Je ne suis pas Charlie, ni Dieudonné, je suis triste pour la République en deuil !!!
Je ne suis pas Charlie, ni Dieudonné, je suis triste pour la République en deuil !!!
Une sensation circule depuis l’attentat perpétré contre la rédaction de Charlie Hebdo et les assassinats de la porte de Vincennes. Une sensation subite d’amour viscéral vis-à-vis de l’hebdomadaire qui était plus que moribond face aux déficiences des français à l’égard du journal accusé de provocation et qui peinait à écouler pas plus de 40 mille exemplaires par semaine.
Certains vont même jusqu’à comparer ces attentats à celui du 11 septembre aux USA. Si on laisse de côté la question du volume de victimes qui est dépassé de loin par celui du 11 septembre, le parallélisme entre les deux événements saute en effet aux yeux. Dans les deux cas, les attentats ont été perpétrés par des personnes se réclamant de l’Islamisme radical. Ils ciblent par ailleurs des personnes civiles, des représentants de l’ordre, des juifs et des symboles de la modernité occidentale. De plus, ils mettent en œuvre une stratégie de terrorisme au sens où il s’agit de provoquer une émotion de peur dans le pays touché face au meurtre de victimes innocentes.
La France, consciente du risque encouru, a posé un acte fort en se mobilisant d’une façon exemplaire ce dimanche 11/01/2015 montrant à la face du monde et aux terroristes de tous bords qu’elle n’avait pas peur. Mais au-delà de l’émotion, la France doit se remettre en cause et se posait les bonnes questions pour les réponses adéquates. Senghor ne disait-il pas que « l’émotion est nègre et la raison hellène ». La France semble aujourd’hui prendre les choses par devers tout.
A ce propos, deux interprétations semblent structurer le débat public. La première, outrancièrement raciste, affirme que l’Islam a déclaré la guerre à l’Occident et que ce dernier est en droit de se défendre. Des intellectuels comme E. Zemmour, M. Houellebecq et d’autres islamophobes vont certainement s’engouffrer dans la brèche dans les prochains jours. Certainement ils donneront de fausses réponses aux questions que se posent les français. Le corollaire de cette vision du monde est la peur ou la haine de l’Islam, peur et haine que les personnes susmentionnées ne récusent point.
La seconde interprétation invite au contraire à ne pas faire d’amalgame entre l’Islam et le terrorisme et à ne faire la guerre qu’à ce dernier. Cette deuxième approche, dominante dans les discours officiels et les éditoriaux de la presse, est plus nuancée que la première dans la mesure où elle dénonce la grossièreté de l’opération consistant à assimiler plus d’un milliard et demi d’individus aux actes d’une poignée. Elle se présente par ailleurs comme « humaniste » au sens où elle condamne les idéologies haineuses et invite à se recueillir, pacifiquement, en solidarité avec les victimes innocentes des attentats.
Geste parfaitement noble et qui pousse beaucoup à dire : « Je suis Charlie » : mais au-delà de l’émotion causée par des barbares dont rien ne justifie leur acte ignoble, il est temps de se remettre en cause et se demander jusqu’où on peut aller dans la provocation. Dans quelle nation digne de ce nom doit-on au nom de la liberté se moquer de la religion des autres, des croyances des autres. Ainsi je condamne les lâches de tous bords qui se cachent derrière ce vague mot de liberté pour fouler du pied les fondamentaux de la société. La république de France est une et indivisible et a pour devise : « liberté, égalité et fraternité ».
Liberté de penser, d’écrire et de proposer mais pas liberté de provoquer ! La liberté ne s’arrête-elle pas là où commence celle de l’autre ? Egalité si tous les citoyens sont égaux devant la loi et les traitements de toutes sortes. Doit-on condamner Dieudonné et laisser libre cours à Charlie Hebdo dans la provocation? Peut-on être frère ou sœur si l’un est privilégié par rapport à l’autre ? La nation peut-elle être unie si certains se sentent humiliés, déshonorés, déconsidérés ou de seconde zone ? Le ministre de l’intérieur et des cultes a bien le rôle de protection de tous les cultes. Quid alors des 50 mosquées violées depuis quelques jours alors que plus de 5000 soldats sont chargés de protéger les écoles et les lieux de culte juifs.
