Plaidoyer pour des Institutions Fortes en Afrique.
Plaidoyer pour des Institutions Fortes en Afrique.
Cela fait maintenant plus de cinquante ans, au lieu de 20 comme disait le président sénégalais, que la majorité des pays africains sont devenus « indépendants ». Et, riches de leurs ressources naturelles ainsi que de leurs potentialités, ces pays, dans moins de cent ans verront toutes ces ressources réduites à néant devant l’exploitation anarchique de ces dernières par ceux-là même qui les avaient colonisés. Chemin faisant, il faudra que le continent africain continue d’exister. Pour cela il nous faut prendre notre destin en main et comme disait l’autre en élaborant des institutions fortes pour réduire à néant toute velléité d’instabilité économique comme politique.
Notons bien que le processus de démocratisation, qui a commencé il y a vingt ans en Afrique, s’essouffle. Dans de nombreux pays, l’Etat de droit est mis à mal, les constitutions manipulées, l’opposition marginalisée, le clientélisme et la corruption sont érigés en instruments de gouvernance. Certains experts et membres de la société civile appellent à une refondation de la démocratie dans le continent de Senghor et de Mandela. Ces deux-là, malgré tout, ont érigé des démocraties dans ce continent qui peuvent être considérées comme une fierté en sus d’un exemple.
Lorsque Senghor quitta volontairement la présidence du Sénégal après avoir exercé le pouvoir pendant près de vingt ans, il était qualifié de « déserteur » par ses pairs, notamment par le Tunisien Bourguiba et l’Ivoirien Houphouët Boigny qui, eux, avaient opté, pour la « présidence à vie ». Quant au second, il a été traité de « traître » en instaurant la nation arc-en-ciel en Afrique du Sud quand beaucoup de ses pairs instituaient des démocraties ethnicisées dans leur pays respectifs.
La tradition des « présidents monarques » qui s’incrustent au pouvoir, n’est certes pas spécifiquement africaine, avec les Islam Karimov, les Noursoultan Nazarbaïev ou encore les Bachar al-Assad prospèrent à travers le monde. Il n’en reste pas moins que sur les 19 chefs d’Etat qui ont accédé au pouvoir au siècle dernier et qui s’accrochent à leur place, les trois quarts sont africains de même que ceux qui sont restés plus de vingt ans au pouvoir et qui comptent s’y maintenir. Dès lors, on peut se demander si ceci est un mal uniquement africain ?
La pérennisation et la monopolisation du pouvoir sont devenues les traits caractéristiques de la pratique politique africaine. Les statistiques sur des dirigeants accros au pouvoir font écho aux débats qui secouent, en ce moment même, plusieurs pays d’Afrique, où les présidents dont les mandats arrivent prochainement à échéance cherchent arguments et moyens pour modifier la Charte fondamentale qui leur interdit d’effectuer plus de deux mandats. Après Ben Ali (Tunisie), Eyadema père (Togo), Paul Biya (Cameroun), Omar Bongo (Gabon), Mamadou Tandja (Niger), Idriss Deby (Tchad), Yoweri Museveni (Ouganda), Abdelaziz Bouteflika (Algérie) et Ismaïl Omar Guelleh (Djibouti) qui ont réussi à modifier leurs Constitutions pour se perpétuer au pouvoir, d’autres chefs d’Etat africains en fin de mandats présidentiels autorisés par la loi, sont gagnés par la tentation de prolonger leur mandature. Ainsi, Mr Abdoulaye Wade au Sénégal, avait voulu instituer le quitus présidentiel par simple vote du congrès en vue de se maintenir au pouvoir et mettre au point son programme de dévolution monarchique du pouvoir.
