La marche vers l'indépendance "1945 - 1960". Quel rôle a joué L.S.Senghor?
La marche vers l’indépendance « 1945 – 1960 ». Quel rôle a joué L.S.Senghor ?
Que Léopold Sédar Senghor ait, dès 1945, pensé à l’indépendance du Sénégal, quoi de plus naturel de la part d’un des trois inventeurs du concept de négritude ? Et cela, dans un monde où le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un principe universellement accepté et reconnu. La marche vers l’indépendance du Sénégal a été pacifique mais difficile et les difficultés sont venues des Africains eux-mêmes, sinon au moins autant que l’ex-colonisateur.
Le Président Senghor est l’un des artisans majeurs d’une mutation historique accomplie dans la paix : la transformation des territoires d’Afrique subsaharienne dépendant de la France en États indépendants. Il a exprimé et formulé lui-même les deux principes qui inspirèrent constamment son action : le droit à l’indépendance et l’amitié avec la France.
Il disait que « l’indépendance nationale, c’est le droit sacré, inaliénable de tout peuple qui se veut nation, qui est animé... d’un commun vouloir de vie commune, droit de disposer librement de soi, de choisir sa vie originale, je veux dire d’élaborer, par soi-même et pour soi-même, en restant fidèle à son génie, ses institutions culturelles, politiques, sociales, économiques. Seule cette liberté, dans sa fidélité à son être, permet à des populations diverses par la race et le clivage social, de se rassembler en peuple ». On peut rajouter : constituer une nation dans le vrai sens du terme.
Cette indépendance des pays d’Afrique, Senghor l’a voulue dans l’amitié avec la France car disait-il : « malgré les erreurs et les tares de la colonisation que l’histoire jugera comme un moment naturel, je ne dis pas légitime de son mouvement dialectique, à travers ces erreurs et ces tares, le peuple de France n’a jamais renié complètement l’héritage de la Grande Révolution de 1789 ». Il a ajouté devant le Général De Gaulle que : « si nous entendons réaliser notre indépendance nationale, comme vous en reconnaissez la légitimité historique, ce n’est pas contre la France, mais avec la France, dans un grand ensemble franco-africain, par voie amicale et constitutionnelle ».
Pour comprendre la longue marche du Sénégal vers sa souveraineté internationale, il faut remonter aux élections législatives du 02 Janvier 1956, à la suite desquelles le gouvernement Edgard Faure sera remplacé, le 26 Janvier, par le gouvernement Guy Mollet. Senghor en ce moment était secrétaire d’état à la Présidence du Conseil. Avant lui, sous la IVème République, un seul africain, Lamine Gueye lui aussi sénégalais, l’avait été pendant un mois dans le gouvernement Léon Blum, du 18 Décembre 1946 au 16 Janvier 1947. Senghor s’était intéressé aux projets de réforme des territoires d’outremer et il l’avait fait dans l’esprit du congrès tenu à Bobo-Dioulasso, en Haute-Volta, par les Indépendants d’Outremer, en 1953. Il proposait notamment la création de Conseils de gouvernement fédéraux, à Dakar et à Brazzaville.
Les élections de Janvier 1956 marquent une double défaite pour Senghor : en Métropole, le MRP auquel les Indépendants d’Outremer sont apparentés passe dans l’opposition et, en AOF, les sept Députés RDA et les deux Socialistes sont plus nombreux que les six députés Indépendants. Senghor sort du gouvernement où entre son adversaire Houphouët Boigny, en qualité de ministre délégué auprès du Président du Conseil.
En même temps, Gaston Defferre nommé Ministre de la France d’Outremer, décide de faire voter rapidement une loi-cadre accordant l’autonomie interne aux territoires d’Outremer : ce sera la loi du 23 Juin 1956 votée à l’Assemblée par 487 voix contre 99. Le vote de cette loi ne plaît pas du tout à Léopold Sédar Senghor. La loi décentralisait à l’échelon du territoire. Il eût voulu que la décentralisation fût opérée à l’échelon du groupe de territoires A.O.F. et A.E.F. Senghor avait le souci d’empêcher que Dakar ne devint, telle la Vienne du traité de Saint- Germain, la capitale hypertrophiée d’un pays trop petit. Il prévoyait déjà l’indépendance et pensait qu’elle ne serait valable et viable que si les pays, devenus souverains, pesaient d’un poids suffisant pour se développer et assoir leur indépendance.
Pour l’essentiel, la loi consiste à élargir les compétences des Assemblées Territoriales élues au suffrage universel et à créer, dans chaque territoire un conseil de gouvernement dont le vice-président qui deviendra en 1958 président est élu par l’Assemblée qui peut le renverser. En revanche, rien n’est prévu pour les gouvernements généraux des deux fédérations AOF et AEF qui ne gardent que les services communs et un rôle de coordination.
