Ne tirez plus la queue du lion!
Ne tirez plus la queue du lion !
Contrairement aux autres fauves, plutôt solitaires, le lion vit en communauté avec des règles et des principes bien établis. Force de la nature le lion reste très sociable, polysémique et se défend plus qu'il n'attaque. Malgré sa force il ne fait du tort à personne et ne s'attaque qu'à celui qui ne respecte les règles et les lois qui régissent sa troupe, ou qui dépasse les limites de son territoire. C'est cet animal exemplaire qui fait la devise de notre pays le Sénégal.
Depuis l'avènement de l'alternance au Sénégal, le peuple sénégalais malgré les déceptions successives dues à une mauvaise gestion des deniers de l'Etat et un reniement des promesses tenues, reste calme et comme un lion en cage ne sort pas encore ses griffes. Le Sénégal de nos jours est victime d'une véritable crise des valeurs, ceci dans tous les domaines. On peut entendre par crise une manifestation aiguë d'un trouble physique ou moral chez une personne: crise cardiaque, crise de rhumatismes, crise d'asthme, crise d'entérite, etc. Mais ici, lorsque l'on parle de crise, il s'agit plutôt d'une période difficile dans la vie d'une personne ou d'une société ; d'une situation tendue, de l'issue de laquelle dépend le retour à un état normal. Il s'agit encore plus précisément, d'une désarticulation très profonde et marquée, entre une situation réelle vécue et des aspirations légitimes.
Mais il reste alors à savoir quelles sont les manifestations de la crise des valeurs au sein de notre communauté. Au plan politique, la figure du politicien est dévaluée et discréditée. En effet, tel un logicien damné, froid calculateur égoïstement intéressé, magicien alchimiste transformant toutes sortes de métaux en l'or qu'il adore : l'or de ses propres intérêts, le politicien fait feu de tout bois, et fait fi de toute foi et de toute loi. Adepte fanatique de l'accumulation et de la redistribution particulariste, son comportement égocentré nécessite de passer au scalpel de l'analyse, l'impensé de l'impossibilité à penser le politique en termes d'intérêt général et national ; de pluralité, de diversité, de globalité et de « multiterrorialité » des intérêts.
On semble assister à une sorte de dévoiement ploutocratique ou monarchique de la démocratie, et tout se passe alors comme si le pays était pris en otage par une famille, un club fermé de milliardaires et de multimillionnaires, lesquels, rêvant la vie dans une vie de rêve, ont souscrit à titre viager un contrat d'assurances multirisques, contre les aléas judiciaires et financiers, politiques, économiques et sociaux; réussissant toujours à faire leur jeu dans le jeu, pour toujours tirer leur épingle du jeu.
Comme s'il fallait être à des années lumières des préoccupations du peuple, pour mieux le divertir, tout en flattant cyniquement et narcissiquement son ego. La politique n'est plus alors un sacerdoce, car il ne s'agit plus de servir, mais de sévir pour mieux se servir, donc d'asservir. Habilement exécutée par des virtuoses de la scène, la politique devient une représentation théâtrale ; une tragi-comédie qui fait du peuple démuni, une dinde farcie, dévorée à toutes les sauces.
Quant à la figure du marabout, du guide religieux, du chef religieux -peu importe la terminologie-, jadis « soufi » et « mufti », ascète sage et savant, dévot tout à Dieu dévoué, il perd de plus en plus de sa crédibilité et de son autorité spirituelle et morale, en voulant exercer dans le domaine temporel des jeux de rôle qui travestissent son image et sa fonction. N'étant plus le canalisateur de la société, il bouleverse ainsi cette catégorisation des deux amours qui firent deux cités différentes selon Saint Augustin : « l'amour de soi au mépris de Dieu qui fit la cité terrestre, et l'amour de Dieu au mépris de soi, qui fit la cité céleste. »
Et que dire de la jeunesse, sinon qu'elle est en perte de repères, attirée par de faux modèles incarnant des antivaleurs, impatiente de réussir bruyamment sans se risquer à trop d'efforts ; ou voulant travailler sans trouver d'emploi, voulant s'instruire et se former sans en avoir les moyens ; ne croyant plus ni en elle-même, ni en son pays, ne trouvant de solution autre que celle de s'expatrier à tout prix en Europe, au risque d'y perdre la vie. Confrontés à des situations extrêmes, beaucoup choisissent d'immoler leur dignité à l'autel de leurs besoins matériels et l'attirance du « bling-bling » artificiel.
