ONG en Afrique: un couteau à double tranchant !
ONG en Afrique: un couteau à double tranchant!
Au moment où l'on constate une certaine faillite de nombreux Etats africains, particulièrement en Afrique de l'Ouest, la perspective de renforcement des ONG est primordiale. Mais celles-ci connaissent souvent de nombreuses difficultés: dépendance extérieure, refus des priorités gouvernementales, compétence limitée et difficulté d'adaptation en sont les maître-maux.
Parler des ONG nous ramène à parler du fait associatif qui apparaît pour beaucoup d'analystes notamment occidentaux comme une réalité contemporaine alors que pour qui connaît l'Afrique Noire, cette réalité-là existe depuis toujours. En effet, le fait associatif constituait et continue à constituer dans certaines zones rurales la base de toutes les relations sociales et économiques. Il serait fastidieux de développer ici cette forme associative inhérente à la tradition africaine et dans laquelle "l'esprit de solidarité ; entraide et respect des hiérarchies" sont les maître mots.
De nos jours, il semblerait qu'un consensus se soit dégagé pour parler d'ONG comme une association, une structure non étatique et non comme une fondation, telle que l'occident l'a conçue pour faciliter les rapports Nord-Sud. Le "modelage" des associations africaines sous la forme ONG procéderait de ce choix; cela dit, en analysant le processus de création des ONG africaines, on constate qu'elles voient globalement le jour de deux manières: pendant longtemps, elles ont été suscitées par les ONG du Nord qui en faisaient des relais; par la suite, elles se sont volontairement créées suivant diverses motivations, la plupart paraissant comme un retour vers un colonialisme déguisé.Les ONG relais sont nées au cours des années 1970-1985. Suite aux différentes sécheresses répétées, les problèmes étaient devenus si aigus en Afrique que la plupart des ONG occidentales principalement fournisseurs de nourriture ont été obligées de se transformer sur place en producteurs de nourriture en se montrant sceptique quant à la volonté des Etats africains de sortir leurs ressortissants des difficultés. Le volume de leurs interventions était tel que bon nombre d'entre elles se sont engagées dans un travail de structuration du milieu, soit avec les populations bénéficiaires appelées : groupements villageois, soit en sollicitant le concours de cadres locaux comme auxiliaires techniques. Dans ce dernier cas, la structuration aboutissait parfois à la création d'une antenne africaine de l'ONG.
Ce mouvement d'appui à la création de structures locales a coïncidé par ailleurs avec l'avènement des projets dits de participation au développement, projets qui voulaient que l'initiative du développement vienne de structures locales détenant une certaine autonomie organisationnelle. Ainsi pour des besoins pratiques et/ou pour des besoins du concours financier des donateurs, des ONG du Nord ont adopté trois comportements différents: certaines ont créé de toutes pièces des ONG dans le Sud, d'autres ont décidé leur désengagement de l'action sur le terrain en encourageant des locaux à prendre la relève par la création de structures autonomes; d'autres enfin ont accompagné la maturation d'organisations embryonnaires de bénéficiaires. C'est à partir de ce moment que certaines ONG en premier lieu, ont pris d'autres dimensions, soit on n'accordait pas trop d'importance sur l'origine des fonds ou tout simplement on faisait appel à des incompétents pour la réalisation des projets. En second lieu, les ONG de volontaires africaines sont généralement le fait de cadres africains, qui sont soit indépendants ; parce que n'appartenant pas à la classe politique, soit dites "de gauche" ; parce que opposées aux politiques et pratiques conduites par les dirigeants de leurs pays, ou enfin tout simplement au chômage. Les motivations qui vont pousser ces personnes à mettre sur pied des ONG sont diverses. Il peut s'agir d'un devoir de solidarité à l'égard notamment d'un monde rural qui ne cesse de se paupériser suite aux crises répétées : sécheresse, invasion de sauterelles, gabegie, incompétence des élites politiques…. Une autre motivation réside en une réaction aux limites des ONG occidentales, surtout de volontaires occidentaux plutôt considérés comme de "bricoleurs" ; de "touristes" déguisés ou tout simplement de néocolonialistes. Enfin, la motivation peut être la nécessité de trouver du travail, le créneau de la coopération non gouvernementale étant devenu un véritable secteur créateur d'emploi.
