Le patriotisme sénégalais, mythe ou réalités.
Le patriotisme Sénégalais mythes ou réalité.
« Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres. » Charles De Gaulle.
« Aux yeux du monde, nous devons être prêts maintenant à entreprendre ce changement. Nous prouverons ainsi à tous, que nous entamons graduellement notre renaissance afin de remettre sur les rails ce pays meurtri. Notre alliance interethnique ne sera féconde que si nous nous tournons vers l'avenir en laissant derrière nous un passé colonial, tout en acceptant notre part de responsabilité afin d'embrasser notre destinée. » Cheikh Anta Diop
Parler de patriotisme c’est tout d’abord de faire une différence essentielle entre patriotisme et nationalisme. Si le nationalisme est une idéologie destructrice, le patriotisme fait que le citoyen fait tout le nécessaire dans ses comportements quotidiens pour montrer qu’il aime son pays et qu’il est prêt à tous les sacrifices pour que celui-ci soit le premier parmi les autres. Selon donc le dictionnaire ces deux mots ont des définitions différentes et potentiellement antinomiques. Tout dépend de ce qu’on décide de mettre dans le contenu de chacun de ses deux concepts.
- Le nationalisme est une doctrine qui vise à privilégier très fortement l'intérêt national par rapport aux autres intérêts, qu'ils soient ceux des autres nations ou ceux des individus. Sous l'impulsion de certains gouvernants et dirigeants extrémistes de tous bords, qu'ils fussent fascistes, nationaux-socialistes, marxistes-léninistes ou anarcho-libertaires, le nationalisme a parfois dévié dans l'Histoire vers des manipulations conduisant hélas au totalitarisme et à la guerre.
- Le patriotisme au contraire, n'est pas une doctrine politique, mais un noble sentiment d'appartenance à un pays, à une région, un village, des valeurs communes. Le patriote est fier de défendre les intérêts de son pays et des valeurs auxquelles il est attaché, y compris par les armes et au péril de sa vie, s'il ressent cela comme son devoir d'homme et de citoyen.
Voila donc ce noble sentiment, cette volonté qui doit s’ériger en chacun de nous en dogme dans le seul but de faire de notre patrie le lieu où tout un chacun se plaît à vivre, de se sentir confortable chez soi. L’africain, le sénégalais en particulier a été aliéné par le colonisateur, les missionnaires de toutes sortes qui lui ont fait croire que ni sa culture ni son histoire n’avait de valeur. Ainsi donc la seule chose valable c’est ce qu’on a appris de l’extérieur, particulièrement du colonisateur. Ainsi Cheick Anta Diop de dire que : « Les spécialistes africains doivent prendre des mesures conservatrices. Il s'agit d'être apte à découvrir une vérité scientifique par ses propres moyens, en se passant de l'approbation d'autrui, de savoir conserver son autonomie intellectuelle jusqu'à ce que les idéologues qui se couvrent du manteau de la science se rendent compte que l'ère de la supercherie est révolue. La compétence devient la vertu suprême de l'Africain qui veut désaliéner son peuple. »
Par cette nouvelle vision des choses, on a perdu nos repères et c’est par tâtonnements qu’on essaie de se retrouver sur le bon chemin de l’esprit patriotique. Jusqu’à la nourriture qui a fait grandir nos ancêtres, on nous a fait comprendre que ce n’est pas bon ; dans la quête du salut dans cette jungle, le sénégalais a vu sa vie, ses pratiques et sa vision se modifier. Le seul objectif a été de rendre l’africain malléable à merci pour mieux le dominer et le coloniser au plus profond de lui-même. Par conséquent, l’éducation, les vertus ainsi que cet esprit patriotique qui ont motivé nos ancêtres dans la lutte contre les colonialistes sont remis au parking de l’histoire. Dans cette logique implacable de la défaite militaire nous avons aussi perdu nos âmes, et un peuple sans âme est un peuple appelé à disparaître ou à se renier.
Après les indépendances notre devoir était alors de relever un défi salutaire, celui de nous employer à donner à notre jeune nation une consistance renouvelée, où se conjuguent harmonieusement patriotisme authentique et esprit sénégalais. Si le patriotisme pour la génération des résistances coloniales consistait principalement, à l'époque, à lutter contre le colonialisme, il requiert aujourd'hui, de la part des nouvelles générations, une mobilisation totale pour prendre à bras le corps les problèmes lancinants de l'analphabétisme, de la pauvreté, du chômage des jeunes, de l'aggravation des disparités sociales et régionales. Il s'agit, au même titre, de gagner le pari de la modernisation démocratique, de rehausser l'indice de développement humain, d'accroître la production économique et de stimuler l'effort intellectuel et la création artistique? « Il n'y a aucune nation au monde qui puisse se vanter d'être arrivée au meilleur gouvernement possible, qui serait de rendre tous les hommes, non pas également heureux, mais moins inégalement malheureux ; en veillant à leur conservation à l'épargne de leurs sueurs et de leur sang par la paix, par l'abondance des subsistances par les aisances de la vie et les facilités pour leur propagation».
