La Liberté: Cours numéro 2
Cours de Philosophie
LA LIBERTE
Cours n°2 : La
dimension politique et la dimension métaphysique de la liberté
Dans ce second cours sur la
liberté, nous aborderons l’aspect plus concret, en quelque sorte,
de cette notion. Après avoir vu
la possibilité effective de la liberté, ainsi que ses différents
degrés et les différents
déterminismes qui la limitent. Nous étudierons ici la dimension
politique de la liberté : l’E
tat, la société, la loi, sont-ils une entrave ou un garant de ma
liberté ? Ensuite, l’intérêt se
portera sur la dimension métaphysique de la liberté : quelle est la possibilité
de liberté des hommes à l’intérieur du cadre établi par la divinité ? Et en
dehors
même de tout cadre : quand il n’y
a plus ni Dieu, ni loi, ni déterminisme imposés ; quelles
sont alors les conséquences pour
la liberté humaine ?
La Dimension
politique et sociale de la liberté
Comme nous l’avons vu au cours
des parties précédentes, la liberté s’inscrit de fait à
l’intérieur d’un cadre. A fin d’être
réellement effective, la liberté est nécessairement limitée. Et comme nous l’avons
précisé au tout début de la première partie, elle est d’ailleurs limitée ne serait-ce
que par le cadre légal. D’un point de vue social et politique, en effet, je n’ai
pas le
droit de faire tout ce que je
veux, quand je veux et où je veux. La liberté au sens politique et
social est conditionnée par la
légalité : je suis libre de faire tout ce qui n’est pas défendu par la
loi et je suis libre de refuser
de faire tout ce qu’elle n’ordonne pas. L ’E tat, par le biais des lois, met en
place un cadre de références (instauré par le droit positif), qui rend possible
la liberté.
M a liberté, en tant qu’individu
et citoyen, est garantie précisément du fait que celle-ci d’un
point de vue général : aussi bien
la mienne que celle d’autrui, est limitée par la loi. Sans la loi,
en effet, il n’y a pas de liberté
possible pour tous et pour chacun, puisque sans loi, le risque est
d’être, par exemple, esclave des
passions, ou de subir la loi du plus fort. Ainsi
paradoxalement, l’interdiction
(la loi) augmente, garantie et protège la liberté de chacun.
Toutefois, ce n’est pas toujours
le cas. Il arrive aussi que certains états, loin de garantir la liberté, au
contraire, la restreignent fortement. Prenons pour exemple les états
totalitaires, les dictatures et certaines monarchies, qui en décidant de tout
pour tous et en imposant parfois
même une manière de penser ou un
mode de vie annule toutes possibilités de liberté. C’est le
cas notamment, à l’intérieur de
la monarchie proposée par Hobbes dans son contrat social. Ici
les hommes qui ont passé le
contrat sont tels des esclaves. Ils dépendent entièrement du « chef
de l’E tat » et de ce fait, n’ont
plus aucun espace de liberté : ils ne décident de rien, tout leur
est imposé à partir du moment où
ils font ce choix du contrat. Au contraire, dans le contrat
social présenté par Rousseau, les
hommes qui passent le contrat ont davantage de liberté ; car
c’est ici une démocratie directe
(et non plus une monarchie). C e qui signifie que chacun
décide pour lui-même : le citoyen
ne s’en rem et pas à un « chef de l’E tat », qui déciderait
pour lui. Cependant cette idée de
démocratie directe paraît difficile à mettre en place à
l’échelle d’un pays. C’est une
forme d’idéal politique, qui rencontre certaines limites dans la
pratique. M ais cela n’empêche
pas qu’elle puisse être, tout au moins, un modèle démocratique à adapter à la
réalité politique.
Spinoza quant à lui, semble se
situer dans une forme de nuance entre ces deux extrêmes.
Puisqu’il nous explique que l’homme
libre est celui qui obéit. T out comme paradoxalement,
la loi, si elle est bien faite et
bien appliquée, est ce qui augmente et garantie la liberté ;
l’obéissance, si elle est voulue
et réalisée dans un cadre de confiance (j’accepte d’obéir parce
que je sais pourquoi je le fais
et que je suis d’accord avec ce à quoi on me demande d’obéir)
est un bien fait pour la liberté.