Au cours des trois années qui viennent, la question va se poser notamment pour Lucas Pohamba de Namibie (fin de mandat en novembre 2014), Pierre Nkurunziza de Burundi (fin de mandat en juin 2015), Jakatya Kikwete de Tanzanie (fin de mandat en octobre 2015), Blaise Compaoré du Burkina Faso (fin de mandat en novembre 2015), Thomas Boni Yayi du Bénin (fin de mandat en mars 2016), Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville (fin de mandat en juillet 2016), Joseph Kabila de la RDC Congo (fin de mandat en décembre 2016), Paul Kagame du Rwanda (fin de mandat en juillet 2017), Ellen Johnson Sirleaf du Liberia (fin de mandat en novembre 2017) et Ernest Koroma de Sierra Leone (fin de mandat en 2017).
Les états-majors de certains de ces dirigeants ont déjà commencé à préparer l’opinion dans leurs pays respectifs à coups d’arguments déjà entendus avant : « on a besoin de stabilité politique pour se développer », « pourquoi se priver de l’expérience et de la capacité de leadership d’un homme (ou d’une femme) qui a démontré son aptitude à gouverner », « la population elle-même le demande ».
Ils se proposent donc de changer la Constitution, rappelant que c’est un droit démocratique. La Constitution française de 1791 ne postulait-elle pas que « la nation a le droit imprescriptible de changer sa constitution ». Des arguments dont l’entourage du Camerounais Paul Biya s’est servi avec un certain succès pour faire supprimer en 2008 cette limitation du nombre de mandats dans la Loi fondamentale du Cameroun. Rappelons que le président camerounais est un des plus vieux chefs d’Etat au pouvoir en Afrique, qui a succédé à l’ancien président Ahidjo en 1982 et, depuis, a souvent remporté les scrutins électoraux avec des scores quasi-soviétiques ! Fort de son amendement constitutionnel, il a été réélu pour un nouveau septennat en 2011.
Le parlement algérien a lui aussi modifié la Constitution en 2008 pour permettre au président Bouteflika de briguer un troisième mandat l’année suivante, puis un quatrième mandat en 2014, et cela malgré les séquelles d’un AVC qui a réduit ses capacités de mobilité et d’élocution. Aujourd’hui, pour s’attirer les bonnes grâces de l’opposition, le gouvernement algérien propose de revenir à la limitation à deux le nombre de mandats présidentiels.
« Légale peut-être, mais ce genre de charcutage de la Constitution pour des raisons politiques ne rend pas service au pays », affirme le constitutionnaliste franco-sénégalais Alioune Badara Fall. Selon ce dernier, en voulant se maintenir au pouvoir à tout prix, les chefs d’Etat africains renouent avec l’ancienne pratique des « présidences à vie ». « Ils mettent à mal la notion de l’alternance qui est un des piliers fondamentaux et incontournables de la démocratie », poursuit Alioune Badara Fall, professeur agrégé de droit public à l’université Montesquieu Bordeaux IV, et directeur d’un centre d’études sur les droits africains dans la même institution. Il est aussi le rédacteur en chef de la revue électronique « Afrilex », où des études d’universitaires et de chercheurs consacrés à la pratique du droit sur le continent noir sont régulièrement publiées.
Fondamentalement, la Constitution traduit la vision qu’a une société d’elle-même et de son avenir. Elle définit les principes et les idéaux qui président à la configuration des pouvoirs et les conditions juridiques régissant son développement. A ce titre, les textes constitutionnels jouent un rôle primordial dans cette vaste entreprise de construction de la nation dans laquelle les nouveaux pays d’Afrique sont aujourd’hui engagés. La plupart des constitutionnalistes estiment que les changements faciles et intempestifs de la Constitution créent une instabilité institutionnelle, mettant à mal l’Etat de droit et la démocratie.
