DIALLOBEDUCATION

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De « quelle » ou « quelles » civilisations parle Claude Guéant ?

De « quelle » ou « quelles » civilisations parle Claude Guéant ?


Claude Guéant, ministre de l’intérieur de la république française,  a déclaré que « toutes les civilisations ne se valent pas » à l’occasion d’un discours prononcé devant l’Uni, une association étudiante de droite. Dans ce discours, il appelle à « protéger notre civilisation » et s’en prend à la gauche, considérant que « contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas ». Ce discours vient après celui de Nicolas Sarkhozy tenu à Dakar le 27 juillet 2007 au cours duquel il disait que : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».

De quelle civilisation parle Claude Guéant quand on sait que « ce mot est apparu dans la deuxième moitié du XVIIIe  siècle, précise le philosophe Bertrand Binoche, auteur de « Les Équivoques de la civilisation » -Ed. Champ Vallon-. « Le terme s’emploie au singulier et permet d’opposer le civilisé au barbare. On a alors l’idée que le progrès naturel conduit tout peuple vers la civilisation ».

Ce même terme apparaît au pluriel dans la première moitié du XIXe  siècle, prenant un sens proche de celui de « culture ». « Une civilisation, c’est une culture de grande expansion s’incarnant dans une langue, des écrits, une religion et souvent un empire », précise l’anthropologue Jean-Loup Amselle.

Les propos calculés de Claude Guéant sur la supériorité de la civilisation occidentale font donc suite à ceux de Nicolas Sarkozy sur l'Afrique qui n'aurait « pas d'histoire » donc pas de civilisation. Nous comprenons bien pourquoi la philosophie du monde s'ajuste ainsi au niveau du café du commerce. Ce débat lancé par les deux tourtereaux ressemble fort à un débat de café du commerce où des clients éméchés par l’eau de vie débattent pour se faire remarquer et non pas pour rapporter quelque chose de positif. Ainsi, le slogan caricatural peut être proféré en toute impunité et celles et ceux qui tentent d'y apporter des correctifs rationnels rejetés comme des intellectuels filandreux et aigris s'opposant au « bon sens » populaire. Dommage alors aux français si ces pauvres n’arrivent pas à faire un distinguo parmi ces raboteurs d’une certaine idéologie.

Avant d’avoir le culot de rejeter les autres civilisations, il faut tout au moins partir d'une conception de sa propre civilisation, de celle dont on peut s’approprier. Mais malheureusement, ces gens ne connaissent même pas la leur.  Il faut savoir que nous sommes tous des Africaines et des Africains. Selon les fouilles convergentes des préhistoriens, «l’homo sapiens » entame de longues migrations, à partir de l'Afrique, pour peupler par étapes successives tous les autres continents. Notre « africanité » commune et notre génétique semblable, qu’ont démontrées tous les chercheurs et les expositions universelles sur nos origines communes, devraient constituer une leçon de tolérance sur l'ensemble de la planète. Ainsi l'Afrique, non seulement a une histoire, mais son histoire est la plus longue, la plus vieille de tous les continents et elle est bien notre histoire commune.

Les civilisations sont la conséquence pour l’homme, qui, à un certain moment, a trouvé nécessaire de sédentariser. Ce sont les méthodes utilisées pour parfaire et à positiver ces sédentarisations qui se développent que nous appelons des « civilisations ». Celles-ci s’opèrent en différents endroits du monde, elles se côtoient et s'opposent et trouvent dans leur opposition les moyens de leur perfection. Les civilisations qui ont accepté de s’ouvrir aux autres ont trouvé leur enrichissement. Certaines de ces civilisations restrictives aux apports des autres ont disparu, les autres réceptives aux apports de leurs homologues se sont perpétuées en évoluant.

