DIALLOBEDUCATION

L’indépendance des anciennes colonies africaines fêtées le 14 Juillet 2010 en France ; quelle honte !

Les quatorze chefs d'Etats des anciennes colonies françaises vont se retrouver à Paris, le 13 juillet prochain, veille de la fête nationale de la France, pour la vraie fête du cinquantenaire de leurs indépendances. Un symbole! Une honte! Le 14 juillet, ils se retrouveront aux premières loges pour observer individuellement le rythme des pas de leur armée nationale sur les pavés de l’Avenue des Champs Elysées. Y a-t-il meilleure preuve que c'est bien la France qui décide pour nous après plus de 50 années d’indépendance et qu'il n'y a jamais eu d'indépendance véritable? Il a fort à parier que tous les 14 présidents des anciennes colonies françaises feront le déplacement de Paris sauf le président Ivoirien qui enverra son ministre de la Défense.

Nos chefs d'Etats ne pourraient-ils pas nous épargner pareille humiliation? Votre présence en France ce 14 juillet montre votre capacité à fouler du pied la lutte de vos ancêtres pour l’indépendance dont vous vous prévalez aujourd’hui, vous donnez à la France les moyens pour se dédouaner du tort qu’elle a fait subir à l’Afrique. La génération de vos ancêtres vous a laissé l’indépendance, que laisserez-vous pour la génération future ?

Avez-vous oublié l’histoire de l’Afrique et de la France ? Vous me direz que le recrutement de soldats parmi les sujets de l'Empire est une pratique universelle, commune à tous les grands États, de Rome de la Chine à la Grande-Bretagne en passant par l'empire ottoman et l'Espagne. Notons que c'est avec ses troupes marocaines, les redoutables tabors, que le général Franco est entré en guerre contre le gouvernement républicain en juillet 1936 en Espagne.

Pendant plus d'un demi-millénaire, la France a aussi abondamment recouru à des volontaires étrangers : Écossais, Irlandais appelés : les «oies sauvages», Suisses, Allemands, Polonais... Tous ont servi avec dévouement le souverain ou la République. La Légion étrangère, fondée en 1830, a prolongé cette pratique jusqu'à nos jours. Les légionnaires piégés dans la cuvette de Diên Biên Phu, en 1954, étaient en majorité, rappelons-le, des Allemands laissés pour compte de la Wehrmacht et non des tirailleurs africains comme on veut le faire croire en cas de défaite.

Pendant la première mondiale, dix bataillons de tirailleurs sénégalais et un de malgaches sont dès 1914 engagés sur le front. Blaise DIAGNE élu premier député noir soutient la France dans cette démarche. Mais ils ne peuvent longtemps tenir du fait de leur inaccoutumance au froid et aux maladies locales... A la fin de la guerre, toutefois, le Président du Conseil Georges Clemenceau se souvient d'eux et les affecte en grand nombre dans l'armée qui va occuper l'Allemagne à dessein d'humilier celle-ci. Mission réussie: leur présence réactive le nationalisme et la haine de la France. On évoque la «Honte Noire» !

Au cours de leur progression en Afrique noire, les officiers français des troupes coloniales : l'infanterie de marine, commencent à recruter aussi des supplétifs indigènes, en l'occurrence des bataillons de tirailleurs sénégalais. Fort de son expérience coloniale, le général Charles Mangin, qui a participé à l'expédition de Fachoda, publie en 1910, peu avant la Grande Guerre, « La Force noire ». Dans ce livre à succès, il présente l'Empire comme une réserve inépuisable de chair à canon susceptible de compenser la faiblesse de la population métropolitaine en cas de conflit avec l'Allemagne.

Les troupes coloniales ignoraient toutes les enjeux géopolitiques auxquels elles sont mêlées mais obéissaient par fidélité et devoir à l'égard de leurs chefs et officiers. Elles sont renforcées par des recrutements complémentaires dans toutes les colonies, souvent de force, parfois pour des raisons alimentaires.

Elles sont d'abord engagées avec parcimonie dans la Grande Guerre car l'état-major n'est pas aussi convaincu que Mangin de leur utilité. Les troupes coloniales, notamment nord-africaines, sont présentes à Verdun mais c'est surtout en 1917, pendant l'offensive du Chemin des Dames, qu'elles seront engagées en masse.