C’est ainsi que le professeur Fall attire l’attention sur la marche arrière du continent africain en matière de démocratie et de constitutionnalisme. En effet, les premières Constitutions africaines datent de l’époque des indépendances. Souvent inspirées des Lois fondamentales des anciens pays colonisateurs, elles ont été rapidement modifiées ou abandonnées dans la plupart des pays, dès la deuxième moitié des années 1960, pour permettre l’instauration du système du parti unique voire limité comme ce fut au Sénégal dans les années 80. Plusieurs Etats africains ont, alors, connu une période autocratique et sans Constitutions, celles-ci ayant été suspendues à la suite de coups d’Etat militaires.
Il faudra, ensuite, attendre la fin de la Guerre froide, en 1990, pour voir le continent noir renouer avec la démocratie et l’Etat de droit. Cette démocratisation s’est faite sous la pression conjuguée des pays occidentaux et des « conférences nationales » imposée par les mouvements d’opposition et les sociétés civiles locales. Les Etats ont adopté des Constitutions écrites qui consacrent l’encadrement juridique du pouvoir et son institutionnalisation. Le processus, qualifié de « troisième vague de démocratisation » par le politologue américain Samuel Huntington, toucha l’ensemble du continent, à l’exception d’un certain nombre de pays tels que le Sénégal, la Gambie, le Cap-Vert, l’île Maurice et Lesotho où la démocratisation avait déjà été enclenchée. C’est dans ce contexte que les pays africains ont décidé de limiter à deux le nombre de mandats soit cinq ou sept ans de leurs présidents. L’objectif était de garantir l’alternance, et surtout d’éviter le retour à la personnalisation du pouvoir, comme cela se passait pendant la période des dictatures.
Or, ces bonnes résolutions n’ont pas fait long feu, même si un certain nombre de pays ont respecté l’option de limitation du nombre de mandats présidentiels. L’exemple souvent cité est celui du Ghana où, à l’échéance de ses deux mandats présidentiels en 2008, le président John Kufuor a passé le relais à son successeur Atta-Mills, décédé en 2012 et remplacé par son vice-président Mahama. On pourra aussi citer le Sud-Africain Mandela qui est parti à la retraite dès le terme de son premier mandat en 1999 ou le Malien Alpha Oumar Konaré qui a quitté le pouvoir après ses deux mandats en 2000. Les imaginaires africains restent encore aujourd’hui marqués par la démission de Léopold Sédar Senghor qui cède le pouvoir à Abdou DIOUF et par le retrait très digne de ce dernier et qui a transmis le pouvoir à l’opposant Abdoulaye Wade qui venait de remporter l’élection présidentielle de 2000.
Malheureusement, ces présidents vertueux sont les exceptions qui confirment la règle. Dès la fin des années 1990, on a vu de nombreux dirigeants revenir sur leurs engagements et se lancer dans des révisions constitutionnelles laborieuses pour faire abroger la clause de la limitation des mandats présidentiels. Contrairement à une idée reçue, cette volte-face opportune ne concerne pas que les dirigeants francophones qui, héritiers de la vision française d’une « présidence impériale », seraient moins respectueux de la norme constitutionnelle. Dans les faits, parmi les 10 dirigeants africains au pouvoir depuis plus de deux décennies, il y a moins de francophones (Paul Biya du Cameroun et Blaise Compaoré du Burkina Faso, Idriss Déby Itno du Tchad) que de non-francophones : Teodoro Obiang Nguema de la Guinée-équatoriale, Yahya Jammeh de la Gambie, José Edouard Dos Santos d’Angola, Robert Mugabe du Zimbabwe, Yoweri Museveni d’Ouganda, Omar el-Béchir du Soudan et Issayas Afewerki de l’Erythrée.
Dès lors une question lancinante se pose : pourquoi les chefs d’Etat africains sont-ils si nombreux à s’accrocher au pouvoir ? C’est parce que, si l’on croit les intéressés, deux mandats sont trop courts pour terminer les différents projets qu’ils ont à peine commencé à mettre en œuvre. « Ce qu’on n’a pas pu faire en deux mandats, il est hypocrite de faire croire qu’un troisième et un quatrième mandat permettraient de terminer », affirme Badara Fall pour qui la véritable raison qui pousse les présidents à franchir la ligne rouge constitutionnelle, c’est outre la fascination qu’exerce le pouvoir, la peur du gendarme ou plutôt du juge.
