L'agriculture sénégalaise ne profite pas de l'argent des subventions
L’agriculture sénégalaise ne profite pas de l’argent des subventions
L’agriculture sénégalaise va mal, tellement mal que le président de la république lors de ces vœux de nouvel an est obligé de faire l’amer constat. Il continue de faire des promesses aux populations sinistrées sans parler de véritables mesures qui feront sortir le Sénégal de cette situation lamentable. La production agricole est dans une situation de morosité, avec une stagnation, voire une tendance à la baisse, de la production, des superficies cultivées et des rendements pour la plupart des céréales (sauf pour le maïs et le riz). La croissance de la production agricole a régressé à partir de la fin des années 1960, ne connaissant plus qu’une décroissance continue qui atteint aujourd’hui 0.8% contre 4% en 1945.
Cette baisse est le corollaire du désengagement de l’Etat pour répondre aux exigences des organisations financières internationales : (FMI et Banque Mondiale). Les performances de l’agriculture sont plombées par une mauvaise maîtrise des ressources en eau ainsi qu’une dégradation des moyens de production : sols dégradés, manque de semences et d’intrants tels qu’engrais et semences de bonne qualité.
Ces dernières années beaucoup de milliards ont été injectés dans l’agriculture sénégalaise, et malgré cela la productivité continue de baisser mettant les populations paysannes dans un véritable désarroi. Tout le monde s’accorde sur la nécessité impérieuse de se retrouver et de discuter des problèmes ; encore faudrait-il que le président de la république y trouve son compte et que ceci aille dans le sens de son planning électoral.
En 2008 avec la GOANA (Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance), l’agriculture sénégalaise a absorbé plus de 345 milliards de francs CFA de l’aveu même du président de la république. Tout cet argent a profité à des dignitaires du régime et à des agriculteurs du dimanche, qui se sont empressés de rendre « hilers, houes et dabas » pour les bureaux cossus des grandes villes engrangeant au passage des substantielles plus-values.
René Dumont en disant que « l’Afrique est mal partie » il avait parfaitement raison, l’exemple du Sénégal est révélateur. Les pays africains avaient délaissé l’agriculture nourricière au profit de l’agriculture industrielle en espérant engranger des devises pour leur besoin d’équipements et d’infrastructures.
Ce choix a été une erreur dramatique en mettant les charrues avant les bœufs quand on sait que l’agriculture sénégalaise doit nourrir plus de 7 millions de sénégalais qui n’arrivent plus à couvrir le quart de ses besoins nutritionnels. Au Sénégal on mange une fois par jour, entraînant cette frange de la population vers l’exode ; d’abord vers les villes ensuite vers l’étranger dans des pirogues de fortune pour échapper à la misérable condition à laquelle la dureté de la vie les semble condamnée.
Le régime de Me Wade, depuis son arrivée, a injecté beaucoup d’argent dans le secteur, ce que reconnaissent ses plus farouches détracteurs. Monsieur Babacar Ndao, consultant à la Fédération des ONG paysannes sénégalaise (FONGS), de dire qu’en « set ans, on a injecté dans l’agriculture trois fois plus d’argent environ, qu’au cours des vingt années précédentes ». Tout ceci n’a pas empêché que les relations entre le pouvoir et la paysannerie sénégalaise de rester fort tendues. Les producteurs mécontents de la mauvaise gestion, des tâtonnements dans la prise des décisions, boycottent les lieux de vente officiels trouvant ridicule les prix fixés par l’Etat.
Arfang DAFFE, directeur de la Caisse nationale du crédit agricole (CNCA), croit qu’«il faut redéfinir le rôle des uns et des autres. L’Etat n’est pas un banquier, le banquier n’est pas un agriculteur et l’agriculteur n’est pas un encadreur». Arfang DAFFE s’explique : «Le rôle de l’Etat est d’encadrer le producteur, de lui faciliter l’accès au crédit tout en renforçant les fonds de sécurisation de la production. Le producteur doit également savoir qu’il doit utiliser le crédit qui lui est accordé pour l’objectif assigné. Ce n’est pas pour acheter des provisions, se procurer un vélo ou épouser une seconde femme. La banque a comme rôle de faire crédit et de le recouvrer. Cela veut dire, de mettre à la disposition de ses clients le crédit quand ils en ont besoin, et non pas un mois ou une semaine après. De même, l’encadrement du producteur doit assurer la supervision et le suivi de son travail, de manière à lui permettre de réaliser les meilleurs résultats avec les moyens qui sont mis à sa disposition».