A la faveur d'un vide juridique total sur les ONG en Afrique, on constate ainsi qu'un groupe d'amis, généralement des intellectuels vivant en ville, se constitue en ONG avec comme seul moyen la volonté d'être ONG; d'où la naissance prolifique d'ONG en Afrique depuis une dizaine d'années. Parmi celles-ci, on retrouve des ONG qui se disent d'appui au développement et des ONG de services. Si les premières sont souvent des unions ou fédérations de groupements de base qui se confondent donc avec leur base sociale, les secondes, par contre, spécialisées en formation, crédit, alphabétisation, etc., ressemblent plus à des ONG du Nord.
Les ONG africaines pêchent parfois par amateurisme. Si celles-ci font généralement appel à de simples volontés qui n'ont souvent aucune qualification professionnelle, rares sont en outre les dirigeants qui témoignent d'une formation technique. Tant qu'il s'agissait de conduire des actions caritatives, il n'y avait pas de problèmes notables, la bonne volonté doublée d'un esprit d'organisation suffisait. Par contre, en matière d'appui dans des domaines tels que l'agriculture, le commerce ou l'hydraulique, des problèmes d'efficacité se rencontrent; problèmes aggravés par une obstination à travailler en vase clos, sans recours à la sous-traitance technique qui, il est vrai, nécessite des possibilités financières dont elles ne disposent pas, sans oublier un manque de bonne gestion financière, gage de toute réussite.
L'adage selon lequel "c'est en forgeant que l'on devient forgeron" constitue donc la pratique courante de nombreuses ONG. Il n'est dès lors pas étonnant que certains observateurs qualifient leurs actions de bricolages. Cette tendance s'inverse toutefois petit à petit puisque de nombreuses ONG africaines souhaitent améliorer leurs performances soit par le recrutement de personnel qualifié, soit par la formation technique de leurs agents. Malheureusement, il est dit que leurs partenaires restent peu réceptifs à ces nouvelles demandes. En effet, ceux-ci privilégient les tâches de gestion et de contrôle au détriment des efforts d'animation et de formation des ressources humaines des ONG africaines. Aujourd'hui, s'il est partout question de renforcement organisationnel et de développement institutionnel de ces ONG, dans la pratique, les expériences réussies sont peu nombreuses. Le rendement des actions demeure l'urgence. On peut dés lors se demander si les ONG ont leur raison d'être ; si au Sénégal il existe plus de 700 ONG il n'en demeure pas moins que le sous-développement et les problèmes de toutes sortes restent de mise.
Pauvres également en termes de ressources financières ; les ONG africaines ne disposent en effet pas comme leurs homologues occidentales de membres et sympathisants participant régulièrement au financement de leurs activités. De plus, rares sont celles qui développent une initiative de levée interne de fonds. De même, les possibilités de bénéficier de financements de leur propre gouvernement sont maigres : les petites facilités octroyées auparavant, telles que les exonérations des taxes et droits de douane sur le matériel, sont d'ailleurs remises en question au cours de leur évolution. Les ONG sont donc totalement dépendantes du financement qu'elles reçoivent de leurs partenaires occidentaux, publics ou privés, ce qui comporte des conséquences limitatives tant quant à leur développement qu'à l'efficacité de leurs appuis:
- elles n'ont aucune marge de manœuvre pour se lancer dans une quelconque planification de leur développement. Les financements arrivant par le biais des projets, ces ONG vivent donc en fonction des possibilités offertes. Ces ONG ne se valorisent alors qu'en élaborant des projets qui paraissent parfois complètement farfelus dans le seul but de récolter des fonds ;
- ces projets ne concernent pas généralement des activités bien précises, planifiées pour les populations-cibles, l'ONG ne sera rémunérée par le bailleur que pour le travail effectué dans le cadre de ces activités. Pour le reste, elle est appelée à s'assumer avec des moyens propres qu'elle n'a pas. Cette situation accentue les comportements malhonnêtes : détournement des fonds, rapports d'activités mensongers, fausse comptabilité, etc.;
- enfin, ce manque de ressources propres entraîne une concurrence accrue entre ONG, ce qui ne facilite pas les échanges d'expériences, de moyens et d'outils pourtant nécessaires. A ce titre, les quelques rares échanges entre ONG émergent au fur et à mesure des besoins et sont généralement développés sur la base d'une affinité essentiellement psychologique ou idéologique.