Sur 8 millions de soldats mobilisés « dont 1,4 million tués ou disparus », la mobilisation des troupes coloniales aura concerné :

– 175.000 Algériens (dont 35.000 tués ou disparus),

– 40.000 Marocains (dont 12.000 tués ou disparus),

– 80.000 Tunisiens (dont 21.000 tués ou disparus),

– 180.000 Africains noirs (dont 25.000 tués ou disparus),

– 41.000 Malgaches (dont 2.500 tués ou disparus),

– 49.000 Indochinois (dont 1.600 tués ou disparus),

– Total : 565.000 (dont 97.100 tués ou disparus).

Précisons que les troupes coloniales comptent, en plus de ces effectifs, beaucoup d'Européens. De nombreuses unités sont mixtes et les corps de zouaves sont depuis belle lurette uniquement constitués d'Européens!

Le premier de ces bataillons de tirailleurs africains est constitué le 21 juillet 1857, sous le Second Empire, sur une suggestion du général Louis Faidherbe. Ses hommes sont d'anciens piroguiers du Sénégal ou des esclaves affranchis. Les tirailleurs dits sénégalais seront ultérieurement enrôlés dans toutes les colonies d'Afrique noire, sur la base du volontariat ou... de force «selon une pratique qui a eu cours aussi dans les pays européens, y compris en Grande-Bretagne pour le recrutement des marins ». Ces tirailleurs vont acquérir une grande popularité lors des défilés sur les Champs-Élysées à cause des victoires engrangées et occultées par les responsables politiques français.

La IIIe République poursuit avec la création de bataillons de tirailleurs annamites, tonkinois et malgaches ainsi que de chasseurs algériens, de spahis marocains, de goumiers et de méharistes sahariens. Les tirailleurs sénégalais et d’Afrique du Nord étaient des combattants hors pair par rapport aux tirailleurs asiatiques de petite taille et plus aptes aux métiers de police.

La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) a vu les troupes coloniales tenir normalement leur place dans les combats de 1940 qui voient l'invasion de la France par les Allemands. Plus nombreuses que lors de la précédente guerre, elles comptent près de 500.000 hommes, Européens compris. Sur un total de 60.000 militaires français tués pendant l'invasion, un tiers appartiennent à ces troupes coloniales ! Les tirailleurs sénégalais couvrent la retraite. Non seulement ils endurent de lourdes pertes mais ils doivent s'attendre à être fusillés en cas de capture par les Allemands, ces derniers les considérant comme des «sous-hommes».

Début 1943, lorsque l'heure de la Libération approche, le général Henri Giraud, commandant en chef civil et militaire de l'Afrique du Nord, reconstitue les forces françaises. Il recrute en masse les jeunes Européens d'Afrique du Nord : 176.000 au total, soit 45% des hommes mobilisés, y compris la classe 1945 enrôlée par anticipation ! Ces troupes subiront jusqu'à la capitulation de l'Allemagne un taux de pertes de 8% comme le rappelle l'historien Daniel Lefeuvre.

Le général Giraud, avant d'être évincé par son rival le général de Gaulle, enrôle aussi des indigènes (153.000 en Afrique du Nord et près de 100.000 en Afrique noire). Ces troupes vont connaître un taux de pertes de 4 à 5%.

Dès le 10 juillet 1943, une troupe de tabors marocains encadrée par des officiers français participe au débarquement allié en Sicile avec le général américain Patton. Elle est bientôt complétée par un important Corps expéditionnaire français, aux ordres du général Alphonse Juin, où combattent côte à côte Européens, Algériens et Marocains. Au total, 120.000 hommes soit autant que du côté anglo-saxon.

Les Nord-Africains s'illustrent en mai 1944 dans l'attaque des fortifications allemandes de la ligne Gustav, entre Naples et Rome, à hauteur du monastère du Mont-Cassin. Le 5 juin 1944, à la veille du débarquement de Normandie, les troupes d'Italie font une entrée triomphale à Rome. Les tirailleurs africains participeront quant à eux au débarquement allié de Provence, le 16 août 1944, deux mois après celui de Normandie. Le 25 août 1944, des fusiliers marocains et des tirailleurs africains figurent aussi parmi les soldats de la IIe DB du général Leclerc qui libère Paris. A la fin de l'année, la 2e division d'infanterie marocaine est la première unité française à franchir le Rhin.

