Le scandale des Fonds secrets au Sénégal
Le scandale des fonds secrets au Sénégal une plaie qui a pris force depuis 2000
Ce 4 Novembre 2009, à l’entrée de Thiès Maître Wade et son fils d’emprunt se retrouvent et chacun de son côté de se forcer à un sourire hypocrite devant les photographes et les caméras de tous bords. Leur réconciliation sur fond de farce s’est donc passée comme lettre à la poste et la presse, qui en avait fait ses choux gras pendant quelques jours, comme d’habitude en de pareilles occasions, n’en pipe pratiquement plus mot. Les rares compatriotes qui manifestent encore de façon sporadique leur indignation sont copieusement rabroués et mis au pas des sénégalais qui ne comprennent plus rien de leurs mœurs, de leur téranga sénégalaise et coutumes. Pourquoi pas, leur rétorque-t-on tout simplement, puisque Idrissa Seck comme tout citoyen sénégalais a été totalement blanchi par la Justice de son pays et s’est réconcilié avec son père protecteur? Ainsi donc ses retrouvailles sont normales et rien à ajouter, passons. Oui, j’ai envie de rajouter, d’accord il a été blanchi dans l’affaire dite des « Chantiers de Thiès.» Qu’en est-il pour les autres affaires ? Qui n’est pas finalement blanchi dans ce Sénégal des libéraux, où le non-lieu est devenu le principe tandis que la condamnation l’exception, tout au moins chez les affidés de Maître qui nous gouvernent et nous mènent dans leur barque folle?
Maître Wade et son fils d’emprunt ont la part belle et beaucoup de mérite, puisqu’ils règnent sur un peuple sans mémoire et peut-être sans plus de capacité de révolte et d’indignation. Même si Idrissa Seck a été totalement blanchi dans l’affaire dite «des « Chantiers de Thiès », il ne l’a pas encore été, en tout cas pas à ma connaissance, dans les accusations particulièrement graves dont son père nourricier l’a accablé le 1er mars 2007 en exhibant une lettre de reconnaissance de dette de son fils. Le silence du peuple sénégalais conforterait vraiment les deux complices dans leur certitude que les sénégalais sont des moins que rien et malléables à merci. Si nous passions aussi facilement l’éponge sur la honteuse réconciliation du 4 novembre 2009 alors nous leur donnions quitus pour une prochaine forfaiture. En tant que patriote, je m’y refuserai en tout cas personnellement et dans le cadre de mes moyens si minimes, qui sont la réflexion et l’écriture, je dénoncerai leur duplicité et leurs engagements pour lesquels ils n’ont aucune espèce de respect.
C’est le lieu de rappeler au peuple sénégalais, les évènements qui ont suivi la victoire de Wade pour son second mandat qui devait à jamais marqué leur esprit. Au soir du 27 février 2007, Me Wade est donné vainqueur du scrutin, dès le premier tour. Le 1er mars 2007, la Cour d’Appel le déclare réélu provisoirement le temps de vérifier tous les procès-verbaux. C’est l’occasion qu’il attendait pour faire sa première apparition désinvolte à la télévision dite « nationale ». Les téléspectateurs ont alors découvert un vieux président revanchard et manquant manifestement de grandeur et de magnanimité. Il pilonna à l’artillerie lourde et sans état d’âme ses pauvres adversaires défaits, les accusant de tous les péchés de Satan et ignorant une règle élémentaire et coutumière: on ne tire pas sur une ambulance. Ce jour-là, souvenons-nous-en, il accusa gravement son « fils » et ancien Premier ministre et fit, le concernant, une grave et terrifiante révélation, oubliant déjà qu’il l’avait totalement et publiquement blanchi un peu plus d’un mois auparavant. Il révélait donc : « Nous étions dans une sorte de jeu d’échec à distance. Il m’a demandé à sortir de prison. Je lui ai demandé de rapporter l’argent qu’il avait pris. Et il s’est engagé à rembourser l’argent qu’il avait pris. »