La France est un carrefour par sa position géographique en Europe ; elle est le terreau de toutes les rencontres, de toutes les religions et tous les brassages sociologiques et ne peut pour cela se recroqueviller sur elle-même. La France, fille de l’église, s’est beaucoup transformée. Pensez que la France peut se passer de ses musulmans est une utopie et toute mesure à l’encontre ne fera que des désastres.
Il est dès lors opportun pour l’Etat de prendre ses responsabilités pour saisir le mal à la racine. Que ça soit dans l’éducation, dans la formation et l’instruction, le travail de fond doit être enclenché. N’est-ce pas dangereux de vivre dans une société où les jeunes de 16 ans sont tués pour un regard de travers où on use de la provocation pour écouler du papier ou pour remplir les salles de spectacles. Que fait ’on de ces jeunes sortis du système scolaire et qui se retrouvent sans avenir. Désœuvrés, leur seule repère et leur espérance restent le discours de fanatiques religieux sans foi ni loi. Aujourd’hui, 90 pour cent des jeunes qui sont en Syrie, qui sont des djihadistes ou terroristes sont des victimes du système d’exclusion et de rejet de la société. La prison qui devait servir pour ramener vers de bonnes résolutions n’est’ elle pas devenue un lieu de création de caïds et de radicalisation ?
Ainsi, c’est au nom de ces idéaux que nous partageons autour du libéralisme, des valeurs de la démocratie et de la république permettez-moi d'avoir une autre opinion : je ne suis pas Dieudonné ni Charlie Hebdo, je suis triste pour la République en deuil !!! Je suis triste pour cette république en deuil, qui voit ses fils innocents mourir sous les balles d’intégristes, cette république en deuil qui ne réussit plus à éduquer ses enfants et qui assimile éducation et chantage aux allocations familiales.
Je rejette ceux qui ne prennent pas en compte le droit des musulmans de réclamer plus de respect pour leurs croyances, les valeurs culturelles auxquelles ils croient et surtout pour leur Prophète Mohamed, parce que cet idéal a une conception de la liberté d'expression que les enseignements tirés de mon éducation et de ma religion n´approuvent pas.
Avec la même force je réprouve ceux qui s’attaquent à toutes les religions y compris la religion juive et les juifs qui la représentent. Ne pas exprimer publiquement notre désaccord sur cette question, serait perçu comme une entorse à mon sens de la loyauté et de la probité morale ; mais surtout de l'idée que je me fais de l'équité et de la justice des hommes.
Il est temps de sortir de l’hypocrisie ambiante, de se dire la vérité en face et ne pas se cacher derrière le voile de la démocratie. Nul ne peut vivre dans une nation sans se dire la vérité, sans s’inculquer le culte des vertus de la république et de la discipline. Ainsi je ne veux pas me retrouver dans un moule, je veux exister car je pense.
Bien que différentes en première analyse, ces deux interprétations évoquées précédemment, présentent au moins un point commun : leur dimension très émotionnelle. En effet, elles ne se fondent pas seulement sur des raisonnements articulés et réfléchis mais également sur une constellation différente de sentiments et d’affects. D’un côté, les islamophobes grossiers sont animés par des émotions négatives : peur et haine de l’autre, instincts revanchards, etc. D’un autre côté, les « humanistes » semblent traversés, d’abord et avant tout, par des émotions positives : compassion et sympathie avec les victimes, attachement affectif à des « grandeurs » positives : la liberté de la presse, la démocratie libérale, la république, etc… La dimension émotionnelle de ces deux cadres d’interprétation se donne à voir dans l’espace public quand un groupe de personnes brûle passionnellement un Coran et quand d’autres convergent les yeux rougis vers les places de la république pour un moment de recueillement. Ces deux types de scènes ont marqué l’imaginaire américain après le 11 septembre. Internet et les médias français nous passent en boucle leur équivalent français depuis le drame du 7 janvier 2015.
Le caractère public et collectif de ces réactions émotionnelles nous rappelle que les émotions sont tout, sauf des réactions spontanées. En effet, ces sentiments qui nous semblent si personnels, si intimes, si « psychologiques » sont en réalité médiatisés par des cadres interprétatifs qui les génèrent, les régulent et leur donnent un sens. Derrière les émotions se cachent des discours, des perspectives et des partis pris moraux et politiques dont il importe de comprendre la nature pour
bien mesurer leurs effets. Or quelle leçon pouvons-nous tirer de cette observation très générale sur le caractère socialement construit des émotions et de ce qu’on pourrait appeler le « précédent américain » ?
