Entre légalité et légitimité, Laurent Gbagbo est-il un Putschiste?
Entre légalité et légitimité, Laurent Gbagbo est-il un Putschiste ?
Depuis quelques jours, les médias et la communauté internationale sont unanimes : « Alassane Dramane Ouattara a gagné l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire avec 10 points de différence et Laurent Gbagbo tente par tous les moyens de se maintenir au pouvoir contre le résultat des urnes ». On se trouve devant un conflit entre ce qui est légal d’une part et ce qui est légitime d’autre part. Si Alassane Dramane Ouattara se place dans la case « légitime », Laurent Gbagbo est sur la case « légal ».
On peut définir ces deux mots comme suit :
Légal : Signifie ce qui est fondé sur la loi ou qui est conforme à la loi (la loi étant une prescription issue d'une autorité afin d'organiser, de réglementer la vie sociale). La légalité est nécessairement ce qui est obligatoire, absolu ou forcé.
Légitime : Signifie ce qui est naturellement juste, ce qui est fondé. Le mot « Légitime » a un sens plus général que « légal », il peut donc être légitime de s'opposer à ce qui est légal, comme la morale peut s'opposer à la politique.
Les notions de légalité et de légitimité possèdent une racine commune, qui est la notion de loi. Cependant, la légitimité semble s’étendre au-delà de la simple conformité à la loi qu’exprime la légalité. Sur la base de cette dissymétrie, on peut se demander si le légal est nécessairement légitime. Or, si le questionnement se porte d’abord sur les concepts de légalité et de légitimité, à leurs renvois respectifs au domaine du droit positif et du politique pour l’un et à l’idée de justice et à l’éthique pour l’autre, la réflexion se doit d’envisager les conséquences pratiques d’une exigence de légitimité.
Si le pouvoir politique s’exerce via la loi, exiger de lui une légitimité quant à son exercice, revient à le circonscrire, sinon à le limiter. Or, qui est susceptible d’exprimer une telle exigence et de l’appliquer ? Le pouvoir légal lui-même ? La conscience politique des citoyens ? Quoi qu’il en soit, c’est le fondement de l’édifice politique qui se trouve mis en question par l’exigence de légitimité.
Ainsi donc, cette lecture des évènements en côte d’Ivoire nie la complexité et la spécificité de ce scrutin, le réduisant à une énième forfaiture d'un président-dictateur africain et renforçant l'image d'une Afrique composée de Républiques bananières décidément bien mal parties. En prenant position de manière si nette et si partiale, l'ONU, l'Europe et la France en particulier, trop contente de donner des leçons à un Président qui s'était opposé à elle, ne font qu'attiser les rancœurs et les haines, et n'aide pas à une solution pacifique. D’ailleurs les évènements de ces derniers jours montrent combien a été aiguisé le nationalisme ivoirien, mettant à néant les menaces répétées de la communauté internationale.
Après les élections du second tour en côte d’Ivoire tout le monde a conscience qu'Alassane Ouattara aurait dû gagner ces élections. Sa popularité est-t-elle que personne ne pouvait douter de son échec. Mais est-ce pour autant à l'ancienne puissance colonisatrice de proclamer les résultats ?
On reproche souvent aux dirigeants africains de ne pas respecter le droit, les constitutions et aujourd'hui on exige de la Côte d'Ivoire de proclamer son Président en dehors de tout cadre légal ? Une élection est une procédure juridique, pas une acclamation populaire. La France ou les Nations Unies ne sont-ils pas tombés dans leur propre piège ?
De toute évidence, la légalité est incontestablement du côté de Gbagbo. Ouattara, qui détient la légitimité, connaissait bien les règles du jeu et les avait acceptées au même titre que tous les autres candidats à l’élection présidentielle. Même si la communauté internationale a financé l’organisation de ces élections par la CEI, même si elles devaient être certifiées par les Nations Unies, il n’en demeure pas moins que c’est le Conseil Constitutionnel qui devait en dernier ressort donner les résultats définitifs. Les médias français ne cessent de répéter que le Conseil constitutionnel est pro-Gbagbo, et ses décisions seraient par conséquent non-valides.
Pourtant, le caractère partisan du Conseil constitutionnel français, que personne ne nie, n'autorise pas les médias français et encore moins les médias étrangers à rejeter ses décisions. Pour cela il suffit seulement de voir sa constitution et la nomination de ses membres pour voir le caractère partisan de cette institution française au même titre que celle ivoirienne.
Le Conseil constitutionnel ivoirien est une institution souveraine. Passer outre représente un vrai danger pour la démocratie. C’est d’ailleurs ce que disait le président Barack Obama à Accra, « l'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais d'institutions solides ». Les membres du Conseil constitutionnel ne sont pas tous des chefs de tribu clientélistes mais bien des magistrats compétents qui jugent en droit, avec la marge d'interprétation que leur autorise leur prérogative, exactement comme cela se passe en France ainsi que dans les pays dits « démocratiques ».