Et pour enfoncer encore plus son « fils », pour s’enfoncer lui-même encore plus; il brandit à la surprise générale, le fameux « Protocole de Reubeuss ». Dans ce document en date du 29 décembre 2 005, rappelons-le, il est mentionné : « Je soussigné, Monsieur Idrissa Seck, ex-Premier ministre du Sénégal, m’engage, dès ma libération, à remettre à Maître Ousmane Sèye et à Maître Nafissatou Diop, pour le compte de Monsieur Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal, la somme de 7 milliards de FCFA à titre d’acompte sur les fonds politiques pour l’organisation des élections législatives et présidentielles de 2 007. Les élections générales de 2 012 seront financées sur le reliquat des fonds. » Le président nouvellement réélu continue, en verve ses accusations : « Nous pensons qu’il y a entre quarante milliards et plus déposés dans un compte trust à New York chez un avocat. La Justice a fait des commissions rogatoires dans le cadre des accords judiciaires. (….). La France a donné un rapport et, de ce pays, nous avons reçu pratiquement toutes les informations. Il reste le Luxembourg, la Suisse et surtout les Etats-Unis. » Notre président affairiste, financier et accusateur d’ajouter que les tentatives de M. Seck de planquer des milliards au Luxembourg se sont soldées par un échec, les autorités de ce pays s’y étant opposées. Ce 1er mars 2007, nous apprendrons encore de sa bouche, que les fonds spéciaux qui sont une autorisation de l’Assemblée nationale, s’élèvent à 620 millions de francs Cfa et, qu’avec Idrissa Seck, qui « glanait des fonds à droite et à gauche », ils sont montés à 14 milliards. Le mot est lancé : « les fonds spéciaux», l’histoire de Wade et Idy se ramène à une histoire de gros sous.
Ce qui était plus cocasse encore, c’est que Me Wade voulait nous faire croire qu’il n’avait été pour rien dans tous ces milliards et que c’est Idrissa Seck qui les « a glanés à droite et à gauche » et, tenez-vous bien, à son insu, dégageant ainsi toute forme de responsabilité. Quand même ! Sommes-nous aussi sots pour croire à cette histoire ? M. Seck ne s’est pas laissé faire. D’ailleurs, pour ce qui est de la gestion de ces fameux fonds spéciaux et de leur « alimentation » rocambolesque, il s’était déjà longuement expliqué devant la Commission d’Instruction de la Haute Cour de Justice, en faisant des révélations gravissimes.
Donc, de la bouche même du président de la République, Idrissa Seck a planqué à l’extérieur des dizaines et des dizaines de milliards de francs Cfa, qui n’ont rien à voir avec les fonds spéciaux et l’affaire dite des « Chantiers de Thiès ». Revenons d’ailleurs à cette sortie fracassante du président affairiste, le 1er mars 2 007 ! Nous nous souvenons encore qu’il affirmait, en se frappant la poitrine : « Je peux lui pardonner tous les torts qu’il m’a faits, mais l’argent du contribuable, jamais ! » Ainsi donc ces fameux « fonds spéciaux » votés par l’Assemblée Nationale mis à la disposition du président de la république pouvaient servir d’alibi à toute forme de corruption et de détournement.
Quid de ses fameux fonds spéciaux ? Au Sénégal comme dans tout pays démocratique digne de ce nom, les finances publiques sont extrêmement contraignantes : pour dépenser de l'argent public, c'est long, coûteux et compliqué. En général, dans le circuit administratif habituel, une personne décide une dépense et une autre paye. Tout cela suit une procédure qui prend dans le meilleur des cas entre trois semaines et un mois. Forts utiles, les fonds spéciaux évitent de passer par toute cette procédure. Ils apportent un peu de souplesse, c'est incontestable dans la gestion des affaires de l’Etat.
Dans les faits, on met une somme d'argent à la disposition du Président de la République et du Premier ministre pour remplir principalement deux missions. : La première sert au fonctionnement des services secrets sénégalais. On ne peut pas faire autrement et détailler les comptes de ce service dans la loi de Finances ! Qui parle de services secrets parle évidemment de finances secrètes. Il faut savoir également que, si besoin est, les services secrets peuvent demander des rallonges au Premier ministre, via le ministre de la Défense. Pour la seconde mission, cela peut être tout et n'importe quoi : financer des campagnes politiques, acheter des voix, corrompre des responsables religieux ou des dignitaires du régime mais surtout à payer des collaborateurs dans les cabinets ou leur apporter un complément de salaire. Ce qui est très critiquable, c'est le fait de payer en liquide les fonctionnaires grâce à ces fonds. C'est de l'argent totalement défiscalisé. C'est totalement anormal : il est très rare qu'une personne qui reçoit de l'argent en liquide le déclare de son propre chef aux services fiscaux… C'est une atteinte flagrante au principe de l'égalité des contribuables devant l'impôt, contenu dans les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.