M ais c’est ici le cas, parce que celui qui obéit trouve un intérêt
personnel à le faire. C e n’est
pas une obéissance d’esclave, dans laquelle le seul bénéfice
revient à celui qui donne l’ordre
et non à celui qui obéit. Ainsi dans la dimension politique et
sociale de la liberté, je suis
libre à partir du moment où celle-ci est garantie par un cadre, qui
tout en la limitant
nécessairement (puisque je ne peux être véritablement libre si tout est
permis. Cf. notamment le risque
de la loi du plus fort.), me laisse également une possibilité de
libre arbitre, c’est-à-dire une
possibilité de choix et de décision individuels. E t qu’en est-il
alors du point de vue
métaphysique de la liberté ? Quand ce n’est plus la loi de l’E tat et de la
société qui m ’est imposée, m ais
celle de Dieu ? L’homme est-il libre de décider, d’agir, dans
sa vie et le monde dans lequel il
vit ? Ou est-ce toujours Dieu qui le gouverne et décide à sa
place ?
La Dimension métaphysique de la liberté
Dans la perspective de la Grèce
ancienne, l’homme n’apparaît pas de prime abord comme libre vis-à-vis des
dieux. A cette époque en effet, la notion de destin prend une telle place, que
la liberté réservée aux hommes ne paraît pas existée. C’est en quelque sorte la
« dictature » de la fatalité. Le terme « fatalité » vient du grec « fatum »,
qui signifie : ce qui est dit. La fatalité va de pair avec la nécessité,
c’est-à-dire avec ce qui existe de fait et qui ne pourrait pas être autrement
ou ne pourrait pas être du tout. Ainsi le destin, la fatalité, la nécessité,
est ce qu’il n’est pas possible de modifier : ce à quoi on ne peut pas
échapper. Comme il est possible d’ailleurs de l’observer dans les tragédies et
les mythes de la Grèce ancienne. P renons alors plus précisément pour exemple Oedipe,
qui en cherchant à échapper à son destin (annoncé par l’O racle : tu tueras ton
père et épouseras ta mère), le réalise précisément. Toutefois cette pensée
grecque évolue au cours de l’histoire : petit à petit le sujet, l’individu
émerge et avec lui, la possibilité de liberté réservée aux hommes. Il est
possible notamment de l’observer dans la pensée stoïcienne, à l’intérieur de
laquelle il semble exister, effectivement, une part de liberté. Dans le Manuel
d’Epictète, philosophe stoïcien, il nous est dit qu’il y a les choses qui dépendent
de nous et d’autres qui ne dépendent pas de nous. De ce fait, la possibilité de
liberté réside nécessairement à l’intérieur
de ce qui dépend de nous. Puisque par définition, ce
sont les choses pour lesquelles
nous avons une possibilité d’influence, de décision, de choix,
« qui sont notre œuvre propre ».
Comme par exemple « le jugement, l’impulsion, le désir ».
M ais les stoïciens pensent également
qu’il existe une possibilité de liberté à l’intérieur de ce
qui, paradoxalement, ne dépend
pas de nous. C om m e par exemple, l’ordre du m onde, c’est-à-dire
notamment le rôle assigné par les
dieux, le cosmos, le destin réservé à chacun. Choses sur
lesquelles normalement, les hommes
n’ont pas d’influence, ni de possibilité d’action, ni de ce
fait de possibilité de liberté,
puisqu’elles ne sont pas « leur œuvre propre ». Ainsi dans la
vision stoïcienne, la liberté n’est
pas aussi restreinte qu’on pourrait le croire de prime abord,
puisqu’en réalité, une possibilité
de liberté existe également à l’intérieur de ce qui ne dépend
pas de nous. S i l’on sait, en
effet, ce que veulent les dieux, si l’on connaît l’ordre du m onde, et
que l’on veut à la fois cet ordre
du m onde et ce qu’ont décidé les dieux. E t que l’on veut tout
cela librement, alors une part de
liberté existe malgré ce déterminisme et cette nécessité
divine. Le sage stoïcien est donc
libre au sens où il veut de lui-même, c’est-à-dire librement,
ce destin nécessaire qui lui est
réservé par les dieux. Ainsi il semble exister une double
possibilité de liberté selon les
stoïciens, puisque les hommes sont libres pour les choses qui
dépendent d’eux , mais m êm e
pour celles qui ne dépendent pas d’eux : ils peuvent être libres
dans la mesure où ils les
souhaitent librement et vont dans le sens de ce destin déterminé par
les dieux. Il faut attendre le 20ème siècle avec Sartre
et l’existentialisme, afin de rencontrer une conception de la liberté qui se
pense en dehors de toute nécessité et déterminisme, quel qu’il soit. Pour
Sartre, en effet, « l’existence précède l’essence », comme il nous l’explique
dans L ’existentialisme est un humanisme. E t c’est cela la nouveauté.
