Débat sur l'identité nationale en France
Débat sur l'identité nationale, de quoi a peur cette vieille nation européenne ?
Invité de la presse, Eric Besson, ministre de l'immigration et de l'identité nationale, a annoncé le lancement d'un grand débat public sur l'identité nationale avec, pour corollaire, la réaffirmation de la fierté d' « être français ». Ce débat arrive presque aujourd'hui à son terme à l'Assemblée Nationale, et, ce que le président Sarkozy n'a pas eu le courage d'affirmer son ministre n'a pas hésité à porter le poids de la vérité sur leur pensée. La France a peur, peur de perdre son âme et son identité devant la mondialisation, le brassage des cultures et l'avancée de l'Islam.
Eric Besson se fait donc, plus que jamais, la cheville ouvrière du modèle antirépublicain et nationaliste. Ce débat est tellement sérieux qu'il ne pouvait se faire à la veille des élections fussent-elles régionales ? Ce modèle s'est engouffré dans le vide idéologique ambiant et postule la régénérescence d'une communauté nationale à l'identité forte, une « France imaginée », pour reprendre l'expression de l'historien-sociologue Pierre Birnbaum, qui tourne sciemment le dos au cosmopolitisme. La France est née d'une volonté politique de vivre ensemble fondement d'une nation et non d'un déterminisme géographique. C'est la force de l'autorité politique, sa centralisation et le rôle des religieux qui ont fait que des peuples que rien ne prédisposait à vivre ensemble de se retrouver et de fonder depuis des siècles la vieille nation française. Cet idéal révolutionnaire et républicain d'une nation composée d'individus homogènes, atomisés, anomiques, est en rupture avec le passé monarchique qui ne doit être nullement remis en cause par des idéologues de la dernière pluie. Aujourd'hui, la France républicaine se revendique «une et indivisible».
Ce modèle, de la France repliée sur elle-même, représente une stratégie délibérée et savamment menée de conquête des idées, préalable à la conquête du pouvoir. La « lepénisation des esprits », qui s'est opérée pendant vingt ans dans notre pays, a trouvé son incarnation politique à peine allégée dans le sarkozisme. Il est navrant de constater qu'à la veille de toutes échéances électorales on nous sort l'identité nationale, les tares de l'immigration comme l'origine de tous les maux dont souffre la France.
Là où Le Pen parlait clairement dans ses imprécations xénophobes et racistes d'«invasion musulmane» ou d'«invasion de ressortissants de pays du tiers monde», le sarkozisme y substitue l'image volontairement énigmatique, floue et imprécise de «l'immigré clandestin». Cet artifice de langage permet ainsi de catalyser impunément les discours les plus extrêmes en les parant de l'auréole de la légalité et de la défense de la cause du Français moyen, présenté comme la seule victime impuissante du « mondialisme » et de « l'Etablissement ». Les amis de Sarkozy parlent plutôt volontiers de «bien pensante» ou bien reprennent à leur compte des expressions qui ont fait florès telles que « pensée unique », « bobos », ou « conformisme intellectuel ». A nos jours le sarkozisme croit à la France d'origine chrétienne dans tous ses fondements jusqu'aux bases de sa république. Que peut-on peut dire alors de Montesquieu, apôtre de la séparation des pouvoirs et de Jean Jacques Rousseau concepteur de la démocratie en tant gouvernement du peuple par le peuple.
Le sarkozisme est une menace en action qui a su habilement exploiter un mouvement populaire largement interclassiste autour de l'idée selon laquelle il y aurait une « France qui se lève tôt » pourvoyeuse de richesses, par opposition à une « France qui se lève tard » constituée de chômeurs, d'immigrés et de musulmans vivant d'aides sociales ; une « France chrétienne » qui a toutes les bonnes vertus par opposition à la « France musulmane », usurpatrice des droits des femmes, porteuse de tous les maux et victime de tous les amalgames. La seconde étant elle-même victime de forces qui la dépassent et qui profitent de la porosité des frontières, d'une générosité nationale excessive, d'une politique qui nierait le mérite, la promotion sociale par le travail, qui raccourcirait abusivement le temps de travail alors qu'il faudrait au contraire « travailler plus pour gagner plus », et contribuer plus à la richesse de la France.
Le sarkozisme a exploité cyniquement la revendication identitaire, et non un patriotisme éclairé et paisible, la défense d'une France réinventée et fantasmée, qui se rassemblerait dans une formule à la fois magique et creuse annonçant le retour de l'âge d'or : «Ensemble, tout devient possible.». C'est pour cette raison qu'il a suscité un engouement impressionnant et bénéficié d'une large assise électorale ainsi que du travail de sape de la «lepénisation des esprits» évoquée plus haut. Jamais des promesses aussi radicales et précises ne furent martelées avec autant d'assurance que durant la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. La désillusion actuelle est donc à la mesure du grotesque du président de la République, et la désaffection des Français est proportionnelle à ses mensonges.