Devant toutes les manipulations qui ont eu lieu en rapport avec ses « fonds secrets » faisant que ces deux acolytes n’ont plus de « problèmes d’argent », qui va désormais accorder le moindre crédit aux engagements de ces deux mystificateurs. Nous leur ferons de moins en moins confiance, si nous nous reportons à leurs déclarations antérieures. Nous passerons sur cette méchanceté du « fils » qui rappelait au « père » ce qu’il fut : un simple spermatozoïde ; et ce qu’il deviendra en dernier ressort : un vulgaire cadavre que se disputeront les vers de terre. Nous ne rappellerons pas non plus, qu’en plusieurs occasions, il déclarait sur tous les toits que « la page Wade est tournée, définitivement tournée ». Le « père » n’était pas en reste : le 1er mars 2007, en réponse à une question sur le profil de l’homme ou de la femme qui devrait lui succéder : « … En tout état de cause, ce n’est pas Idy. J’ai rompu définitivement avec lui. Nous nous retrouverons devant Dieu. » Et il répéta, comme pour s’en convaincre lui-même : « Ce ne sera pas lui, il faut qu’il le comprenne. »
Aussitôt avait-il dit qu’il rendrait publique la gestion de la comptabilité dressée sur la gestion des fonds politiques sous son magistère, le forum civil le prit au mot et l’invita à l’émission « objection » sur Sud FM. Cependant il posa trois conditions pour cela.
Première condition : que le chef de l’Etat accepte de déclassifier par décret ce qu’il interprète comme un sceau du secret entourant la gestion des fonds publics. Ou encore deuxièmement : qu’on l’implique dans une procédure judiciaire qui l’impose. En dehors de ces deux possibilités, l’ancien Premier ministre posait comme troisième condition que la presse ou la société civile, notamment le Forum civil en formule publiquement la demande au président de la République ou bien à lui-même. Le voilà pris au mot, car dans une lettre ouverte qui lui a été adressée, le Forum civil l’exhorte à prendre ses "responsabilités devant l’Histoire et devant le Peuple sénégalais en rendant publique les états de la comptabilité de l’utilisation de ces fonds" qu’il détient par devers lui. Ce qui est déplorable c’est d’utiliser la constitution pour échapper à tout contrôle et passer outre toute forme de condamnation et faire le lit de toutes formes de magouille et de détournements. Le seul fait de poser des conditions dans la publication de la gestion des fonds secrets pose problème.
Véritablement, il n’existe aucune astreinte légale postulant la non diffusion d’informations sur la gestion des fonds incriminés. Les fonds politiques étant logés dans la rubrique des « Fonds spéciaux de la Présidence » partagent cette rubrique avec le « Fonds de la solidarité africaine » qui est destiné à des interventions de l’Etat sur le continent et les « Fonds secret-défense » qui ne peuvent être susceptibles de divulgation. Ils ne sont pas soumis au contrôle et la classification de leur usage relève de la libre appréciation du président de la République, indique-t-on à Idrissa Seck. Et de poursuivre : " Il s’agit de crédits évaluatifs, donc susceptibles de connaître un dépassement par rapport à leurs dotations initiales que seule la loi de règlement peut révéler. Or, depuis 1997, aucune loi de règlement n’a été adoptée au Sénégal. Dès lors, il est quasiment impossible d’évaluer le niveau d’alimentation de ces fonds depuis cette date. Une telle situation ouvre la voie à tous les abus possibles et imaginables de la Constitution au regard de ses principes de transparence et de bonne gouvernance ainsi que de la loi de finance (du droit budgétaire)". Or: "le budget de l’Etat, comme tout le monde le sait, est une autorisation de recettes mais aussi de dépenses, laquelle autorisation est délivrée par le parlement. Donc, il est impossible d’alimenter directement et sans autorisation par voie de loi rectificative, des fonds inscrits au budget de l’Etat par des ressources « extra – budgétaires ». Une confusion souvent faite en ce qui concerne la dotation des fonds politiques, estime le Forum civil qui pense qu’ils devraient normalement être mis à disposition à partir du budget de l’Etat en vertu du principe de l’unicité de caisse. Poursuivant le Forum civil soutient qu’" il nous est apparu dans les différents scandales qui ont éclaté ces dernières années, qu’il existait d’autres sources d’alimentation non autorisées comme les fonds de la pêche dans le cadre de Sénégal 92 ou encore le prêt bancaire de 2 milliards contracté auprès de la CBAO pour alimenter directement ces fonds. Bien évidemment, cette 2ème modalité de dotation est illégale car elle devrait normalement faire l’objet d’une loi de finance rectificative et mise à disposition par le truchement du Trésor. A la lumière des scandales révélés à propos de la gestion des fonds publics, on comprend aisément l’attitude de défiance des citoyens à l’égard de la politique". Le Forum civil s’inquiète du désintérêt sans cesse croissant des Sénégalais vis-à vis de la politique et de l’espace public à cause du fait qu’ils pensent que l’activité politique au Sénégal n’a pour seule finalité que l’enrichissement personnel.