Beaucoup de dirigeants africains craignent de se voir poursuivis pour corruption ou autres manquements graves à la loi le jour où ils ne seront plus couverts par l’immunité présidentielle. « Il faut dire que la démocratisation de la vie politique n’a rien changé aux politiques de prédation, de clientélisme et de corruption qui avaient cours avant les années 1990. Au contraire, elles touchent aujourd’hui l’ensemble de la vie sociale et politique », déclare Alioune Badara Fall, en citant la pratique exacerbée du clientélisme au Sénégal sous Abdoulaye Wade. Et d’ajouter : « Dans ces conditions, cela ne m’étonne guère que nos chefs d’Etat veuillent rester au pouvoir de peur d’avoir de maille à partir avec la justice, tant au niveau interne des Etats que sur le plan international, au regard de la pratique de la Cour Pénale Internationale qui semble leur accorder une place «privilégiée» dans les procédures d’incrimination et de poursuite qu’elle applique aux hommes politiques africains depuis sa création. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles cette Cour est aujourd’hui contestée par les Africains ».
Pour beaucoup d’observateurs de la vie politique africaine, ces résistances à une pratique plus normée de la démocratie démontrent une absence de maturité politique des dirigeants africains dont beaucoup ont accepté d’entrer dans le jeu démocratique contraints et forcés par des contingences domestiques ou internationales. Difficile pour eux d’imaginer les élections autrement que comme un outil de préservation de pouvoir. D’ailleurs, peu de chefs d’Etat ont perdu les référendums qu’ils ont organisés pour faire sauter le verrou constitutionnel au renouvellement de leurs mandats. Les deux exceptions à la règle sont Frederic Chiluba en Zambie et d’Olusegun Obasanjo au Nigéria qui virent leurs tentatives de modification de la Constitution bloquées par leurs parlements, en 2001 et 2006 respectivement.
On constate dès lors que le recours à la volonté populaire n’aboutit pas toujours à un accord avec la présidence pour un rallongement de la durée du mandat du président. Nous y reviendront.
En outre, « un nouveau discours de la Baule s’impose pour rappeler aux pays africains qu’il est important que tous s’engagent dans une véritable refondation de la démocratie », pouvait-on lire dans Le Monde, à la veille du Sommet de l’Elysée consacré à la paix et à la sécurité en Afrique. Et aussi à la veille d’un autre sommet qui s’est tenu aux Etats-Unis et qui avait réuni cette fois Américains et Africains ; le président Obama avait fait dire aux chefs d’Etats d’Afrique qui prennent à la légère leurs textes constitutionnels et les font amender pour les adapter à leurs ambitions : « ce dont l’Afrique a besoin, ce ne sont pas des hommes forts mais des institutions fortes ! »
« La refondation de la démocratie africaine passera par la société civile africaine », déclare pour sa part Alioune Badara Fall. « La société civile était dans les rues à Bénin d’où les premières revendications pour la démocratie sont parties en 1989. C’est elle, et non pas la Conférence de la Baule (même si l’on doit reconnaître qu’elle a eu des effets avec la conditionnalité démocratique qui venait de faire son entrée dans les relations entre la France et les pays francophones d’Afrique), qui a propulsé l’Afrique dans l’ère du multipartisme. François Mitterrand s’était contenté d’apporter sa voix aux revendications qui s’élevaient du fond des sociétés africaines.
« C’est toujours cette société civile qui a refusé au président Wade au Sénégal de modifier la Constitution pour préparer sa succession au profit de son fils. Ce fut le début de la fin de son règne avec sa défaite à l’élection présidentielle de 2012, alors même que sa candidature contestée avait été validée par le Conseil constitutionnel ».
