DIALLOBEDUCATION

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Contribution


Plaidoyer pour des Institutions Fortes en Afrique.

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Plaidoyer pour des Institutions Fortes en Afrique.

Cela fait maintenant plus de cinquante ans, au lieu de 20 comme disait le président sénégalais, que la majorité des pays africains sont devenus « indépendants ». Et, riches de leurs ressources naturelles ainsi que de leurs potentialités, ces pays, dans moins de cent ans verront toutes ces ressources réduites à néant devant l’exploitation anarchique de ces dernières par ceux-là même qui les avaient colonisés. Chemin faisant, il faudra que le continent africain continue d’exister. Pour cela il nous faut prendre notre destin en main et comme disait l’autre en élaborant des institutions fortes pour réduire à néant  toute velléité d’instabilité économique comme politique.

Notons bien que le processus de démocratisation, qui a commencé il y a vingt ans en Afrique, s’essouffle. Dans de nombreux pays, l’Etat de droit est mis à mal, les constitutions manipulées, l’opposition marginalisée, le clientélisme et la corruption sont érigés en instruments de gouvernance. Certains experts et membres de la société civile appellent à une refondation de la démocratie dans le continent de Senghor et de Mandela. Ces deux-là, malgré tout, ont érigé des démocraties dans ce continent qui peuvent être considérées comme une fierté en sus d’un exemple.

Lorsque Senghor quitta volontairement la présidence du Sénégal après avoir exercé le pouvoir pendant près de vingt ans, il était qualifié de « déserteur » par ses pairs, notamment par le Tunisien Bourguiba et l’Ivoirien Houphouët Boigny qui, eux, avaient opté, pour la « présidence à vie ». Quant au second, il a été traité de «  traître »  en instaurant la nation arc-en-ciel en Afrique du Sud quand beaucoup de ses pairs instituaient des démocraties ethnicisées dans leur pays respectifs.

La tradition des « présidents monarques » qui s’incrustent au pouvoir, n’est certes pas spécifiquement africaine, avec les Islam Karimov, les Noursoultan Nazarbaïev ou encore les Bachar al-Assad prospèrent à travers le monde. Il n’en reste pas moins que sur les 19 chefs d’Etat qui ont accédé au pouvoir au siècle dernier et qui s’accrochent à leur place, les trois quarts  sont africains de même que ceux qui sont restés plus de vingt ans au pouvoir et qui comptent s’y maintenir. Dès lors, on peut se demander si ceci est un mal uniquement africain ?

La pérennisation et la monopolisation du pouvoir sont devenues les traits caractéristiques de la pratique politique africaine. Les statistiques sur des dirigeants accros au pouvoir font écho aux débats qui secouent, en ce moment même, plusieurs pays d’Afrique, où les présidents dont les mandats arrivent prochainement à échéance cherchent arguments et moyens pour modifier la Charte fondamentale qui leur interdit d’effectuer plus de deux mandats. Après Ben Ali (Tunisie), Eyadema père (Togo), Paul Biya (Cameroun), Omar Bongo (Gabon), Mamadou Tandja (Niger), Idriss Deby (Tchad), Yoweri Museveni (Ouganda), Abdelaziz Bouteflika (Algérie) et Ismaïl Omar Guelleh (Djibouti) qui ont réussi à modifier leurs Constitutions pour se perpétuer au pouvoir, d’autres chefs d’Etat africains en fin de mandats présidentiels autorisés par la loi,  sont gagnés par la tentation de prolonger leur mandature. Ainsi, Mr Abdoulaye Wade au Sénégal, avait voulu instituer le quitus présidentiel par simple vote du congrès en vue de se maintenir au pouvoir et mettre au point son programme de dévolution monarchique du pouvoir.