Dans le débat parlementaire, les critiques de Senghor portent principalement sur ce point : « vous balkanisez l’Afrique » dit-il, « vous allez à l’encontre de son aspiration à l’unité ». Il s’abstiendra dans le vote, sous prétexte que ces réformes ne sont – je le cite – que « bonbons et sucettes ». Il exagère un peu par la véhémence de son propos, l’autonomie est un pas vers l’indépendance. De l’avis général, la loi-cadre n’était en effet qu’une étape. L’avenir allait opposer les Africains entre eux. Léopold Senghor commençait à parler de « Commonwealth à la française ». Il préconisait une reconnaissance de l’indépendance des territoires africains regroupés entre eux, qui pourraient, dans un second temps, constituer par un traité une confédération avec la France. Le Rassemblement Démocratique Africain, conduit par le Président Félix Houphouët-Boigny — attaché à l’autonomie des territoires, considérant les moyens énormes qu’exigeait le développement de l’Afrique et la part principale que devrait y prendre la France — tenait à ce que la solidarité entre la France et l’Afrique ne jouerait au mieux que dans le cadre d’une fédération. Les deux thèses allaient s’affronter au cours de l’élaboration de la constitution du 4 octobre 1958.
Son combat n’est pas terminé car la loi cadre sera suivie d’une vingtaine de décrets d’application : les premiers datent du 3 Décembre 1956 mais les derniers ne seront publiés que le 22 Juillet 1957, plus d’un an après le vote de la loi. Senghor convoque, à Dakar, un congrès des Indépendants d’Outremer, du 11 au
13 Janvier 1957. Une « Convention africaine » est fondée qui réclame aussitôt la création en Afrique française de « deux fédérations qui constitueront deux états susceptibles d’être intégrés dans la République fédérale ». Pourquoi Senghor tient-il tellement à la fédération ?
Ø Essentiellement, pour une raison politique : la balkanisation fera éclater la grande et forte AOF en huit petits états faibles : Sénégal, Mauritanie, Guinée, Soudan (Mali), Côte d’Ivoire, Haute-Volta (Burkina Faso), Niger et Dahomey (Bénin) aux frontières tracées par le colonisateur et contestables car ne tenant pas compte des solidarités ethniques.
Ø Mais aussi parce que la Fédération profite beaucoup au Sénégal. Senghor ne le dit pas mais Houphouët insiste sur ce point et il n’a pas tort compte tenu des potentialités économiques de la Côte d’Ivoire.
Dernier Gouverneur Général de l’AOF, Monsieur Pierre Mesmer a été chargé en 1959, de la dévolution des biens de la Fédération. Un rapport montre que les investissements immobiliers réalisés en AOF de 1930 à 1958, s’élèvent à quinze milliards de francs dont huit milliards ont été dépensés dans la seule ville de Dakar. Senghor continue à se battre et il a l’espoir de réussir car deux territoires seulement sur huit sont irrévocablement hostiles à la Fédération : la Côte d’Ivoire, lasse de servir de « vache à lait » et la Mauritanie où la majorité arabo-berbère blanche refuse d’entrer dans un état fédéral dominé par les noirs.
Houphouët n’arrive pas à convaincre son parti de le suivre : au congrès de Bamako, en 1957, dix sections territoriales du RDA sont représentées par deux cent cinquante quatre délégués. Seul le Gabon de Léon M’ba appuie Houphouët ; tous les autres sont fédéralistes, avec Sékou Touré qui est élu vice-président. En cette même année 1957, les syndicats africains se détachent des syndicats métropolitains et constituent, lors de leur conférence intersyndicale du 13 Janvier « L’Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire » (UGTAN) dont le président est Abdoulaye Diallo, vice-président de la Fédération Syndicale Mondiale, entièrement et directement contrôlée par Moscou. Il réclame la Fédération et l’indépendance immédiate.
Sur le terrain, la politique fédéraliste de Senghor est donc soutenue par la majorité des dirigeants africains, politiques et syndicaux qui espèrent entraîner derrière eux la masse rurale indifférente. Tout change avec le retour au pouvoir du Général de Gaulle en Mai 1958. Le projet de Constitution tient compte de la volonté de Félix Houphouët, Ministre d’Etat, mais il ne ferme pas la porte aux fédéralistes. L’article 76 prévoit que les territoires qui auront adopté la Constitution devront s’ils décident de changer de statut, choisir de devenir ou bien départements d’Outremer ou bien Etats membres de la Communauté, groupés ou non. Les regroupements sont donc possibles mais seulement s’ils sont volontaires : la France ne les imposera pas.
Senghor va se trouver dans une situation très inconfortable. Le Parti du Regroupement Africain (PRA) qu’il préside tient son congrès à Cotonou du 25 au 27 Juillet 1958 et réclame l’indépendance immédiate, c'est-à-dire une réponse négative au référendum constitutionnel qui aura lieu le 28 Septembre. Que dire aux Sénégalais qui semblent divisés ? Et il faut décider rapidement puisque le Général
de Gaulle terminera sa tournée africaine à Dakar, le 26 Août, dans moins d’un mois.