Car l'évolution des civilisations, leur « porosité », l'influence des échanges reste la grande caractéristique, jusqu'à aujourd'hui des grandes civilisations. De plus, le continent européen est d'abord occupé par des chasseurs, des cueilleurs nomades et animistes. Ce que nous appelons notre « civilisation » est une hybridation en fait entre les influences gréco-latines et les monothéismes issus de la tradition juive, dont nous savons qu'elle a donné naissance à des variantes chrétiennes d'abord, puis musulmanes. Nos traditions sont une stratification de ces diverses influences, sans compter le développement des sciences dans le monde musulman et son impact en Europe.

Ce que nous pouvons caractériser aujourd'hui comme une civilisation à la française au temps de la mondialisation se comprend par une histoire qui est stratifiée : du local au national, du national au continental, du continental au mondial. Et surtout que l'on ne vienne pas nous dire que de telles conceptions sont le fait de mauvais Français ou de faux Français. Classer un pays aussi varié dans ses paysages et ses traditions locales, classer un pays qui a toujours été un lieu de migrations nord-sud et venant de l'Est de l'Europe, classer un pays marqué par son histoire coloniale et qui a toujours des DOM-TOM sur tous les continents, est une aberration. Allons-nous trier les bons Français et les mauvais Français, les vrais Français et les faux Français ? L'abandon du débat délétère sur l'identité nationale a montré les errements à cet égard.

L'identité française est une identité dont nous sommes fiers sur beaucoup d'aspects, parfois moins sur d'autres. Elle réunit des identités locales fortes. Elle est une partie de l'identité européenne et de l'identité planétaire. L'identité française est une résultante de l'histoire. Elle n'est pas juste le résultat d'un discours national et d'un geste construits au XIXe siècle, partant de Gaulois dont la pensée, les croyances et les modes de vie étaient singulièrement différents des nôtres. L'identité française est la somme de phénomènes qui se sont produits sur un territoire dans la longue durée. L'identité française est une réalité en totale évolution et un projet commun en devenir. Le « French Dream », en tout cas, est une ambition pour une population et une ambition de dialogue avec la planète, pas un enfermement frontalier sur des stéréotypes réduits aux acquêts.

Lorsque Claude Guéant parle de « protéger notre civilisation » en affirmant que « toutes les civilisations ne se valent pas », il postule un bloc de la liberté contre des masses liberticides. Nous ne sommes pas et n'avons jamais été un bloc de la liberté. Les autres civilisations, notamment la civilisation musulmane, ne sont aucunement des blocs de l'obscurantisme.

Comme il le sous-entend, l'Europe n'est aucunement un « bloc chrétien ». Elle a connu de très forts ostracismes, des dictatures mettant en péril la planète entière, des volontés génocidaires, bref elle est très mal placée pour donner des leçons. Allez demander aux populations de Madagascar, aux populations africaines si elles attendaient le cœur battant la conquête de leurs terres. Ces peuples n’ont-ils pas considéré les français comme les pires barbares du monde en les voyant opérer les pires atrocités pour les conquérir au nom d’une soi-disante civilisation. Un peu de modestie Mr GUEANT. Même aujourd'hui où nous stigmatisons facilement les autres, il y aurait à dire sur l'état de nos prisons ou la manie nationale de limiter la liberté d'expression.

Disons-le, ici et dans le monde, la ligne de fracture désormais n'est pas entre les religions, entre les idéologies, ni même entre les systèmes économiques, elle est clairement dans tous ces domaines, entre les partisans du pluralisme et ceux du modèle unique à appliquer partout. Vous avez des catholiques intolérants qui considèrent que tout le monde doit vivre selon leur dogme et leur logique. Vous avez des catholiques tolérants qui estiment naturel pour chacune et chacun de choisir une conception et un regard sur le monde. La même démonstration s'applique aux musulmans, aux juifs, aux protestants, aux militants politiques et même aux économistes.