Dans cette situation socio-économique de sauve-qui-peut, les parents sont débordés et désarmés, ne sachant plus à quel saint ou quel marabout se vouer, perdant de plus en plus leur autorité, quant à l'inculcation à leurs rejetons de quelque idéal de vie. Pris dans le tourbillon de la crise, acculé par les urgences et les nécessités d'ordre alimentaire, l'intellectuel tend lui aussi à renoncer à sa mission de critique et de veille sociale, perdant de vue ainsi, que la pensée comme le dit Umberto Ecco, est une « vigilance de chaque instant. »
Mais est-il pertinent de parler de valeurs de développement pour l'Afrique en général et le Sénégal en particulier ? En effet, peut-on parler de valeurs de développement, dès lors qu'il est à constater une dépossession de la souveraineté économique, à travers une extraversion de la production et de la consommation ? Peut-on parler de valeurs de développement, dès lors qu'il est à constater une extraversion politique et idéologique, à travers le souci constant de se faire confirmer par les idéologies étrangères, maîtres à penser et seules références légitimes et vraies ? Peut-on parler de valeurs de développement, dès lors qu'il est à constater une extraversion culturelle, à travers la négation ou la déconsidération de nos propres valeurs culturelles ? Pendant longtemps a prévalu en théorie économique, le modèle de l'homme facteur économique, motivé par une rationalité utilitariste absolue, avant que le biais épistémologique de cette conception ne soit corrigé par le paradigme de « l'homme sociologique », qui laisse davantage de place aux motivations psychologiques, à l'influence de l'environnement ; qui met l'accent sur les rôles sociaux, dans l'interprétation des actions individuelles.
Cela étant, existerait-il en Afrique un modèle, un genre, celui purement africain, qui serait alors comme le dit Jean-François Bayart, d'une part un « homo manducans » essentiellement mû par des intérêts égoïstes, bassement matériels et sexuels, et d'autre part, un « homo fugens », un homme qui fuit, qui s'évite et qui évite d'affronter les situations auxquelles il est confronté ? Et qui, de plus, est un homme irrationnel et superstitieux.
Dès lors, quel sens peut-il y avoir alors à parler de développement des valeurs ? On pourrait penser de prime abord au droit comme moyen de production, de diffusion, de vulgarisation et de protection des valeurs, en sanctionnant positivement les comportements conformes à celles-ci, et négativement, ceux qui s'en éloignent. Mais ce serait oublier que pour être efficace, tout dispositif normatif répressif, a besoin d'être complété par un dispositif pédagogique et didactique, qui puisse agir efficacement sur les consciences : pour convaincre donc, plutôt que de contraindre sans être sûr de vaincre. C'est dire que l'inculcation des valeurs est au centre de la socialisation et de l'éducation des futurs citoyens.
Abondant dans le même sens, Christophe Grzegorczyk affirme : « Fonder le droit, ou tout autre ordre normatif, sur la force, c'est oublier encore une fois la liberté fondamentale de l'homme qui, pour se sentir obligé, doit filtrer les événements extérieurs - y compris ceux provoqués par la volonté d'autrui - par ses structures axiologiques, et prendre une décision, laquelle peut être conforme ou non à cette volonté, ce dont on ne peut jamais être sûr à l'avance. Il ne faut donc jamais oublier que le devoir est lui aussi un choix. »
Le développement des valeurs est une exhortation à réfréner la conscience du « Moi » personnel et égoïste, celle de la réalisation immédiate des pulsions instinctuelles, au profit de l'épanouissement de la conscience du « Soi », qui est celle du sage, qui ne se sent ni obligé, ni n'est ni obligé, ni n'a d'obligations, mais qui s'oblige lui-même ; il ne connaît pas le hiatus entre le désiré et le désirable. Le développement des valeurs doit être compris comme une augmentation qualitative et quantitative des motivations individuelles mues par l'intérêt collectif de réalisation du développement, entendu comme un processus continu de promotion du bien-être matériel et moral de l'homme, qui repose sur la production efficace, effective et efficiente, et la répartition équitable des richesses nationales, qui englobe donc pour dépasser l'aspect strictement économique, parce qu'il repose aussi et surtout sur « l'épanouissement socioculturel et spirituel de l'homme ; l'épanouissement de toutes ses facultés, de toutes ses virtualités en vertus », pour parler comme Léopold Sédar Senghor.
Ainsi, comme l'affirme Amadou Mahtar Mbow : « (…) Le développement doit avoir pour but ultime de rendre l'homme à lui-même, c'est-à-dire accordé à un espace qui magnifie son existence au lieu de la restreindre, à un temps réconcilié avec ses besoins et ses désirs, à une ville qui l'intègre au lieu de le rejeter, à une communauté devenue solidaire, à un travail qui lui confère dignité et liberté. »
Avec l'affaire de Ségura, le Sénégal n'est-il pas arrivé au summum de la crise des valeurs ? Est-ce raisonnable qu'un président de la république, garant du peuple, de son intégrité se croit tellement impuni jusqu'à accepter certains reniements, certaines manipulations pour le plaisir de quelqu'un fut-ce t'il le fils?
