets, volontiers, ne disposer d’aucune réponse rationnelle à cette interrogation. Je reste cependant convaincu que, avec ce phénomène, la ville sainte a du pain – fût-il béni ! – sur la planche. Qu’à cela, donc, ne tienne ! Mais, sait-on seulement que, plus on s’élève dans la société, plus étroite est ou, plutôt, devrait être la porte par laquelle, à Touba, l’on pourrait accéder au khalife général ? Et inversement ?...

En tout état de cause, il me plairait, m’appuyant notamment sur le peu qui reste de mon éducation religieuse, de rappeler que « faute de politique un peuple tombe ; (et que) le salut est dans le nombre des conseillers » (Pr 11,14, in Ancien Testament). Etant entendu que ‘‘politique’’, ici, s’entend dans son acception la plus large, la plus inclusive et la plus noble. Or, donc, tous ceux, qui ont convergé à Touba ces dernières semaines, ou qui s’y trouvaient déjà, n’y ont fait que de la politique, fût-ce à leur corps défendant, sans, toutefois, hélas, y être conseillés politiquement à cet effet, (probablement) faute d’authentiques conseillers politiques intra et extra muros à disposition. A moins que : soit leur nombre n’était guère assez important pour suppléer, conséquemment, et de manière efficiente, à la faiblesse relative de leur qualité cumulée ; soit, au contraire, toutes les conditions y relatives étaient réunies, alors que les uns et les autres, et tous ensemble, s’y trouveraient réduits à ne plus savoir se laisser conseiller.

Le troisième enseignement possible, quant à lui, m’est renvoyé, soudainement et brutalement, en pleine figure, notamment comme une inquiétude et une menace. En effet, au vu de tout cela, comme Citoyen et Apprenti-Républicain, je suis inquiet, très inquiet. Je suis si inquiet que le principe de la laïcité, qui est l’un des piliers fondateurs de la République, au Sénégal, est, ici – banalement, le plus simplement même du monde – battu en brèche, non seulement par la personne de Me Abdoulaye WADE et son régime, mais également par l’opposition et des pans entiers de la société civile. Mais je suis d’autant plus inquiet que, dans le déroulement de leur feuille de route, ces derniers passent pour n’être guère davantage ingénieux que de coller littéralement leur agenda (politique) à celui du chef de l’Etat. Pis, ou mieux, c’est selon : que Me WADE les précède à Touba, pour telle ou telle raison, et voilà que, tout à coup, tout s’écroule ou se délite. On en oublierait même que, pour Me Abdoulaye WADE, son séjour à Touba doive être interprété comme un séjour dans tous les coins et recoins du pays, et simultanément. Ce qui voudrait, donc, dire que l’étape suivante pourrait être celle de l’extérieur, notamment auprès de la diaspora et de la communauté internationale, tandis qu’il ne nous resterait plus, en ce qui nous concerne, qu’à souhaiter bon vent à l’opposition et à la société civile, dans cette course effrénée à la séduction, dont, à l’évidence, seul Me Abdoulaye WADE dispose du pouvoir d’initiative et d’opportunité.

Je suis inquiet, très inquiet, comme Citoyen et Apprenti-Républicain, disais-je. Mais je me sens, tout autant, menacé comme Croyant et comme le Chrétien catholique que je prétends être. Car, si j’existe comme tel, au Sénégal, c’est grâce à la République laïque du Sénégal, en vertu précisément du principe de la laïcité, qui participe, à ce titre, et à bon droit, de l’existence même de ladite République. A la base, souvenons-nous-en, il y a une vision, à la fois haute (et même très-haute !) et symbolique (voire très-symbolique !), la vision fondatrice de la République, au Sénégal ; mais une vision transcendante qui repose sur l’idée élémentaire mais non moins fondamentale qu’il n’y a de République sénégalaise que laïque. Autrement dit, seule la République, au Sénégal, qui sait véritablement se conjuguer au pluriel, ou avec le pluriel, est laïque – (plusieurs fois laïque, mais guère jamais une seule fois ! car la laïcité monolithique est historiquement étrangère à la Nation sénégalaise !) Oui ! La République, au Sénégal, est laïque ou réputée telle, ou elle n’est pas. Aussi, souvenons-nous-en encore : la République, au Sénégal, ne serait-elle que réputée laïque, qu’elle resterait inachevée, pour, alors, sous peine de disparaître à tout jamais, devoir être pleinement accomplie un Jour prochain, nécessairement donc, avec nous, grâce à nous, et pour nous ; sans exclusive aucune ; au nom de la laïcité plurielle ou de la pluralité laïque, et seulement au nom de la laïcité plurielle ou de la pluralité laïque.

Pour le quatrième et dernier enseignement possible – mais la liste n’est pas et ne saurait être exhaustive ! – je le veux, malgré tout, à la fois temporel et spirituel, sinon contemplatif, pour ainsi le dédier à nos frères et sœurs mourides. Aussi, se veut-il, en l’occurrence, l’espérance dans le renouveau de la laïcité, au Sénégal ; mais un renouveau de la laïcité qui puisse partir de Touba, opportunément inauguré comme tel par un signal fort, mais simple, de la part de qui de droit, et qui puisse s’élever, pour être entendu ou compris comme la voix on ne peut plus autorisée, qui puisse donc rappeler, à cet égard, avec gravité – à l’intention de tous et de chacun, et pour devoir s’opérer en eux comme d’une manière chirurgicale, le scalpel de la morale ou de l’éthique aidant – qu’on ne va pas à Touba pour s’y essuyer les babouches.

 

Jean François BIAGUI Secrétaire Général du MFDC



25/08/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 47 autres membres