Une vision binaire oppose une CEI -Commission électorale indépendante- intègre et un Conseil constitutionnel partisan. Mais quel média français, en dehors de RFI, a relayé que la CEI, est au deux tiers composée de partisans de Ouattara ? Qui a informé que Youssouf Bakayoko, président de cette même CEI, est « pro-Ouattara » autant que Paul Yao N'Dré, le président du Conseil constitutionnel, est « pro-Gbagbo » ?
Où a-t-on pu lire que les résultats de la CEI proclamant la victoire de Ouattara ont été annoncés à partir de son QG de campagne ? Quelle crédibilité donnerions-nous à une élection présidentielle française si ses résultats étaient délivrés du siège de l'UMP, rue de La Boétie à Paris?
La réalité est pourtant simple : la plus haute institution de Côte d'Ivoire a décidé, au vu de différents éléments, d'annuler les résultats dans certains départements, comme cela se passe régulièrement en France, à Perpignan, à Corbeil-Essonnes, peut-être bientôt dans la région Ile-de-France. N’a-t-on pas vu ici en France des responsables politiques bourrer leurs chaussettes de bulletins de vote ? Rien ne nous permet de juger de la réalité ou non de ces fraudes, et de contester une décision qui a été prise en toute légalité.
Bien entendu, cette décision pose une question politique inévitable : en annulant en bloc les résultats de départements qui votent habituellement à plus de 80% pour le RDR de Ouattara, le Conseil constitutionnel a permis à Gbagbo de repasser en tête.
Or, fraude ou pas fraude, il est politiquement anormal ; mais constitutionnellement valable que certains départements n'aient pas pu exprimer leur vote. Laurent Gbagbo sait bien que sa défaite est trop large pour être imputée à de seules fraudes. Il s'oppose donc à l'idée de faire revoter ces départements ; et pourtant c’est cela que le Conseil constitutionnel devait faire en prenant plus de garantie dans leur organisation.
Cette issue est pourtant la seule qui semblait à même d'apaiser la Côte d'Ivoire. C'est sur ce point que pourraient jouer Ouattara et la communauté internationale. Il faut accepter le jeu institutionnel qui a invalidé certains résultats tout en déposant des recours pour faire revoter les habitants de Bouaké, Korhogo, Boundiali, Dabakala, Ferke, Katiola, Beoumi et Sakassou.
Il n'est pas normal que le vote des Ivoiriens de ces différents départements ne soit pas pris en compte dans le résultat final comme si ils étaient des citoyens de seconde zone. Quoi qu'on en dise, Laurent Gbagbo est un légaliste. Il respecte l'Etat de droit. Il est le seul président ivoirien à avoir accepté de perdre une élection -législative- en 2001 ouvrant une courte période de cohabitation avant l'irruption de la rébellion.
En tentant de s'imposer contre le droit ivoirien, en revendiquant le soutien de la communauté internationale et de la France comme une source de légitimité, en nommant l'ex-chef de la rébellion, Guillaume Soro, Premier ministre et ministre de la Défense, Alassane Ouattara joue un jeu très dangereux. Il donne raison rétrospectivement aux théories nationalistes de Gbagbo, il comble le fossé de l’ « ivoirité » et se présente comme le candidat de l'étranger qui veut s'imposer contre le cadre légal de son pays et pour ensuite corroborer la théorie de ses accointances avec la rébellion. Laurent Gbagbo a beau jeu de dire maintenant aux Ivoiriens « je vous l'avais bien dit ».
Ni la France, ni l'ONU n'ont à s'ingérer dans les affaires d'un Etat souverain qui respecte le droit. Personne n'est intervenu de l'étranger pour demander la démission de Georges Bush en 2000, ou pour commenter le financement de la campagne de Balladur en 1995, voire même la nomination au ministère de l'Intégration d'un individu condamné pour injure raciale. On fait confiance à nos systèmes de régulation interne pour gérer les difficultés rencontrées dans les pays occidentaux respectifs.
Le droit n'a pas été violé en Côte d'Ivoire mais plutôt c’est la légitimité qui a été foulée du pied ; tout a été fait pour donner une majorité à Gbagbo si minime soit-elle. On peut commenter et critiquer une décision juridique sans menacer les institutions. On peut avoir un discours politique offensif sans contester le cadre constitutionnel dans lequel il a été pris. Mais ne nous permettons pas de parler de coup d'Etat quand les gendarmes français qui avaient tiré avec des balles meurtrières sur la foule en 2004 sont actuellement déployés dans les rues d'Abidjan.
En déplaçant le problème ivoirien par le biais de l'analogie qui peut être établie entre d'un côté le couple droit/justice, et de l'autre le couple légalité/légitimité, on aperçoit la signification profondément culturelle de la notion de légitimité considérée comme une valeur politique en soi. Si la légitimité des gouvernants peut être réduite sans difficulté à la notion de légalité, cette réduction semble en revanche impossible à faire quand on considère le régime politique lui-même et sa constitution.