Ce Sénégal, pays des hommes lumineux, authentiques et intègres, ce pays de grands hommes d’Etat, terre des grands résistants, cette terre qui compte encore parmi ses fils de grands hommes que nous ne citerons pas par décence, oui ce Sénégal ne sombrera jamais dans la violence, la perdition et la destruction de l’esprit patriotique. Il fut une époque ou faire de la politique nécessitait plus que du courage, il fallait presque de la témérité aveugle, et ils étaient là, ces Sénégalais dignes fils d’Afrique, bravant l'impérialisme, subissant la répression sauvage et humiliante. Nous leur devons un témoignage de gratitude et de souvenir intense. Ils se sont battus pour l'indépendance nationale et pour l'instauration de la démocratie. À nous de travailler pour une démocratie participative et le développement de notre pays. Nous leur devons bien ça. Faisons juste preuve d’humiliation et d’esprit patriotique. Ce concept d’esprit patriotique cher à nos yeux est très complexe à définir. Loin de parler de « sénégalité » qui s’apparente au concept de nationalisme tant décrié, l’homme sénégalais doit se distinguer des autres par ses vertus, ses comportements et sa dignité qui doivent être sa marque de fabrique.
Il y a là un rapport étroit avec le patriotisme et par soucis d'excès, nous dirons juste que « être sénégalais c'est aimer le Sénégal ». Nous ne vous parlons pas d'amour comme l'ont supposé les colons, avec leur cohorte de malheur et de destruction, mais d'amour dans le sens de la réflexion philosophique. Cet amour qu'éprouvaient les grands hommes du Sénégal pour leur patrie. Le Patriotisme est un sentiment d'appartenance à un pays, qui renforce l'unité selon des valeurs communes. C'est un état d'âme, d'esprit qui pousse quelqu'un à ressentir de l'amour et de la fierté et à défendre les intérêts de son pays. Il ne faut pas le confondre avec le chauvinisme, qui en est sa manifestation excessive voire agressive, et il doit être distingué du nationalisme, qui est une idéologie politique à l’origine d’une multitude de guerres au cours du dernier siècle.
Le patriotisme sénégalais ou l’esprit sénégalais, devrait se manifester dans plusieurs points, mais on se contentera que de n’en développer que trois principaux qui devront régir inéluctablement le développement de notre pays :
- premièrement le patriotisme sénégalais doit être géographique ou social qui se manifeste par l'attachement au territoire, à la terre investie comme la mère-patrie par la conscience d'un «nous» du dedans auquel s'oppose au dehors « l'autre », l'étranger. La mère-patrie est regardée comme le sol ou le terreau où s'édifie la culture propre et avec elle la conscience d’une identité personnelle qui dépasse l'individu et sans laquelle cet individu ne serait rien ; notre esprit sénégalais devrait faire du Sénégal, le plus beau et le plus grandiose des pays du monde. Aimer son pays c'est s'aimer tout simplement.
- en second lieu le patriotisme culturel dans lequel la culture se présente comme prisme où se réfracte le mouvement de la civilisation ; la fierté d'écouter Youssouf Ndour, ou Baaba Maal, de lire Senghor ou Cheikh Anta Diop, de vibrer à l'écho que laissent les tam-tams de Doudou Ndiaye Rose. Ceci ne devrait pas être une tache difficile. Le Sénégal n’est plus à présenter dans cette optique de l’universalité de la culture. Notre pays a apporté, apporte et continuera à apporter sa contribution en faisant vibrer le monde, aux rythmes des sonorités et à la beauté des plumes de ses dignes fils. Des villages les plus isolés aux lieux branchés de la capitale, Dakar, la culture sénégalaise s’est fait connaitre dans le monde entier, par son goût pour les sports traditionnels, la musique, la danse, le vêtement, le travail créatif et ingénieux de tout matériau à portée de main, les moments de convivialité liés aux repas et les fêtes, ses grands hommes dans le champ de l’intellectualité et des sports, sans oublier, un attrait indéniable pour l'échange et la communication orale qui facilitent nos rapports avec les autres et nous protègent de tous conflits interethniques ou politiques et qui fondent la « téranga sénégalaise ».