Cette double pauvreté accentue en outre les deux impératifs que sont les besoins des populations et les priorités des donateurs. Or, tous deux changent. Les actions des ONG sont passées des actions d'urgence aux actions de développement à travers l'exécution de microprojets; aujourd'hui, elles embrassent des activités économiques et tendent de plus en plus vers la considération des besoins de participation et d'affirmations politiques. Les ONG africaines ont beaucoup de difficultés à suivre cette évolution et se trouvent pour beaucoup d'entre elles en déphasage par rapport aux besoins réels des populations qu'elles appuient. En outre, les priorités des donateurs sont également changeantes. Les considérations humanitaires et géopolitiques qui motivaient principalement les donateurs ont cédé la priorité à de nouvelles motivations telles que le respect des droits de l'homme, l'instauration de la démocratie, l'environnement, le réchauffement climatique ou le libéralisme économique. Ces priorités nouvelles, qui apparaissent comme des exigences, des moyens de pression sur les dirigeants africains ; même si elles sont partagées par beaucoup d'analystes, créent de véritables problèmes à des ONG africaines qui dès lors semblent être en "rade" par rapport aux attentes des donateurs.
De nos jours, la prolifération des ONG africaines semble à la fois être porteuse d'espoir pour la société civile mais également d'inquiétudes et apparaissent dés lors comme un couteau à double tranchant.
Il y a un espoir, car il est à présent reconnu que l'existence des ONG dessine l'amorce d'une sorte de société civile populaire. En effet, il apparaît clairement que les nombreuses associations populaires, leur fédération et les organismes qui les appuient visent à donner la qualité d'acteurs aux "petites gens" qui avaient jusque là été bâillonnées et manipulées par les tenants du pouvoir qui sont les Etats et leurs administrations. Il apparaît d'autre part que ces organisations qui sont en pleine croissance partout en Afrique soient en train de se doter progressivement d'un pouvoir de dialogue, de se forger une certaine conscience de prise en charge et d'opposer une certaine résistance au pouvoir. A cet égard, les ONG africaines sont sur la voie de créer, consciemment ou inconsciemment, un "pouvoir intermédiaire" qui a longtemps fait défaut entre les Etats d'Afrique et leur population.