Cependant, le décrochage de Sarkozy et de ses sbires dans l'opinion ne doit pas faire illusion. Le poison a été inoculé. Il circule dans le corps de la Nation qu'il contribue à dessécher. Il porte atteinte de plus en plus à la perception que le pays a de lui-même au point de laisser libre cours aux obsessions relatives à une identité nationale homogène fermée aux immigrés, à la sauvegarde de la culture et des traditions françaises.
Ministre zélé, Eric Besson exploite cyniquement l'angoisse identitaire et le fantasme d'une Nation culturellement homogène pour assouvir uniquement sa carrière politique. Le sarkozisme procède à un abaissement généralisé de l'action politique au niveau de l'instinct, notamment de celui qui consiste à pisser autour de soi pour marquer son territoire. Et Besson, l'homme des basses œuvres, s'en glorifie et complète à tout venant les aspirations cachées de son maître à penser.
Discuter des moyens de mieux réguler les flux migratoires relève de l'action politique et il n'y a aucune raison qu'une partie des français ne participe pas au débat. Mais lier cette discussion à la question oiseuse de l'identité nationale part d'un présupposé idéologique d'autant plus inquiétant qu'il est contraire à tous les principes sur lesquels la République est fondée. A ce titre, la France qui n'a pas peur et qui croit à sa force, ne peut qu'y opposer une fin de non recevoir.
La droite en général et la droite sarkoziste en particulier n'ont d'ailleurs aucune leçon à donner en matière de patriotisme et d'identité nationale car il leur est arrivé à maintes reprises d'être peu regardante et, surtout, de pratiquer un double discours absolument écœurant vis-à-vis de ses ressortissants. Combien de fois la France a renié ses propres nationaux sous l'autel de l'intérêt économique ou idéologique ; ni les « tirailleurs sénégalais » naguère du camp de Thiaroye, ni les « arquis » d'aujourd'hui ne me démentiront jamais.
Tous les débats sur l'identité nationale passent à côté du problème principal des ressorts de l'intégration économique des immigrés qui seule permet leur intégration sociale. Malheureusement une société proposant à foison des droits sans contrepartie productive n'est pas viable, très largement parce qu'elle instaure le conflit de droits comme mode de régulation sociale. La souplesse, la flexibilité et la « capacité absorptive » d'une société où les « droits à » viennent de la création de valeur et où les prix sont libres est, comme par le passé, la seule réponse au défi de l'immigration et de l'intégration dans une société ouverte. Malheureusement au moment des « trente glorieuses » la France a fait appel à des immigrés qu'elle a parqué dans des cités ghettos ou des foyers sans veiller à leur intégration, il s'en suit une population qui a perdu toutes ses repères et rendant le débat sur l'identité nationale de faux et non approprié. C'est quoi « fier d'être français » si étant né en France, grandi en France au cours d'un entretien pour du travail on vous pose la question couperet : « vous êtes de quelle origine ? » L'origine, la couleur de peau ou la religion est-elle une tare indélébile qui empêche d'être reconnu non pas pour ses compétences mais pour des considérations funestes. Peut-on être fier d' « être français » quand on se sent dépourvu de tout, même de la capacité d'éduquer ses enfants, quand dans chaque village français il y a une église qui trône en bonne place et dans l'autre sens on refuse aux autres de pratiquer convenablement leur religion au nom d'une certaine vision de la France. Les grandes nations de demain ce seront celles qui auront réussi par faire de leurs différences des atouts. L'universalisme est irréversible, être réticent c'est accepter de se retrouver au bord de la route.
Après le travail douloureux d'unification menée par les rois et plus encore par les républiques, la France paraît apaisée... Mais les braises de l'édification nationale sont encore rouges sous la cendre et l'inquiétude vive à l'égard de toute menace qui pourrait affecter le consensus si péniblement atteint. Faut-il s'étonner dans ces conditions de l'émotion qui a emporté le pays en 2003 lorsqu'a surgi la querelle du voile islamiste et à nos jours du développement de l'islam radical qui empêche de dormir dans les chaumières? A la raison de l'histoire française on peut affirmer aujourd'hui sans risque de se tromper : être français à nos jours n'est pas une question de couleur de peau, de naissance ni de religion c'est tout simplement une question de responsabilité et d'exigence personnelle. L'identité nationale ne peut être dés lors codifiée par un quelconque gouvernement mais voulue et acceptée par tout un chacun dans son fort intérieur dans un esprit patriotique et républicain.
Au moment de la mondialisation et de l'internet, qui a fait du monde un village planétaire ; cette « vieille France, dans une vieille Europe » cher à Dominique de Villepin ne trouvera sa force et son salut que dans le « métissage culturel universel » cher à Léopold Sédar Senghor et au rendez-vous du « donner et du recevoir » d'Aimé Césaire.
Amadou DIALLO
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