Il choisit une solution peu glorieuse : le silence et l’absence. Ce jour-là il est à Vichy, en compagnie de Mamadou Dia, sous prétexte de cure thermale, tandis que De Gaulle s’adresse à la foule réunie en fin d’après-midi Place Protêt - aujourd’hui Place de l’Indépendance – au Sénégal. Aux porteurs de pancartes groupés au fond de la place revendiquant « Indépendance immédiate », « Nation fédérale africaine », « Unité africaine », « je veux dire », s’écrie le Général De Gaulle, d’une voix sonore diffusée par une sono bien réglée, ceci : « S’ils veulent l’indépendance, qu’ils la prennent le 28 Septembre ». Le lendemain, De Gaulle plutôt pessimiste, quitte Dakar pour Alger mais le Ministre de la France d’Outremer, Bernard Cornu Gentile reste encore deux jours. Il a été Gouverneur Général de l’AOF, quelques années plus tôt, et connaît bien le Sénégal. Il pense, comme Pierre Mesmer, que les Sénégalais approuveront la Constitution, malgré les opposants et le silence de Senghor. Lamine Gueye et ses amis socialistes y sont favorables et les chefs religieux, très influents, n’aiment pas les porteurs de pancartes. Le Ministre invite : Seydou Nourou Tall, Ibrahima Nasse grand marabout de Kaolack, Falilou M’Backé Khalife général et chef indiscuté des Mourides, Ahmed Tidiane Sy chef des Tidianes à se prononcer sur les décisions à prendre. En accord avec eux, il rend publique leur décision favorable qui devient ainsi irrévocable. Pour les remercier, il leur fait quelques promesses que Pierre Mesmer devra tenir.
Quand Senghor rentre à Dakar quelques jours plus tard, il lui est facile de prendre ouvertement parti en faveur de la ratification du projet de Constitution qui sera voté par une très large majorité de Sénégalais lors du référendum du 28 Septembre 1958. En application d’une ordonnance du 7 Octobre 1958, les territoires ayant approuvé la Constitution, c'est-à-dire tous les territoires français d’Afrique, à la seule exception de la Guinée devenue indépendante par son vote négatif, doivent choisir dans un délai de quatre mois leur futur statut. En AOF et en AEF, tous choisissent le statut d’Etat membre de la communauté. En application de l’article 76 de la Constitution, Senghor et Modibo Keita décident d’unir le Sénégal et le Soudan français dans une fédération qui prend le nom de Mali.
Lors des élections on obtient les résultats suivants pour le Sénégal : Inscrits 1 110 823 – Exprimés 893 272 – Oui 870 362 – Non 22 910. Dans la forme que lui avait donnée la Constitution de 1958, la Communauté ne vivra pas longtemps : le 11 Septembre 1959, Madagascar et le Mali réclament l’indépendance dont la Guinée de Sékou Touré les fait rêver. Ils renouvellent leur demande lors de la sixième réunion du Conseil Exécutif de la Communauté, à Saint-Louis le 12 Décembre. De Gaulle y était prêt et les prend au mot. A Dakar, le 13 Décembre, devant l’Assemblée Fédérale du Mali réunie sous la présidence de Senghor dans ce qui avait été la salle du Grand Conseil de l’AOF, il annonce sans regret : « Le Mali et, avec lui les Etats qui le composent vont accéder, avec l’appui, l’accord et l’aide de la France, à la souveraineté internationale ».
Dans trois semaines commencera 1960, l’année des indépendances. Le Mali n’y survivra pas longtemps : il éclatera moins d’un an après sa formation. Peut-être Senghor et ses amis comprirent-ils enfin que les grandes fédérations d’AOF et d’AEF, création de la France, ne pouvaient pas survire à la souveraineté française, son administration et son armée. Les échecs ont souvent des conséquences désastreuses. Tel n’a pas été le cas pour Léopold Sédar Senghor. Son utopie d’une fédération africaine d’états centrifuges est morte et enterrée, il s’est consacré au Sénégal dont il a été le premier Président, et un grand Président qui a su construire cette nation prélude aux grands états. Au moment venu, il a assuré sa succession, ce qui a manqué à beaucoup de ses collègues. Sa volonté intacte d’unir les hommes s’est appliquée à un terrain plus vaste que l’Afrique. Il proposera et fera accepter la belle idée d’organiser la francophonie.
Le rêve est devenu réalité pour Senghor, obtenir l’indépendance en gardant de bonnes relations avec l’ancien colonisateur. Le ciment de cet ensemble est fait de l’adhésion commune à cette civilisation de l’universel dont il avait inventé le nom et dont il aimait tant parler. Il est fait de sympathie, du sentiment, ou, pour user d’un terme cher aux Africains, de la fraternité créée par le temps vécu ensemble, des souvenirs communs et du sang versé sur les mêmes champs de bataille pour la défense de la Liberté.
Amadou DIALLO
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