La philosophe J. Butler s’est intéressée aux réactions émotionnelles aux attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. Elle a relevé que ces réactions se sont articulées selon les deux dimensions évoquées plus haut : la dimension négative génératrice de haine, de peur et de désir de revanche et la dimension positive invitant à la compassion et à l’indignation morale face à l’horreur. J. Butler s’est principalement intéressée à la seconde car elle n’a pas, en apparence, le caractère belligène et grossier de la première. Ses conclusions intéresseront peut-être celles et ceux qui s’inscrivent dans le cadre humaniste, affirment « être Charlie » et veulent réfléchir au sens de leurs gestes politiques.
La première observation de J. Butler porte sur le caractère extraordinairement sélectif de ces sentiments de compassion. Elle relève que le discours humaniste a organisé la commémoration des 2 992 victimes des attentats du 11 Septembre sans trouver de mots ni d’affect pour les victimes, incomparablement plus nombreuses, de la guerre américaine contre le terrorisme. Sans nier avoir elle-même participé « spontanément » à ces scènes de commémoration, J. Butler pose la question suivante : « Comment se fait-il qu'on ne nous donne pas les noms des morts de cette guerre, y compris ceux que les USA ont tués, ceux dont on n'aura jamais une image, un nom, une histoire, jamais le moindre fragment de témoignage sur leur vie, quelque chose à voir, à toucher, à savoir? ».
Cette question rhétorique lui permet de pointer du doigt le fait que des mécanismes de pouvoir puissants se camouflent derrière ces scènes apparemment anodines et littéralement sympathiques de compassion avec les victimes de la violence terroriste. Ces mécanismes de pouvoir se donnent à voir dans ce qu’on pourrait appeler le paradoxe du discours moderne et humaniste. Alors que ce discours accorde a priori une valeur égale à toutes les vies, il organise en réalité la hiérarchisation des souffrances et l’indifférence de fait ou l’indignation purement passagère par rapport à certaines morts.
Le corolaire pratique de cette observation est que ces cérémonies de commémoration ne sont pas triviales. Derrière leur paravent de neutralité positive, elles sont des actes symboliques performatifs. Ces cérémonies nous enseignent quelles vies il convient de pleurer mais aussi et surtout quelles vies demeureront exclues de cette économie moderne et humaniste de la compassion.
Appliquée à l’actualité française, l’étude de J. Butler apporte un éclairage sur la réaction officielle et dominante - c’est-à-dire « humaniste » et « compatissante » - au drame de la rédaction de Charlie Hebdo. Cette analyse invite à se décentrer et à s’interroger sur les effets de ces discours et gestes de compassion. Or il n’est pas certain que les effets mis en avant par les partisans de ce discours soient les plus importants. On nous explique que ces discours de sympathie et ces gestes de compassion peuvent aider les familles de ce drame à accomplir leur deuil. Mais ces familles et les lecteurs de Charlie Hebdo qui ont noué des liens d’attachement à ces victimes ne préféreront-ils pas faire ce travail dans l’intimité ? On nous dit ensuite que ces discours et ces gestes sont une manière de réitérer le principe de la liberté d’expression.
Mais qui pense réellement que ce droit fondamental soit aujourd’hui menacé en France, notamment quand celui-ci consiste à caricaturer la population musulmane, laquelle est - et restera vraisemblablement dans les moments à venir - fréquemment moquée, caricaturée et stigmatisée ? Cette religion n’est-elle pas le deuxième de France ?
Le travail de J. Butler nous enseigne que ces discours et ces gestes produisent plus certainement des effets belligènes. En effet, on aurait tort de penser que les guerres et la violence ne prennent racine que dans les émotions négatives. Contrairement à une idée fort répandue, la haine du boche et du « Franzmann » n’a pas été le premier moteur de la Première guerre mondiale. Cette guerre a d’abord pris racine dans les sentiments les plus positifs qui soient : la compassion pour les victimes nationales des guerres passées, l’attachement à la communauté nationale ou encore l’amour de grandeurs aussi universalistes que la « civilisation » en France et la « Kultur » en Allemagne.