Peu importe les péripéties, les tenants et les aboutissants de l'affaire Ségura une chose est claire, « une somme substantielle » a été décaissée par les autorités sénégalaises en guise de cadeau. Méritait-il ce cadeau ? Une belle tapisserie de Thiès ou une belle statue de Soumbédioune n’aurait peut-être pas suffi, tout au moins ferait une bonne publicité pour l’économie sénégalaise prise à la gorge à cause de la crise. A-t'on oublié que sa seule mission était avant tout de fouiner dans les finances sénégalaises et veiller à ce que le Sénégal puisse rembourser au FMI, Banque Mondiale entre autres, dans les meilleures conditions, les crédits octroyés à ce pays. Mission bien accomplie, à chaque fois qu'il y avait des dépassements budgétaires, il tirait la sonnette d'alarme et n'hésitait pas à pointer du doigt les dérives de gestion du gouvernement. Est-ce bien dans la logique des choses, de distribuer des millions de francs CFA à des représentants d'organismes financiers impérialistes, au moment où les habitants de la banlieue dakaroise s'épuisent dans les inondations, les jeunes sénégalais ne peuvent plus rejoindre leurs salles de classe remplies d'eau depuis des mois ?
Mille questions ; mille réponses insensées et irresponsables ! Qu'en est-il des pauvres pères de famille et mères de famille qui ne peuvent inscrire leurs enfants à l'école pour moins de 15000f CFA, et qui, malgré tout, vident leur reste de monnaie dans des téléthons organisés par ci par là pour aider les déshérités du système?
La téranga sénégalaise, cette valeur cardinale qui était la spécificité de notre pays dans le monde entier depuis des millénaires, le nom accolé à tout sénégalais ; vous l'avez transformé en instrument de corruption et de dévotion à vos pratiques insensées. On blanchit son fils au détriment du fils d'un autre, on nomme ministre d'état ceux qui trainent les casseroles, on débauche les talentueux qui ont fait la fierté des sénégalais. Piètre alchimie, on marche sur la tête. Faut-il être médiocre, abuser de la confiance du peuple pour avoir la reconnaissance du chef ?
Peuple sénégalais, ce pelage et cette grâce, façonnés des siècles et des siècles durant, faisant de toi le roi des animaux, sont aujourd'hui salis par tes fils qui ne ménagent aucune bêtise humaine pour arriver à leur fin : la soif du pouvoir et de l'argent.
Pour faire oublier le livre de Latif Coulibaly, Maître Wade avait sorti de sa cape sa candidature à l'élection présidentielle de 2012, devant le silence coupable face aux questions légitimes sur l'affaire du pauvre Ségura, il sort un remaniement ministériel fantoche pour préparer le retour au bercail de cet autre Idrissa SECK, qu'il avait accusé de toutes les dérives jusqu'à prison s'en suive.
Avec cette affaire, que vous avez vite fait de ranger dans les oubliettes de l'histoire, comme tant d'autres encore, vous avez déshonoré le peuple sénégalais. Ce soir le lion n'est pas mort, le moment venu il remettra tout un chacun à sa place au jugement implacable de l'histoire. On peut abuser d'un peuple une fois mais pas tout le temps.
Vous les jeunes, vous faîtes plus de la majorité du peuple sénégalais, en 2000 vous étiez les enfants et les adolescents de ce pays. Vous avez vécu comme vos parents, qui avaient nourri beaucoup d'espoir en optant pour l'alternance, les pires déceptions. Pardonnez-nous d'avoir fait ce choix. Vous êtes aujourd'hui à plus de 75% en âge de voter, j'en appelle à vous. Comme le président Obama, prix Nobel de la paix, président des USA est un espoir de paix pour tout un monde, vous êtes l'espoir de tout un pays, le Sénégal. Permettez-moi de reprendre ces paroles devant le parlement ghanéen: « Ici je m'adresse particulièrement aux jeunes, à travers toute l'Afrique ……... »
« Et voici ce que vous devez savoir : le monde sera ce que vous en ferez. Vous avez le pouvoir de responsabiliser vos dirigeants et de bâtir des institutions qui servent le peuple. Vous pouvez servir vos communautés et mettre votre énergie et votre savoir à contribution pour créer de nouvelles richesses ainsi que de nouvelles connexions avec le monde. Vous pouvez conquérir la maladie, mettre fin aux conflits et réaliser le changement à partir de la base. Vous pouvez faire tout cela. Oui, vous le pouvez. Car en ce moment précis, l'histoire est en marche. »
Amadou DIALLO
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