La reconstruction d'un modèle pour notre pays passe donc par la défense de ce choix pluraliste et pour nos rapports avec le reste du monde. Le vivre-en-commun tolérant, regardant la diversité comme un but enrichissant est une conception du monde. Dans notre période postcoloniale et multipolaire, le plus grand danger actuel est, non pas la perte de nos valeurs, mais l'uniformisation de la planète dans un système qui ne marche pas. Ce qu’il faut regretter aujourd’hui c’est qu’au non d’une certaine idéologie civilisatrice, combien nous détruisions à la vitesse de quelques années des civilisations et des traditions séculaires. Ce que Claude Lévi-Strauss constatait dans « Tristes Tropiques » avec désolation se réalise en un ou deux ans par les effets conjugués du commerce et du tourisme. Le téléphone portable est partout et la pacotille chinoise fascine jusque dans les forêts qui ne sont plus inaccessibles ou les déserts dépeuplés.

Si cela était pour un « progrès », si cela correspondait à un mode de vie que nous estimons satisfaisant, ce serait heureux. Mais tel n'est pas le cas. Notre « civilisation » de l'argent a échoué sur deux points fondamentaux. D'abord, elle met en péril structurellement la planète par des pollutions massives qui ignorent les frontières et elle épuise les énergies fossiles. Ensuite, elle asservit des masses urbanisées soumises aux pires pollutions et à la malbouffe. L’appât de l’argent est devenu une terrible tare sociétale. Cette civilisation de l’argent leur donne comme unique but une consommation addictive de produits industriels soumis à l'obsolescence. On ne pense qu’à consommer, consommer d’avantage. Elle acculture en un ou deux ans des civilisations entières, faisant disparaître langues et modes de vie, pour les jeter dans la même dépression morale qui occupe nos cités. La crise que nous traversons aujourd’hui n’était-elle pas due à la civilisation du capitalisme débridé sans règles et sans scrupules.

Bref, nous ne sommes pas un modèle quand nous détruisons matériellement et culturellement la planète pour le malheur même de nos peuples. Alors, Monsieur Guéant, notre pays s'honorerait et serait digne des plus beaux messages universels de notre passé en portant des appels, ou au contraire, à défendre nos diversités internes, à défendre les diversités planétaires, les modes de vie variés et évolutifs, les micro-économies. De la même manière qu'il est temps d'avoir une attitude rétrospective sur notre passé, sur notre histoire ; il est temps d'avoir la modestie de regarder partout ce qui marche et de s'en inspirer, de voir les solidarités, les créations, le don. Un monde relatif c'est cela : un monde de curiosités, un monde évolutif, un monde riche de sa variété.

La France n'est jamais plus rassemblée et exemplaire, digne des meilleurs aspects de son histoire, que lorsqu'elle porte des messages de portée universelle. Ces messages sont ceux de la liberté, de la justice et de la fraternité inscrits dans tous les frontons de nos mairies. Seule la tolérance peut générer une telle ambition.

Pourquoi la controverse ?

Pour Jean-Loup Amselle, l’usage de ce mot fait écho au modèle allemand « qui, historiquement, a valorisé les cultures face à l’universalisme des Lumières défendu par la France. » « L’emploi du mot de civilisation permet ici de radicaliser les différences, plutôt que de regarder les circulations entre les cultures et ce qui transforme leur culture de l’intérieur », analyse-t-il.

Pour l’historien Paul Veyne, le ministre a eu le tort d’employer « un grand mot » « qui cherche à condamner en bloc et à créer un conflit de taille planétaire ». « On peut critiquer certaines pratiques sans avoir besoin d’utiliser ce vocabulaire pompeux, qui ne désigne rien de précis et méprise un milliard de musulmans », ajoute-t-il.

Comment la question de la comparaison des civilisations s’est-elle posée par le passé ?

Dans une conférence célèbre « Race et histoire », l’ethnologue Claude Lévi-Strauss a dynamité l’idée d’une comparaison possible des races et des civilisations. « Il a établi toute la difficulté, voire l’inanité de vouloir hiérarchiser les civilisations, parce que cela pose le problème du critère utilisé, rappelle Bertrand Binoche. Personne ne peut s’extraire de son contexte pour procéder à ce jugement ». Cette position – « qu’aucun historien ni ethnologue n’a remis en cause depuis 50 ans » – fait consensus parmi les chercheurs. « C’est donc une polémique très régressive », déplore le philosophe.