À la fin 1945, les différents corps d'armée français et les résistants de l'intérieur sont rassemblés dans une 1ère Armée française sous le commandement du général Jean de Lattre de Tassigny. Sur un total de 550.000 hommes, on compte alors 134.000 Algériens, 73.000 Marocains, 26.000 Tunisiens et 92.000 ressortissants d'Afrique noire. Les troupes coloniales sont chaleureusement fêtées et applaudies comme les autres lors des défilés de la Victoire sur les Champs Élysées, le 11 novembre 1944 ou encore les 8 mai et 14 juillet 1945...

Mais l'amertume des soldats des colonies est grande quand ils découvrent après la démobilisation qu'ils devront se satisfaire de pensions inférieures du tiers ou de moitié à celles de leurs compagnons d'armes européens, malgré les demandes expresses de leurs officiers. Des officiers, comme le général Leclerc, ont beau protesté, le gouvernement se justifie en invoquant les pénuries d'après-guerre, le manque de liquidités et le niveau de vie dans les colonies inférieur à ce qu'il est en métropole.

Le décalage s'amplifie en 1959 lorsque les anciennes colonies deviennent indépendantes. Le ministère des Finances décide alors de «geler les pensions» des anciens combattants qui prendraient la nationalité de l'un des nouveaux pays ; une mesquinerie qui a l'apparence de la logique de chantage, de mépris et du désintérêt.

Le film Indigènes, de Rachid Bouchareb en 2006, montre avec justesse et rigueur comment l'armée d'Afrique, Européens et indigènes mêlés, a contribué à la libération de l'Italie et de la France en 1944-1945. Le 8 mai 1945, jour de la victoire sur l'Allemagne, une manifestation indépendantiste à laquelle participent d'anciens combattants est brutalement réprimée à Sétif, en Algérie. C'est le début de la fracture coloniale.

Aujourd’hui, la République française compte vous inviter, à l’instar des autres Chefs d’Etat des anciennes colonies françaises, à la fête du 14 juillet à Paris. L’idée en soi est noble. Mais elle montre aussi le mépris de la France à l’égard de ses anciennes colonies. Plus de 65 ans après la seconde guerre mondiale, nos anciens combattants réclament légitimement leur dû, leurs maigres pensions. C’est pour jauger vos irresponsabilités que Sarkozy se propose à l’automne prochain de résoudre définitivement ce problème de pensions, alors que la majorité ne vit plus et les héritiers ont définitivement renoncé.

Messieurs, lors de la célébration nationale de vos indépendances nationales respectives, le Président Sarkozy n’a pas trouvé nécessaire de faire le déplacement. Il vous a envoyé son Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des Collectivités territoriales ou un représentant du gouvernement français! Et pourtant pour le 14 Juillet, la France veut déplacer tous les Chefs d’Etat africains.

Que représente pour vous ce déplacement ? N’est-ce pas une honte, une humiliation pour vous ? Où se trouve l’avenue des tirailleurs sénégalais ou des africains morts pour la France ? Où se situe à Paris, l’avenue Blaise Diagne qui a aidé à la participation des colonies françaises d’Afrique aux deux boucheries de 1914/18 et 1939/45 ? Ne faut-t-il pas un rappel des primes, des pensions refusées à nos tirailleurs qui ont subi la formidable traitrise du Camp de Thiaroye? Rappelez-vous de ses tirailleurs sénégalais, africains clochardisés dans les rues de Bordeaux dans les années 1959/60 après le gel de leurs pensions. Certainement par votre présence et pour ne pas souiller les « paillassons » du palais de l’Elysée, on a annulé le Garden Party de l’Elysée pour des raisons économiques. Il a fait froid et il a neigé et pourtant les africains étaient là pour vous sortir de la tyrannie allemande et ceci par deux fois.

Présidents africains de l’ancienne AOF et AEF, au nom du principe de réciprocité et de la dignité de vos peuples respectifs, faites-vous représenter par vos membres de gouvernement. Ne venez pas salir leur fauteuil et picorer avec eux le peu de ressources qui leur reste en ces temps difficiles. Vous ne le méritez pas comme ce fut le cas des chinois et des indiens durant les années précédentes. Osez boycotter le 14 juillet 2010, il n’est pas plus important que la date de vos indépendances respectives. Il est temps de remettre les choses en place, il n’y a plus de petit ou de grand pays, de pays colonisateurs et colonisés, il n’y a que des pays égaux, la seule différence se situe au niveau de leurs responsables, les uns sont des patriotes et les autres des potiches.

Amadou DIALLO