On a le droit de penser que la guerre contre le terrorisme islamiste est une guerre légitime. Mais il importe d’être conscient d’une réalité statistique. En trente ans, le terrorisme islamiste a fait environ 3500 victimes occidentales, soit, en moyenne, un peu moins de 120 chaque année. Statistique macabre, mais comparée aux victimes des guerres menées en Afrique et au Moyen-Orient, paraît insignifiante.
Cette économie sélective de la compassion produit un deuxième type d’effet en ce qui concerne la perception de la violence d’État occidental. Les discours communautaristes ou racistes ont ceci de particulier qu’ils mettent bruyamment en scène la violence qu’ils déploient. À l’inverse, le discours moderne et humaniste est aveugle par rapport à sa propre violence. Qui a une idée, même approximative, du nombre de morts générés par la guerre américaine en Afghanistan en 2001, par celle des États-Unis et du Royaume-Uni en Irak en 2003 ou encore par l’intervention de la France au Mali en 2013 ? L’une ou l’autre de ces guerres était peut-être légitime. Mais le fait que personne ne soit capable de donner une estimation du nombre de morts qu’elles ont généré doit nous interroger. Dans ces moments où nous sommes submergés par les émotions, il peut être intéressant de penser à tous ces précédents et à ces morts, à venir, que nous n’allons pas pleurer.
Les principes fondamentaux de la République française sont énoncés dans sa devise : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ils se traduisent par des droits intangibles, à la fois politiques et sociaux, qui ont été reconnus aux citoyens par les différents régimes républicains. L’article 1er de la Constitution s’inscrit dans ce cadre puisqu’il proclame que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
« Une République indivisible » : aucune partie du peuple, ni aucun individu, ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale. Seul le peuple exerce cette souveraineté par la voie de ses représentants ou du référendum. L’unité et l’indivisibilité garantissent une application uniforme du droit sur l’ensemble du territoire national.
Le caractère laïque de la République découle à la fois du principe de la liberté de croyance et du principe d’égalité des citoyens devant la loi et implique la séparation des Églises et de l’État. Aucune religion n’a ainsi de statut privilégié au sein de la République et chaque individu dispose de la liberté de ses opinions et de sa foi.
Le caractère démocratique de la République implique le respect des libertés fondamentales et la désignation des différents pouvoirs au suffrage universel, égal et secret.
Enfin, le caractère social de la République résulte de l’affirmation du principe d’égalité. Il s’agit de contribuer à la cohésion sociale et de favoriser l’amélioration de la condition des plus démunis. A ce stade fallait-il rappeler ces éléments ?
Pour poursuivre à l'appui de l'excellent billet de Mathias Delori et de plusieurs des commentaires qu'il a suscités, je tiens à le dire ici, je ne suis pas Charlie à cause des provocations intermittentes de tous et particulièrement de l’islam et de Dieudonné par sa haine des juifs.
Je ne suis pas Charlie parce que Cabu et Wolinski, j'en suis convaincu, n'auraient pas été Charlie. S'ils avaient échappé de cette tuerie je prends le pari qu'ils y auraient répondu par des caricatures cinglantes sur le mode « Bal tragique chez Charlie : douze morts », plutôt que par la dramatisation grandiloquente qui s'étale à la une des journaux, Mediapart compris. Ah ! Les pauvres n’étaient-ils au bord de la faillite, abandonnés par leurs compatriotes marre de leur provocation. Cet attentat les a certainement mis debout dans tous les côtés. Les intégristes les ont certainement sortis de l’eau, ou d’un abîme certain.
Rien de plus étranger à leur esprit que de trimbaler des gueules tragiques montées sur les grands chevaux de la République en danger, de l'heure est grave et tutti quanti. Un deuil national pour Cabu et Wolinski, non mais quelle blague. Cela les aurait fait hurler de rire ! Curieuse façon de leur rendre hommage, à l'opposé de l'exemple qu'ils ont montré toute leur vie.