Au cours des trois années qui viennent, la question va se poser notamment pour Lucas Pohamba de Namibie (fin de mandat en novembre 2014), Pierre Nkurunziza de Burundi (fin de mandat en juin 2015), Jakatya Kikwete de Tanzanie (fin de mandat en octobre 2015), Blaise Compaoré du Burkina Faso (fin de mandat en novembre 2015), Thomas Boni Yayi du Bénin (fin de mandat en mars 2016), Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville (fin de mandat en juillet 2016), Joseph Kabila de la RDC Congo (fin de mandat en décembre 2016), Paul Kagame du Rwanda (fin de mandat en juillet 2017), Ellen Johnson Sirleaf du Liberia (fin de mandat en novembre 2017) et Ernest Koroma de Sierra Leone (fin de mandat en 2017).

Les états-majors de certains de ces dirigeants ont déjà commencé à préparer l’opinion dans leurs pays respectifs à coups d’arguments déjà entendus avant : « on a besoin de stabilité politique pour se développer », « pourquoi se priver de l’expérience et de la capacité de leadership d’un homme (ou d’une femme) qui a démontré son aptitude à gouverner », « la population elle-même le demande ».

Ils se proposent donc de changer la Constitution, rappelant que c’est un droit démocratique. La Constitution française de 1791 ne postulait-elle pas que « la nation a le droit imprescriptible de changer sa constitution ». Des arguments dont l’entourage du Camerounais Paul Biya s’est servi avec un certain succès pour faire supprimer en 2008 cette limitation du nombre de mandats dans la Loi fondamentale du Cameroun. Rappelons que le président camerounais est un des plus vieux chefs d’Etat au pouvoir en Afrique, qui a succédé à l’ancien président Ahidjo en 1982 et, depuis, a souvent remporté les scrutins électoraux avec des scores quasi-soviétiques ! Fort de son amendement constitutionnel, il a été réélu pour un nouveau septennat en 2011.

Le parlement algérien a lui aussi modifié la Constitution en 2008 pour permettre au président Bouteflika de briguer un troisième mandat l’année suivante, puis un quatrième mandat en 2014, et cela malgré les séquelles d’un AVC qui a réduit ses capacités de mobilité et d’élocution. Aujourd’hui, pour s’attirer les bonnes grâces de l’opposition, le gouvernement algérien propose de revenir à la limitation à deux le nombre de mandats présidentiels.

« Légale peut-être, mais ce genre de charcutage de la Constitution pour des raisons politiques ne rend pas service au pays », affirme le constitutionnaliste franco-sénégalais Alioune Badara Fall. Selon ce dernier, en voulant se maintenir au pouvoir à tout prix, les chefs d’Etat africains renouent avec l’ancienne pratique des « présidences à vie ». « Ils mettent à mal la notion de l’alternance qui est un des piliers fondamentaux et incontournables de la démocratie », poursuit Alioune Badara Fall, professeur agrégé de droit public à l’université Montesquieu Bordeaux IV, et directeur d’un centre d’études sur les droits africains dans la même institution. Il est aussi le rédacteur en chef de la revue électronique « Afrilex », où des études d’universitaires et de chercheurs consacrés à la pratique du droit sur le continent noir sont régulièrement publiées.

Fondamentalement, la Constitution traduit la vision qu’a une société d’elle-même et de son avenir. Elle définit les principes et les idéaux qui président à la configuration des pouvoirs et les conditions juridiques régissant son développement. A ce titre, les textes constitutionnels jouent un rôle primordial dans cette vaste entreprise de construction de la nation dans laquelle les nouveaux pays d’Afrique sont aujourd’hui engagés. La plupart des constitutionnalistes estiment que les changements faciles et intempestifs de la Constitution créent une instabilité institutionnelle, mettant à mal l’Etat de droit et la démocratie.