Ne pas vouloir hiérarchiser les civilisations, est-ce être relativiste ?

« N’en déplaise au ministre, ceux qui ont montré la relativité des cultures n’étaient pas des “relativistes” : Braudel avait une image de la France proche de celle de Maurras et de Barrès, et Lévi-Strauss était loin d’être un homme de gauche ! », fait observer Jean-Loup Amselle.

Pour Paul Veyne, on peut avoir « des préférences personnelles fortes » et, en même temps, « refuser d’un faire un système exclusiviste, toujours porteur de violence et de mépris ».

Philippe d’Iribarne, auteur de « Penser la diversité du monde » (Seuil), considère qu’il est possible de comparer les cultures « à condition de le faire avec humilité, sans chercher à discriminer ».

Il invite à bien poser le débat, rappelant que, « dans toutes les cultures, les hommes ont des valeurs communes », comme l’égalité, la liberté, le souci d’être respecté ou d’avoir un pouvoir honnête. « C’est dans la manière dont ces valeurs vont être mises en œuvre que les aires culturelles se distinguent, tout en restant marquées par la diversité ».

Les réactions politiques

Le PS a vu, dans les propos de Claude Guéant « un détournement de campagne qui vise à capter les voix du Front national », selon son porte-parole, Benoît Hamon, alors que François Hollande lui a reproché de vouloir « diviser les Français ».

Si plusieurs ministres sont venus au secours de Claude Guéant, Bruno Le Maire a estimé qu’il fallait différencier régimes politiques et civilisations, ces dernières « étant toutes également respectables », tandis que Jean-Pierre Raffarin a jugé que Claude Guéant « était meilleur ministre qu’ethnologue ». « Sur la politique, il peut y avoir hiérarchie », mais « sur la civilisation, la hiérarchie s’appelle l’ethnocentrisme », a-t-il dit.

Et Serge Letchimy, député de la Martinique, a provoqué aussi le départ en masse des députés UMP et la levée de la séance en déclarant : « Mais vous, M. Guéant vous privilégiez l'ombre, vous nous ramenez jour après jour à ces idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration » avant de se référer dans le brouhaha au « régime nazi » en ajoutant « M. Guéant, le régime nazi, si soucieux de purification, était-ce une civilisation ? »

Conclusion

Alors Mr Guéant parlez-vous de la civilisation individualiste où dans les familles on n’offre même pas à boire ou à manger à un étranger qui arrive chez vous, où les gens meurent et pourrissent dans leurs appartements sans le moindre des soucis de leurs voisins. De cette civilisation où on viole dans un train sans que personne ne lève le plus petit doigt. Vous parlez peut-être de cette civilisation supérieure où dans les transports en commun on se cache derrière un journal gratuit pour ne pas voir les autres en semblant de les ignorer. Parlez-vous de cette civilisation de l’argent où on est pressé de voir ses parents mourir pour jouir de sitôt de leur héritage ? Où parlez-vous de cette civilisation inférieure communautaire, humaniste où l’homme est au début et à la fin de tout développement. De cette civilisation ou les biens sont communs où chacun est au service de l’autre, où dire bonjour est le minimum qu’on puisse offrir à un homme. De cette civilisation où la femme doit s’habiller convenablement et l’homme porter son pantalon au-dessus de ses fesses et non en-dessous ? Avez-vous décidé comme le dit Mamane de RFI d’attribuer des « triples A » ou des « A moins » aux différentes civilisations ? Avez-vous oublié les chapelets de morts pour cause de guerres de civilisation ou de religions ? Alors dîtes-moi quelle est la vôtre ? Ensuite je pourrais juger.

Amadou DIALLO https://diallobeducation.blog4ever.com/

Réf : Laurent Gervereau : http://www.gervereau.com/



09/02/2012
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