Je ne suis pas Charlie parce que la douleur de leurs proches n'est pas la mienne. Je les estimais, ils m'ont fait rire et réfléchir depuis que j’ai eu un numéro à la bibliothèque Beaubourg, mais leur disparition ne m'enlève pas un parent ou un ami. Faire comme si, dans la tradition d'excitation factice des medias qui veulent faire croire que nous vivons un événement sous prétexte que nous le suivons, me semble peu respectueux de la vraie douleur des véritables proches. A laquelle il existe des moyens de s'associer discrètement, chacun de sa façon et à sa place.
Je ne suis pas Charlie parce que l'émotion d'union nationale qui ces derniers jours dégouline de tous les azimuts repose sur une vision de l'événement que je ne partage pas. Non, la liberté de la presse et la République ne sont ni plus ni moins en danger cette semaine que la semaine dernière. Non, ce qui les menace le plus n'est pas là : c'est le rachat des titres par des financiers, qui dans la France d'aujourd'hui fait taire et censure beaucoup plus de journalistes que les rafales de kalachnikov. Non, cette tuerie n'est pas le fait de terroristes internationaux aguerris envoyés en mission depuis l'étranger pour faire la guerre à la France, aux occidentaux et aux mécréants de tous bords. Elle est le fait de beaufs violents aux idées courtes bel et bien made in France, pas fichus de s'enfuir sans perdre leur carte d'identité dans la voiture, bourrés d’amateurisme et qui, selon l'instructif entretien donné par leur avocat, étaient, au moins l'un d'entre eux, en 2008, « soulagé d'être arrêté parce qu'il avait peur d'être tué en Irak »...
Alors oui, la tuerie chez Charlie pose des questions. Mais pas celles soi-disant « très lourdes », « vallso-sarkozyennes », relayées à la Une par Mediapart, qui prennent pour argent comptant la vision du monde héritée de l'Amérique de Georges Bush, qui divise le pays entre les méchants terroristes actionnés de l'étranger et les bons français leurs victimes, et qui ne propose en guise de « solution »qu'une vis sans fin de répression dans un Etat toujours plus policier où les libertés publiques sont toujours plus réduites.
Car des gros bras au cerveau comme de la sauce blanche qui croient trouver dans l'assassinat politique la solution à tous leurs problèmes il y en a eu avant les frères Kouachi. Aujourd'hui ceux-ci tuent des journalistes au nom de l'idée qu'ils se font de l'Islam. D'autres avant eux ont tué des dirigeants industriels au nom de l'idée qu'ils se faisaient de la Révolution, d'autres avant eux assassinaient des militants anticolonialistes au nom de l'idée qu'ils se faisaient de la France. Mais l'islamisme des Merah ou des Kouachi n'a guère plus à voir, hypothétiques stages de courte durée mis à part, avec le terrorisme proche-oriental qu'autrefois le maoïsme des groupuscules « Spontex » avec la Chine. Leurs parcours sont des parcours bien français.
Questions bien de chez nous donc. Les douze ont été tués par des armes lourdes, et par des individus nés et ont grandi en France dont la violence est devenue la seule forme d'expression. La république n’a-t-elle pas failli dans l’éducation de ses enfants ?
Comment se fait-il que des armes aussi meurtrières soient de plus en plus facilement disponibles pour le premier petit bandit venu ? Comment se fait-il qu'un nombre croissant de jeunes adultes en arrivent à un tel point de désespoir et d'impuissance qu'ils ne puissent imaginer d'autre issue que de tirer dans le tas et tuer des innocents dont le seul tort et de se lever le matin et d’aller travailler ? Sauf si travailler est un délit en ce moment de gros chômage !!!
A ces deux questions les gouvernants n'apportent pas de réponse. Plutôt que de lutter concrètement contre la dissémination des armes de guerre, plutôt que de reconnaître la responsabilité des politiques d'accroissement des inégalités menées depuis une génération dans la dérive de jeunes adultes qui ramassent l'espoir où ils pensent encore en trouver, et de changer de cap, ils promettent de renforcer une « lutte contre le terrorisme » dont on ne sait qui elle vise ni ce qu'elle recouvre, sinon à coup sûr de nouvelles lois réprimant les libertés de tous. Et ce au moment où des élus n’hésitent pas à collaborer avec ces petits caïds pour acheter la paix dans leurs communes ou dans les quartiers.