Les choses ne peuvent fonctionner que s’il y a une répartition équitable des fonctions. Chaque acteur devrait signer un pacte pour s’engager à jouer son rôle, ajoute le directeur général du Crédit Agricole…
Le gouvernement aura beau augmenter les moyens consacrés à l’agriculture mais qui resteront vains avec des retombées négatives si des responsables incompétents resteront à la direction des organismes de gestion et de conseil aux agriculteurs. Mr Boubacar CISSE, dirigeant du Conseil National de Concertation des Ruraux (CNCR) dit la même chose et assure que «le CNCR souhaite que l’Etat discute avec tous les partenaires pour que l’argent mis dans l’agriculture puisse bénéficier d’abord aux producteurs. Pour le moment, ces subventions ne couvrent pas les besoins des paysans, et créent des problèmes au moment du partage».
La direction de l’agriculture se vante que l’Etat a consacré cette année environ 6 milliards de francs Cfa pour subventionner l’achat des semences distribuées au paysan, sans compter les sommes consacrées à l’acquisition du matériel. Boubacar Cissé rétorque : «Sept ans après les subventions de matériel, le monde rural est encore largement sous-équipé». Il indique que le matériel agricole est souvent insuffisant, parce que la subvention ne suffit pas pour couvrir tous les besoins dans le domaine : «Les fonctionnaires de la Direction de l’agriculture ne connaissent pas toujours tous les besoins et parfois, pour une communauté rurale, on propose trop peu de matériel. Il faut alors recourir au tirage au sort, afin de répartir le matériel. Ce qui provoque des frustrations». Pire, il arrive très souvent que les personnes à qui le matériel a été attribué n’aient pas les moyens de le payer, ou n’en n’ont pas besoin ; et l’Etat considère que les paysans doivent pouvoir régler cash le matériel subventionné. «Alors, explique Boubacar Cissé, les paysans prennent le matériel obtenu, et vont le proposer à des marchands ambulants, à des spéculateurs, qui leur remettent le prix d’achat, avec taux d’intérêt». Le responsable paysan explique que souvent, juste avant le démarrage de la campagne agricole, l’argent devient une denrée très rare dans les campagnes sénégalaises. Dés lors ce n’est pas étonnant de retrouver du matériel détourné et subventionné par l’Etat sénégalais dans les campagnes de Guinée, de Gambie ou de Guinée Bissau etc. et les semences vendues à des spéculateurs véreux qui se sucrent du malheur de leur compatriotes paysans.
Comme Boubacar Cissé, Saliou Sarr, un autre dirigeant paysan, pense que la subvention telle qu’elle se pratique actuellement, porte préjudice à la compétitivité de l’agriculture. Il explique que les semences que l’Etat fournit aux agriculteurs ne sont pas de bonne qualité. Un cadre du ministère de l’Agriculture, et journaliste dans un organe de presse de l’Etat, admet qu’«il n’est pas normal que les grains d’arachide traversent la frontière sous prétexte que le prix est plus favorable en Gambie ou ailleurs (...) C’est à terme, la mort de nos industriels, qui investissent énormément d’argent dans leur modernisation», s’indigne-t il. Et pour lui, si à la longue, ces industriels ont des difficultés de production, même les agriculteurs risquent de disparaître, car ils n’auront plus d’acheteur attitré, ce qui va les mettre à la merci des spéculateurs.
Devant cette situation, l’analyse des responsables gouvernementaux c’est de dire que les paysans sont eux-mêmes responsables de leur mauvais sort. .