Mais on peut s'inquiéter également que le développement de certaines ONG soit sans liens ou sans apports significatifs avec les populations de base et ayant comme principale motivation la satisfaction de leurs propres besoins matériels individuels. Cet état de fait entraîne une crainte de certains observateurs de voir l'émergence d'une administration parallèle au sein des ONG. On reconnaît en outre que des ONG se créent sans que leurs responsables aient la moindre idée de la manière dont fonctionne une ONG et qui interviennent ponctuellement selon les opportunités financières qui se présentent à elles. Au vu de cette prolifération d'ONG intermédiaires taxées "d'affairistes", certaines ONG qui se confondent, elles, généralement avec leur base sociale, désirent que clarification soit faite. On note également le cas d'ONG qui sont porteuses d'idées toutes faites, reflétant généralement les attentes de leurs bailleurs. Elles entreprennent faiblement une véritable animation favorisant un nécessaire mûrissement des idées qui sous-tendent les actions qu'elles exécutent avec les populations de base. Par ailleurs, la plupart d'entre elles ont peu de compétence pour accompagner de manière pertinente les communautés qu'elles appuient. Les résultats auxquels elles aboutissent sont souvent disparates et sans lendemain, le service "après aide" des ONG existant rarement. La mission dans les différents pays a permis de constater les problèmes existants dans les relations entre les pouvoirs publics et les ONG. Ces problèmes se présentent de façon différente d'un pays à l'autre et sont différemment exposés d'une structure à l'autre. La collaboration entre les deux institutions est indispensable au bon fonctionnement de chacune d'elles et surtout à la promotion de l'entreprenariat privé et d'un parfait soutien aux populations concernées. La plupart des personnes rencontrées reconnaissent la nécessité de cette entente et la complémentarité entre l'Etat et les ONG pour le développement des micros et petites entreprises. Les ONG reprochent à l'administration les lenteurs administratives dans les réponses à leurs requêtes, la non contribution de l'Etat aux budgets des ONG, le non respect des engagements concernant la participation de l'Etat à la mise en œuvre des projets ou programmes, la méfiance de certains responsables vis-à-vis des ONG ainsi que le contrôle de la gestion des ONG, que recherchent certains ministères techniques qui soupçonnent à priori les responsables des ONG de mauvais gestionnaires. Les faits reprochés par l'Administration aux ONG locales sont l'absence de programme d'activités des ONG, prenant en compte les priorités du programme national de développement, le développement anarchique d'activités, leurs manœuvres frauduleuses pour avoir des exonérations, la trop grande dépendance des ONG locales vis-à-vis de l'extérieur, le refus opposé par certaines ONG au contrôle de leur gestion, ainsi que la non-information des autorités sur leurs activités, projets et manifestations. Les ONG africaines, souvent préoccupées par leur portefeuille d'actions, ne sont, pour la plupart d'entre elles, pas à même de mesurer ou de contrôler l'impact de leurs actions en vue de capitaliser et de développer des changements qui faciliteraient une véritable participation des populations concernées. A ce titre, elles témoignent souvent d'une peur de l'action politique. En effet, plutôt que de jouer un rôle de pompier face aux "situations de catastrophe" engendrées par la gestion et le comportement de l'Etat, les ONG locales feraient mieux de s'employer à des actions dont la dimension est plus politique. Le neutralisme de l'action des ONG doit être dépassé et les ONG africaines se doivent de prendre conscience de leur rôle de contre-pouvoir et du caractère politique de leurs appuis comme les ONG occidentales n'hésitent à le faire pour l'intérêt de leurs pourvoyeurs de fonds. Elles se doivent de définir des stratégies appropriées favorisant la pleine participation des populations à leur développement. Mais pour cela, en dépit d'une expérience riche acquise au cours des années, la plupart des ONG africaines manque toujours d'une "masse critique d'analystes" pour aider à définir des stratégies et méthodes pertinentes afin de mieux conduire leur travail d'accompagnement aux populations de base qu'elles disent représenter.
Les ONG constituent des intermédiaires parfois indispensables à la mise en œuvre des dits programmes pourvu qu'ils soient judicieusement élaborés. Ce développement des petites et micro entreprises présente de nouvelles perspectives pour les ONG. Toutefois, afin de renforcer le rôle joué par les ONG dans le développement de l'entrepreneuriat prive, un certain nombre de mesures doivent être prises en considération, surtout en rapport avec les intérêts des populations. Malgré toutes les difficultés qu'elles rencontrent, les ONG africaines sont aujourd'hui des acteurs reconnus comme incontournables dans la reconstruction socio-économique et politique qui a cours en Afrique. Devant le refus par elles d'être le relais néocolonialiste des ONG du Nord, elles ont avantage à œuvrer dans l'intérêt des populations locales en modifiant leur règle de gestion et de réalisation de leur objectif. L'Afrique, le Sénégal en particulier a besoin de tous ses fils, de leur patriotisme pour sortir du sous-développement. Au cours de leur évolution et de leur développement, les inquiétudes, que les ONG locales suscitent, iront cependant en s'amenuisant pour que les espoirs placés en elles ne soient pas vains.
Amadou DIALLO
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