Chemin faisant on peut affirmer que l’Afrique ne pourra se développer ou être émergente sans des institutions fortes ayant obtenu l’assentiment populaire. Si l’on sait que la plupart donne au référendum l’unique forme de révisons et la procédure parlementaire n’est que exceptionnel. Ainsi au Sénégal la constitution dit que : « la durée du mandat du Président de la République est de sept ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ». L’article 103 rajoute : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux députés. Le Premier Ministre peut proposer au Président de la République une révision de la Constitution.
Le projet ou la proposition de révision de la Constitution est adopté par les assemblées selon la procédure de l’article 71. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet ou la proposition n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès.
Dans ce cas, le projet ou la proposition n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés. Les articles 65 et 77 ne sont pas applicables aux lois constitutionnelles.
La forme républicaine de l’Etat ne peut faire l’objet d’une révision ». Cet article ressemble beaucoup a l’article 89-3 de la constitution française qui dispose : « Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale.
Cet article de la constitution sénégalaise consacre le référendum comme la règle en matière de révision constitutionnelle et le recours au parlement par le Président de la République comme l’exception. Or depuis l’indépendance et surtout durant la période de gouvernance de Mr Abdoulaye Wade presque la totalité des révisions l’ont été par la voie parlementaire.
Ce qui relevait donc de l’exception est devenu la règle contrairement à l’esprit des institutions de la république sénégalaise et la volonté de ses concepteurs au premier rang desquels le président Léopold Sédar Senghor. Même si plusieurs constitutions africaines peuvent se prévaloir d'une exceptionnelle longévité en créant de véritables nations néanmoins elles ont subi de profondes mutations qui la plupart ont été faites par voie parlementaire au gré de la volonté du président frileux de recourir à la volonté populaire.
Ce phénomène inflationniste de révisions constitutionnelles et les méthodes employées par le constituant ne participent pas à la lisibilité de notre loi fondamentale et affaiblissent sa légitimité. Cette banalisation de la révision constitutionnelle est symptomatique de la désacralisation et de la dévalorisation symbolique qui frappent les pays africains.
Cette multiplication anarchique des révisions s’est doublée d’une fracture importante entre représentation nationale et souveraineté populaire comme l’ont démontré les multiples coups d’état en Afrique entraînant instabilité et détresse populaire. Le peuple ne trouve alors que ce seul moyen pour se séparer de ses dirigeants.
Il est dès lors important de pouvoir proposé de poser les bases d’une constitution africaine qui, votée par référendum aura la légitimité nécessaire pour durer longtemps.
A) Proposition Constitutionnelle
A un moment crucial, où le président sénégalais décide de faire appel à une révision constitutionnelle par référendum pour limiter son mandat, n’est-ce pas le moment opportun pour en finir et établir une constitution pérenne. Compte tenu des frais financiers, matériels et humains que cela va engendrer cette nouvelle constitution devra obtenir le blanc-seing de tout le peuple sénégalais pour rester enfin caduque pour des siècles et des siècles parce que moulée dans nos traditions propres.
Pour ce faire, cette constitution devra avoir trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire complétement indépendants les uns des autres. Un président de la république et un vice-président élus au suffrage universel pour une durée de 6 ans renouvelable une fois. Un statut devra être élaboré pour les anciens présidents pour éviter cette peur de quitter le pouvoir. Il conviendrait alors de penser un statut « du juste milieu » ; un statut qui permette une « prééminence présidentielle encadrée et rationnalisée ». Prééminence, pas primauté. La prééminence se conçoit davantage de manière dynamique « par rapport à… » et rend possible tous les écarts de hiérarchie, du plus minime au plus important ; alors que la primauté fige la hiérarchie et postule la supériorité indélogeable du chef de l’Etat, jusqu’à l’hégémonie. Mais cette prééminence doit être encadrée car le présidentialisme immodéré est l’alibi démocratique de l’autoritarisme.