Au mois de Septembre dernier Mr Alex Segura recevait une valise bourrée de dollars et d’euros remis par le président lui-même. Sa corruption découverte il n’hésita pas à trouver un premier alibi basé sur la téranga sénégalaise, devant le levier bouclier il changea de fusil d’épaule et les « fonds secrets » lui servirent de nouveau d’échappatoire.
En Amérique du Nord, en France, en Allemagne, ou dans un autre pays démocratique digne de ce nom, un Abdoulaye Wade et un Idrissa Seck, tels que nous les connaissons depuis le 1er avril 2000, n’auraient jamais eu le toupet de se présenter à une quelconque élection. Ils n’en auraient d’ailleurs ni le temps ni l’opportunité, puisqu’ils seraient sûrement derrière les barreaux, pour de très longues années.
C’est donc manifestement manquer de vigilance citoyenne et faire montre de naïveté, d’irresponsabilité, peut-être même de crime, que de leur témoigner encore sa confiance. Notre pays mérite bien mieux que ces deux individus-là, qui ont fini de nous convaincre de leur discrédit et de leur disqualification. Les maigres emplois dits fictifs de la Mairie de Paris et l’affaire Cleastream, qui valent aujourd’hui respectivement à Jacques Chirac et à son ancien Premier ministre Dominique de Villepin leurs sérieux déboires avec la Justice française, sont une peccadille par rapport à la rocambolesque rénovation de l’avion de commandement ou aux 15 millions de dollars de Taïwan qui nous sont passés sous le nez, pour aller sûrement garnir un compte dans un paradis fiscal.
L’histoire des fonds secrets, qui s’est amplifiée au cours des dernières années faisant passer le budget de la présidence de 9 milliards sous Diouf à plus de 70 sous Wade, « risque d’hypothéquer l’avenir de notre pays si des mesures vigoureuses ne sont pas prises pour mettre un terme à la rupture entre les principes fondateurs de la République et les pratiques politiques et institutionnelles des acteurs porteurs de la décision publique », martèlent Mamadou Mbodji et ses camarades. D’autant plus que de telles mesures permettraient de redonner confiance à tous les partenaires au développement du Sénégal. Le Forum civil ne manque d’interpeller également le président de la République pour que soit supprimé au Sénégal un système qui permet de maintenir un mécanisme d’évasion et de détournement presque légalisé des recettes de l’Etat impunément alors qu’il "peine à répondre à la demande sociale". La classe politique sénégalaise par rapport à une telle exigence est également interpellée. « Aucune raison d’ordre moral, culturel ou politique ne saurait fonder l’opacité dont on veut entourer l’utilisation d’une partie de l’argent public, réuni grâce aux contributions laborieuses de millions de « gorgorlu » pour préserver la prétendue « sutura » de quelques citoyens. Le combat pour la transparence au Sénégal exige que l’on quitte le champ des pétitions de principe pour s’investir sur le terrain des actions concrètes ». Si ces fonds sont censés financer l’activité politique, "le chevauchement des fonctions de Secrétaire Général de parti et de Président de la République admis par la Constitution risque d’en faire un mode de financement des partis au pouvoir, au détriment de l’opposition". Ce constat peut raisonnablement craindre "une rupture du principe de l’égalité des citoyens devant la loi entre ceux qui militent dans l’opposition et ceux qui sont au pouvoir". Autant d’errements, qui militent en faveur de la "suppression des fonds politiques et spéciaux".
Amadou DIALLO
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