Jusqu’ici dans la majorité des conceptions philosophiques, qu’il y ait Dieu ou
pas, c’était l’essence qui précédait l’existence. C’est-à-dire que c’était la
nature hum aine, les attributs de l’homme, une sorte de définition préétablie
de ce que devait être l’homme, qui conditionnait ou déterminait son existence :
notamment ses valeurs, sa manière d’être, d’agir, ce qui était bien ou mal etc.…
Pour bien comprendre cette évolution dans la pensée, reprenons précisément ce
que Sartre lui-même nous rappelle. Ainsi il nous rappelle qu’au 17 ème siècle,
avec des philosophes comme Leibniz ou Descartes, la pensée partait du postulat
d’un Dieu créateur, qui tel un artisan, était à l’origine du concept d’homme :
son essence, sa nature et le créait comme tel. Ainsi l’essence précédait bien
l’existence. A u 18 ème siècle, avec les philosophes Voltaire, Diderot et
Rousseau, qui développent une position athée : il n’y a plus de Dieu créateur à
l’origine de l’homme, m ais il y a toujours une essence qui précède
l’existence. Il y a toujours l’idée d’une nature hum aine prédéterminée, à
laquelle l’existence hum aine doit correspondre. L’essence précède donc
toujours l’existence. A u 20 ème siècle avec Sartre, il y a alors un
bouleversement de cette conception ; car pour le philosophe, il n’y a ni Dieu,
ni essence qui précède et détermine l’existence hum aine. Pour Sartre,
l’existence de l’homme est une donnée qui précède, au contraire, l’essence. C e
qui signifie que l’homme est entièrement libre. C ’est à lui de se définir comme
il le souhaite : l’homme est alors ce qu’il veut être. Tous les choix, toutes
les possibilités s’offre à lui : libre à lui de décider et d’agir comme il le
veut. Ainsi dans la pensée de Sartre, l’homme devient ce qu’il se fait
lui-même. Il n’y a plus de limite, ni de déterminisme d’aucune sorte. Toutefois
cette liberté totale et absolue, mise en avant par le philosophe, peut
également débouchée sue un désespoir et une angoisse existentielle pour
l’homme. Car si tout est possible, si il n’y a pas de limite, ni de cadre :
comment choisir, comment savoir ce qu’il
faut faire, ce qui est bien ou m al. Il y a tout à inventer et à créer, et
c’est cela qui peut alors être angoissant.
Ainsi, comme nous l’avons vu au cours de cette étude
générale sur la notion de liberté (cours 1 et 2), l’idée de liberté prend sa
signification face au déterminisme et à l’existence des autres. Sans limite et
sans cadre, en effet, la liberté ne paraît pas exister. Si je suis
effectivement totalement libre : sans aucun déterminisme, ni nécessité ; alors
penser la liberté n’a pas de sens. Si je me considère comme totalement libre :
sans prendre en compte les autres ; alors la notion n’a de sens que pou r m oi,
car dans ce cas, j’entrave la liberté d’autrui. C’est pourquoi la liberté totale
et absolue semble difficilement pensable. Sartre l’a fait, m ais sa conception
de la liberté peut apparaître aussi, dans un monde sans Dieu, comme angoissante
et pleine de désespoir.
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