Partant de ce constat qu’est ce qui est tabou ? Certainement pas de constater la nécessité d’un président fort, il y aurait même un consensus sur cette idée ; mais davantage les raisons qui conduisent à ne pas pratiquer de rupture nette avec ce qui pourrait s’apparenter comme une résurgence du présidentialisme négro africain. D’où la nécessité d’accompagner cette réflexion par une réflexion relative aux contre-pouvoirs qui ont pour vocation de limiter les risques de dérives. Il faut donc déterminer dans un contexte renouvelé la meilleure architecture possible pour parvenir à cette organisation.
1 - L’adhésion à l’idée de prééminence présidentielle
Le consensus autour de l’autorité du président est un acquis. Tout comme est acquis, en conséquence, que toute forme de parlementarisme qui reléguerait, à des degrés divers, le chef de l’Etat, est inopérant dans le contexte africain dont on sait que l’institution présidentielle, si convoitée, doit demeurer centrale. Il reste alors en aménager les modalités.
D’abord concernant le mode de désignation du président de la république. Beaucoup a été dit, je n’y reviendrai pas, si ce n’est pour admettre que la remise en cause de l’élection du président au suffrage universel direct serait incompatible, d’une part avec le statut de représentation sociale et sociétale du président et, d’autre part, avec l’impératif d’un président politiquement fort. Surtout, ce mode d’élection permet une sorte de conciliation entre le dogme pluraliste (le suffrage universel symbole de démocratie, à condition bien entendu que l’élection soit réellement ouverte et concurrente) et la veine autoritaire qui irrigue encore certains régimes africains. C’est en fait profondément l’ambiguïté de cette désignation qui séduit : elle est à la fois la preuve du constitutionalisme démocratique et en même temps une garantie potentielle qui puisse assurer au futur chef d’Etat une pratique présidentialiste. Le prix à payer est celui de l’aléa. A ce titre, l’élection au suffrage universel direct est bien un trait essentiel du constitutionnalisme en Afrique ; cette élection devra se faire en même temps que celle du vice-président qui le supplée en cas de carence présidentielle. C’est le ticket présidentiel cher à Maître Wade.
Sous cette forme, la structure interne de l’exécutif ne devra pas souffrir de dyarchie. D’une part parce que quand les primatures ont vu le jour, elles ont souvent été privées des compétences qui auraient pu permettre un vrai rééquilibrage au sein du couple exécutif ; et d’autre part parce que quand les présidents ont accepté l’instauration d’un premier ministre, c’était avant tout pour mieux les subordonner et renforcer, par contraste, leur autorité. Donc à la place d’un bicéphalisme formel et de façade, il faut un président fort, ce qui exclut un régime parlementaire. En Afrique, le régime qui se moule avec nos traditions est celui du président fort.
Sous cet angle, la rationalisation de l’institution présidentielle (qui correspond à bien à l’idée d’endiguement de ses pouvoirs dans le respect de la primauté de son statut) ne peut procéder de l’auto limitation (qui viendrait de l’intérieur du pouvoir exécutif, via un premier ministre dont on a dit qu’il servait plus les apparences que le partage réel du pouvoir) mais bien d’une hétéro-limitation (c'est-à-dire par des pouvoirs concurrents extérieurs à l’exécutif même).
2- Nécessité de repenser fortement le statut des contre-pouvoirs juridiques et politiques au chef de l’Etat.