On ne saurait parler à leur propos de légalité, puisque régimes et constitutions sont les sources de la légalité et que celle-ci n'est donc que la conséquence de ceux-là. Dans ce cas on voit bien que la légitimité indique beaucoup plus que la conformité avec la loi. La légitimité apparaît alors comme en correspondance sur le plan politique avec les sentiments, les mœurs, les comportements et les idées généralement diffus dans une communauté. C'est la force de l'opinion pour emporter l'adhésion dont parlait déjà Hume dans les « Political Essays ». Bien plus ; il faut affirmer, surtout à l'horizon de la mondialisation, le poids décisif de la légitimité, et sans que celle-ci soit réduite à la légalité, dans tous les secteurs de la vie nationale et internationale où se manifestent l'adhésion, l'acceptation par l'opinion publique d'un régime politique. Avec la mondialisation, l'opinion publique sort du cadre étroit de la nation, et s'internationalise. Ne pourrait-on dire alors que c'est au nom d'une légitimité élargie qu'on justifie le droit d'ingérence et l'intervention humanitaire ? Dans tous ces cas, la fondation et la justification du pouvoir ne peuvent être offertes par la loi positive. La légitimité, ou plutôt les critères de légitimité, sont historiquement changeants en raison de la pluralité des principes impliqués.
Ils expriment certaines tendances générales d'une culture et d'une époque qui dépassent le cadre de l'expérience culturelle et politique d'une seule communauté. Cela est encore plus évident de nos jours où la démocratie -au moins verbalement- apparaît universellement comme la seule forme légitime de pouvoir. Comme le montrent les analyses du grand historien italien Gugliemo Ferrero, la légitimité agit comme régulateur historique non seulement de la stabilité nationale, mais aussi de l'ordre et de la stabilité internationale -voir : Pouvoir: les génies invisibles de la cité, Paris, Plon, 1944-.
En conclusion de cette analyse, il convient de dire qu’en côte d’Ivoire il y a aujourd’hui un conflit entre pouvoir légal et pouvoir légitime. A dire vrai, dans cette affaire, tout le monde est plus ou moins piégé par le génie machiavélique de Laurent Gbagbo. D'abord, la communauté internationale (ONU, Union africaine, CEDAO et Union Européenne), dont on est bien curieux de savoir ce qu'elle peut faire maintenant, au-delà des simples récriminations de circonstance. Un embargo, des pressions ou d'autres sanctions semblables ne feraient que braquer davantage une mécanique qui s'est déjà emballée et bien huilée. Ensuite, ADO et ses partisans : ils sont bien contrariés, eux qui sont dépourvus de la puissance publique, des médias et n'ont aucune emprise sur le cours des événements.
On se retrouve dans une situation où on n’a plus de choix ; alors que faire ? Se retrancher dans le Nord ? Ce serait porter un coup dur à l'image de rassembleur et de président de tous les Ivoiriens à laquelle tient particulièrement ADO. Reprendre les armes ? Ce serait confirmer a posteriori le lien ombilical que d'aucuns prétendaient percevoir entre le leader du RDR et les rebelles du 19-Septembre. Jeter ses militants dans la rue ? Autant les envoyer à l'abattoir et écorner, par la même occasion, l'image du pacifiste qui ne veut pas voir sa victoire tachée du sang des siens.
Suite aux tueries du 17/12/2010 qui a fait plus d’une quinzaine de victimes, Alassane Ouattara est comme un poisson pris dans la nasse et cherche comment sortir de ce traquenard politico- juridique, son rival, toute honte bue, gouverne en se disant que tous ceux qui crient aujourd'hui à la forfaiture finiront bien par se taire, s'accommodant plus ou moins du fait accompli.
Le choix de l’embarras fait que le président légal et celui légitime doivent se mettre autour d’une table et de discuter sur l’avenir de la Côte d’Ivoire. Aimer son pays c’est aussi savoir s’asseoir sur son égo pour l’intérêt de celui-ci. Ni la France, ni l’O.N.U, ni la communauté internationale ne mettront leurs intérêts en-dessous de ceux de la Côte d’Ivoire. Depuis 2002, les accords de Marcoussy et de Ouagadougou ont permis l’organisation des élections sous l’égide des Nations Unies et un espoir de paix en Côte d’Ivoire. Des accords similaires peuvent permettre à nos prétendants au pouvoir de s’accorder sur un partage de celui-ci, pourquoi pas Laurent Gbagbo président de la république et ADO premier ministre constituant un gouvernement d’union nationale pour l’intérêt de tous les ivoiriens. Il est temps d’appliquer la jurisprudence kenyane en Côte d’Ivoire, dans l’impossible il faut organiser de nouvelles élections et mettre hors-jeu les deux prétendants actuels ADO et Gbagbo pour que vive la Côte d’Ivoire, toute la sous-région et l’Afrique dans son intégralité.
Amadou DIALLO http://adiallo132009.blog4ever.com/
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