À ces questions, le « je-suis-Charlisme » n'en apporte pas plus. Faisant spectacle d'une indignation soi-disant nationale, en trompe-l’œil qui légitime l'Union Nationale brandie par les politiciens pour retourner à leur profit une situation dont ils sont les premiers responsables, le « je-suis-Charlisme » accentue à l'insu de son plein gré la fracture entre ceux qui se rassemblent, à l'œil nu pour plus de 80% des blancs de classe moyenne, et les autres, entre « nous » et « eux ». Rassemblements qui, comme aux Etats-Unis les veillées aux chandelles éplorées qui suivent rituellement les « school shootings » avant que les ventes d'armes ne reprennent de plus belle, font mousser l'émotion au détriment de l'analyse politique. Le « je-suis-Charlisme » est une façade de bons sentiments, un unanimisme des battements de cœur qui, à cent lieues de la causticité d'esprit de ceux qu'il est censé honorer, pave de ses bonnes intentions la récupération politicienne des assassinats et, à la faveur d'une soi-disant guerre contre un ennemi fantomatique, la poursuite des politiques destructrices qui ont, en dernière analyse, produit la tuerie. Non, vraiment je ne suis pas Charlie, je prie pour la république et ses responsables qui ont lamentablement échoué.
Alors parlons de liberté, pour dire qu’elle, dans toutes ses dimensions, ne peut s’exercer sans aucunes restrictions. Celles-ci sont définies par la loi, mais s’imposent également à l’homme par le devoir d’éthique et de morale, par le devoir de tolérance et de respect mutuel. Dans cette logique, l’exercice du droit à la liberté d’expression est limité par les contraintes, que le sens de la responsabilité impose.
La publication de caricatures du Prophète dans la presse enfreigne les règles les plus élémentaires de ce devoir de tolérance et de respect mutuel. Il s’agit donc d’un acte hautement condamnable d’un point de vue éthique et moral, même si les lois en vigueur dans certains pays européens ne permettraient pas une action en justice.
En publiant ces caricatures blasphématoires, en appelant à la haine du juif les auteurs ont délibérément porté atteinte aux valeurs les plus profondes de l’ensemble de la communauté musulmane, qui représente plus d’un milliard et demi d’hommes et de femmes à travers le monde. Ils n’ont pas voulu exercer leur droit à la liberté d’expression, que tout démocrate se doit de défendre. Bien au contraire ! Ils ont cherché à provoquer, par la violence imagée, l’ensemble d’une communauté d’hommes et de femmes, dont le seul tort, à leurs yeux, est d’être de religion musulmane et de demander de pouvoir vivre leur foi dans la paix et le respect. En s’attaquant au Prophète, et non pas à un quelconque contemporain, qui, se réclamant de l’Islam commet des actes condamnables et condamnés par la très grande majorité des musulmans, ils ont eu pour seul but de blesser au plus profond de leur cœur et de leur dignité le monde musulman, dans l’espoir d’attiser les haines plutôt que de promouvoir le dialogue pour aboutir à la paix pour tous.
Alors, condamnons, sans équivoques ce blasphème qui, contrairement à ce que dit le premier ministre français, est reconnu dans le droit local français et qui nous touche au plus profond de notre être. Demandons, avec fermeté, plus de responsabilité aux journalistes. Que l'Europe fasse preuve davantage de courage dans la défense de notre droit au respect face à la sacro-sainte liberté d’expression, qui, dans le cas d’espèce, a été dévoyée pour essayer de justifier des actes blasphématoires. Il faut réaffirmer avec force que le corps social étant de par sa nature étranger à la religion, un gouvernement ne peut adopter aucun culte et n’en peut rejeter aucun, à moins que ce culte ne trouble l’ordre public, c’est-à-dire qu’il nuise aux droits de l’Homme, droits dont l’assurance et la conservation constituent l’ordre public. Il en résulte qu’il est du devoir des gouvernements de veiller au respect des cultes. Cette protection voulue, et qui en principe devrait être prévue par l’ordonnancement juridique dans tout pays laïc et démocratique, oblige tout un chacun à faire preuve de tolérance et de respect mutuel.
Alors, évitons le piège de l’intolérance et de la violence. Car il y va de l’apaisement que nous souhaitons tous, puisqu’il y va de notre avenir commun. Ainsi, garre aux provocateurs pour que vive la république.
Amadou DIALLO
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