On a beaucoup épilogué sur les contre-pouvoirs mais je voudrais simplement ici la remettre en perspective dans le contexte africain francophone. « Tout homme qui dispose du pouvoir est tenté d’en abuser » rappelait Montesquieu. La pratique politique en Afrique francophone n’a malheureusement fait que confirmer ce constat. D’où l’idée de modération du pouvoir qui prend un relief particulier quand il s’agit à la fois de permettre l’autorité du chef d’Etat tout en le limitant. Il faut ici être clair. Dans le contexte du constitutionalisme en Afrique il ne s’agit pas tant de limiter, par principe, les compétences du président de la république, mais bien d’empêcher un usage qui franchirait non seulement les frontières du légal mais aussi, au-delà, du légitime c'est-à-dire de l’acceptable. Dans la perspective du constitutionalisme africain, c’est l’empêchement de l’excès de pouvoir manifestement inacceptable qui est donc requis, (là où dans le constitutionalisme occidental c’est peut-être davantage l’idée de modération permanente pour rester dans un cadre légal qui est attendue, et ce même en dehors de toute tentation d’abus).
Autrement dit, les contre-pouvoirs ont en Afrique une double fonction : celle de ne pas empêcher l’exercice de l’autorité du chef de l’Etat ; mais celle d’empêcher l’exercice d’une dérive autoritaire. Tout repose sur l’appréciation de la distinction entre le légal et le légitime. Il faut pour ce faire que ces contre-pouvoirs institués, politiques ou juridiques, soient crédibles et efficaces pour ne pas être contre productifs, c'est-à-dire servir d’alibi pluraliste et démocratique à une institution présidentielle qui concentre les pouvoirs et qui cherche, en autorisant l’existence de contre-pouvoirs platoniques, à se parer des habits du constitutionnalisme.
Le nouveau constitutionalisme en Afrique se fonde sur le pluralisme et la concurrence ; d’où l’émergence des contre-pouvoirs. Mais ces derniers doivent être dotés d’une puissance de frappe adéquate, c'est-à-dire optimale, tant pour préserver le champ de l’autorité présidentielle que pour permettre la sanction de ses décisions inacceptables. Je me contenterai d’énumérer ici les contre-pouvoirs qui sont susceptibles de jouer en faveur d’une prééminence présidentielle encadrée :
Premièrement, les contre-pouvoirs politiques :
- D’abord, contre-pouvoir politique conjoncturel type, le parlement : dans un régime de type présidentiel africain, celui-ci doit clairement participer à la définition des limites politiques infranchissables du chef de l’Etat. De chambre d’enregistrement dans la période post coloniale, il doit progressivement acquérir les facultés de statuer (par la délibération) et d’empêcher (par l’exercice du droit d’amendement et la saisine de la cour constitutionnelle). Rappelons en tous cas qu’historiquement la montée en puissance des parlements fut justifiée par la nécessité d’encadrer l’absolutisme monarchique. Ce qui a pu permettre de passer d’un régime despotique à un régime de type présidentiel fort.
- Ensuite, et c’est un corollaire, il faut admettre, et c’est un changement culturel profond, que si le retour du parti unique a pu être considéré comme la clef des nouveaux présidentialismes africains, l’institutionnalisation, même a minima, de l’opposition politique, véritable contre-pouvoir politique structurel, renforce la crédibilité de la puissance présidentielle ; celle-ci apparaissant d’autant plus renforcée qu’elle est capable de surmonter, selon les règles et procédures en vigueur, les résistances d’une opposition politique. Cela ne veut pas dire aussi qu’il faille créer une pléthore de partis politiques sans résonance populaire : « partis kiosque à pain ».
Deuxièmement, les contre-pouvoirs juridiques :
- C’est d’abord le pouvoir judiciaire, rarement qualifié de juridictionnel dans les constitutions africaines francophones. L’ascension puis l’émancipation de la justice est synonyme d’un pouvoir majoritaire présidentiel qui accepte d’être régulé par le juridictionnel. Or dans les constitutions africaines, si le judiciaire est érigé en troisième pouvoir notamment grâce à la proclamation d’un principe d’indépendance qui doit théoriquement permettre de le soustraire à l’emprise du pouvoir politique, il sert bien souvent en pratique la cause présidentielle. Plus que de consacrer l’indépendance, l’acceptation d’une autonomie encadrée pourrait être le premier pas d’un compromis.