- en dernier lieu le patriotisme juridique inspiré de la tradition sénégalaise qui nous inspire au partage, à la vérité et au bien honnêtement acquis. Le pouvoir appartient au peuple et il doit le rester. Dans La démocratie participative, comme nous le concevons, les citoyens élisent des représentants qu'ils chargent d'établir les lois, lesquels demandent ensuite aux citoyens de valider ou d'invalider, par référendum, les lois proposées. C'est même l'essence d'une famille africaine. Le père de famille, même si sa décision est prise ; se permet d'avoir l'avis de sa femme et même de son entourage. Si on suppose que le Sénégal est une famille, la participation du peuple dans les décisions de cette famille qu’est le pays est essentiel. Nous éviterons d’entrer dans le débat sur la démocratie, mais qui connait l’histoire, sait que la démocratie est africaine pour ne pas dire sénégalaise. Les décisions se sont prises sous l’arbre à palabre. Principal système sociopolitique au Sénégal avant cette foutue colonisation, la palabre fait référence à ces assemblées où étaient librement débattues quantité de questions et où sont prises les décisions importantes concernant la communauté. Ainsi, se réglaient les conflits latents ou apparus dans diverses situations très concrètes. Réunis généralement sous «l’arbre à palabre», les participants ont tous droit à la parole et peuvent exposer en public leurs plaintes et demandes, ainsi que celles de leur groupe.
Ce faisant, nous aurons allié patriotisme sincère et citoyenneté positive pour l'édification d'un Sénégal fondé sur la démocratisation concomitante de l'Etat et de la société, un Sénégal garantissant à ses fils une digne citoyenneté à la mesure de l'affection sincère qu'ils vouent à leur patrie. Il s'agit de promouvoir l'éducation à la citoyenneté de façon à ce que tout un chacun se sente responsable et de sensibiliser la population sur le comportement à adopter face aux devoirs qu'il doit accomplir envers sa nation et également envers ses compatriotes. Il n'existe, en effet, point de citoyenneté sans patriotisme, et encore moins de patriotisme sans citoyenneté. L'actuelle crise des valeurs au Sénégal appelle à une telle refondation des bases de notre société pour ne pas faire de notre patriotisme un mythe. Aujourd’hui le Sénégal vit un véritable « déficit moral et éthique ». Selon Mamadou Lamine Diallo, les notions « d’éthique et de morale » étaient longtemps relevées au second plan dans notre société. Mais, actuellement, elles sont devenues des questions d’intérêt général. D’où l’importance de leur examen à l’aune de la crise des valeurs. « Le réarmement moral et éthique suppose préalablement un armement et un désarmement. Agir, selon son désir, c’est revenir à l’état de nature. La fragilisation des prescriptions et des recommandations ont donné naissance à la crise des valeurs. Cette crise est favorisée par l’argent, le paraître, l’insolence et la culture people ». Selon lui, « la morale n’a pas un autre but qu’elle-même ; et l’éthique vise à améliorer le réel, à rechercher le bon, le bonheur ».
Faisant un diagnostic du champ d’application de la crise des valeurs, Mamadou Lamine Diallo soulignera que le phénomène est avant tout institutionnel. « Les institutions sénégalaises sont malmenées. Elles servent à résoudre un problème politique ; donc, elles sont pour une clientèle politique », a-t-il constaté. Or, argumente-t-il, les institutions sont basées sur des valeurs partagées. « La défense de ces valeurs reste fondamentale pour un réarmement moral et éthique », a-t-il soutenu.
De son point de vue, le réarmement moral suppose également une indépendance de la Justice. « Le report d’élections, les fréquents changements institutionnels sont, à mon avis, des facteurs favorisant la crise des valeurs », a fait noter Mamadou Lamine Diallo, selon qui « l’émergence citoyenne » doit être l’alternative à la crise des valeurs.
Selon le Pr. Dioum de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Dakar, « il faut articuler la société à un contexte de mondialisation qui impose une manière de voir, de penser et d’agir ». Cependant, réplique Mamadou Lamine Diallo, « la mondialisation produit des valeurs et tend à vouloir les standardiser. Elle est en train de conduire le monde dans une direction qu’on ne peut pas comprendre ». Pour sa part, le Dr Mame Marie Faye estime que « Les Sénégalais ne se rendent pas souvent compte du degré de maladie de leur pays en ce qui concerne la crise des valeurs ». Pour elle, « il faut changer les mentalités pour se développer. Tous les peuples qui aspirent au développement doivent prendre en compte cette dimension ». Pour ne pas que le patriotisme sénégalais reste à jamais un mythe, il faut remettre à plat la formation des enseignants et le programme scolaire afin qu’il soit plus proche de nos valeurs fondamentales.
Un vrai Citoyen n’était-il pas celui qui accomplit son Devoir dans un Etat de Droit.
Amadou DIALLO
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