- C’est ensuite la Cour constitutionnelle, véritable contre-pouvoir structurel. C’est ici la plus importante innovation du constitutionnalisme des années 90. Elles sont la garantie de l’Etat de droit et, à ce titre, sont indissociables de la structure des pouvoirs d’un Etat qui aspire à construire une démocratie constitutionnelle. Elles sont d’ailleurs, à ce point, indissociables de l’Etat de droit que les constituants des années 90 n’ont pas hésité à leur confier des compétences plénières en matière de contrôle des élections et notamment de l’élection présidentielle. Dans le cadre d’un statut de prééminence présidentielle rationalisée, il faut bien comprendre que la Cour constitutionnelle n’est pas seulement là pour faire preuve d’audace en vue d’accroître ses compétences ni même aller jusqu’à provoquer la démission d’un chef d’Etat ; elle doit aussi développer une fonction préventive et pédagogique en accompagnant le Président de la République dans l’intégration de la culture de constitutionnalité et l’acquisition des réflexes constitutionnels. Ce qui évidemment repose les éternelles questions de la désignation des membres et de la composition des cours (et on reparle ici des principes de fidélité – problème du renouvellement du personnel politique - et de préférences – ethnique ou autre -) ; et la question de l’étendue des compétences. La question qui se pose dans le constitutionnalisme africain n’est pas à cet égard « jusqu’où aller dans l’attribution des compétences » mais bien « jusqu’où ne pas aller » afin de ne pas faciliter une opposition systématique au chef de l’Etat. Mais c’est un autre débat.
B) Conclusion
Alors pour conclure, rappelons simplement que, quelle que soit l’ingénierie constitutionnelle, le statut du chef de l’Etat dépend avant tout de la personnalité de celui qui incarne l’institution et de la conception que ce dernier a de sa fonction. Et de ce point de vue-là, les tabous sont levés car les exemples récents n’ont fait que le confirmer.
Et en ce qui concerne le Sénégal il faut un parlement élu en même temps que le président de la république pour éviter les élections à répétition. Ceci donne aussi au parlement un architecture viable car ne vivant plus sous le couperet de la dissolution. Une constitution qui ne pourra être révisée que par référendum ; la révision parlementaire sera une exception et seulement dans des cas absolus bien déterminés par la constitution.
Enfin, il m’échoit de rappeler les Conclusions des Assises Nationales je cite : « Un pouvoir judiciaire indépendant sans aucune dépendance avec le ministre de la justice. Le système politique sénégalais doit nécessairement redéfinir ses orientations fondamentales, en s'appuyant sur la Constitution et la Charte des Libertés, de la Démocratie et de la Bonne Gouvernance, en créant un environnement institutionnel stable et crédible, répondant aux normes démocratiques de transparence, de responsabilité et d’efficacité.
Ainsi, la nouvelle architecture institutionnelle proposée rend au peuple et à ses représentants leurs véritables prérogatives politiques et citoyennes. Le pouvoir législatif et le parlement sont par conséquent les lieux d’impulsion de la vie politique.
Le pouvoir judiciaire, restauré dans sa crédibilité et fort de la confiance des justiciables, assume son rôle d'arbitre entre l'exécutif et le législatif.
La refondation démocratique recommandée suppose l'existence d'authentiques contrepouvoirs en vue de l’élargissement et de l'approfondissement du processus de démocratisation de la société comme des institutions. Dans ce cadre, le pluralisme médiatique est garanti par l’Etat et la mission de service public des médias assurée, dans le respect strict du droit du citoyen à l'information et du code de déontologie ».
Amadou DIALLO http://www.diallobeducation.com/
REF : RFI, Fabrice Hourquebie et Conclusions des Assises Nationales du Sénégal.
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