C’est ainsi que le professeur Fall attire l’attention sur la marche arrière du continent africain en matière de démocratie et de constitutionnalisme. En effet, les premières Constitutions africaines datent de l’époque des indépendances. Souvent inspirées des Lois fondamentales des anciens pays colonisateurs, elles ont été rapidement modifiées ou abandonnées dans la plupart des pays, dès la deuxième moitié des années 1960, pour permettre l’instauration du système du parti unique voire limité comme ce fut au Sénégal dans les années 80. Plusieurs Etats africains ont, alors, connu une période autocratique et sans Constitutions, celles-ci ayant été suspendues à la suite de coups d’Etat militaires.

Il faudra, ensuite, attendre la fin de la Guerre froide, en 1990, pour voir le continent noir renouer avec la démocratie et l’Etat de droit. Cette démocratisation s’est faite sous la pression conjuguée des pays occidentaux et des « conférences nationales » imposée par les mouvements d’opposition et les sociétés civiles locales. Les Etats ont adopté des Constitutions écrites qui consacrent l’encadrement juridique du pouvoir et son institutionnalisation. Le processus, qualifié de « troisième vague de démocratisation » par le politologue américain Samuel Huntington, toucha l’ensemble du continent, à l’exception d’un certain nombre de pays tels que le Sénégal, la Gambie, le Cap-Vert, l’île Maurice et Lesotho où la démocratisation avait déjà été enclenchée. C’est dans ce contexte que les pays africains ont décidé de limiter à deux le nombre de mandats soit cinq ou sept ans de leurs présidents. L’objectif était de garantir l’alternance, et surtout d’éviter le retour à la personnalisation du pouvoir, comme cela se passait pendant la période des dictatures.

Or, ces bonnes résolutions n’ont pas fait long feu, même si un certain nombre de pays ont respecté l’option de limitation du nombre de mandats présidentiels. L’exemple souvent cité est celui du Ghana où, à l’échéance de ses deux mandats présidentiels en 2008, le président John Kufuor a passé le relais à son successeur Atta-Mills, décédé en 2012 et remplacé par son vice-président Mahama. On pourra aussi citer le Sud-Africain Mandela qui est parti à la retraite dès le terme de son premier mandat en 1999 ou le Malien Alpha Oumar Konaré qui a quitté le pouvoir après ses deux mandats en 2000. Les imaginaires africains restent encore aujourd’hui marqués par la démission de Léopold Sédar Senghor qui cède le pouvoir à Abdou DIOUF et par le retrait très digne de ce dernier et qui a transmis le pouvoir à l’opposant Abdoulaye Wade qui venait de remporter l’élection présidentielle de 2000.

Malheureusement, ces présidents vertueux sont les exceptions qui confirment la règle. Dès la fin des années 1990, on a vu de nombreux dirigeants revenir sur leurs engagements et se lancer dans des révisions constitutionnelles laborieuses pour faire abroger la clause de la limitation des mandats présidentiels. Contrairement à une idée reçue, cette volte-face opportune ne concerne pas que les dirigeants francophones qui, héritiers de la vision française d’une « présidence impériale », seraient moins respectueux de la norme constitutionnelle. Dans les faits, parmi les 10 dirigeants africains au pouvoir depuis plus de deux décennies, il y a moins de francophones (Paul Biya du Cameroun et Blaise Compaoré du Burkina Faso, Idriss Déby Itno du Tchad) que de non-francophones : Teodoro Obiang Nguema de la Guinée-équatoriale, Yahya Jammeh de la Gambie, José Edouard Dos Santos d’Angola, Robert Mugabe du Zimbabwe, Yoweri Museveni d’Ouganda, Omar el-Béchir du Soudan et Issayas Afewerki de l’Erythrée.

Dès lors une question lancinante se pose : pourquoi les chefs d’Etat africains sont-ils si nombreux à s’accrocher au pouvoir ? C’est parce que, si l’on croit les intéressés, deux mandats sont trop courts pour terminer les différents projets qu’ils ont à peine commencé à mettre en œuvre. « Ce qu’on n’a pas pu faire en deux mandats, il est hypocrite de faire croire qu’un troisième et un quatrième mandat permettraient de terminer », affirme Badara Fall pour qui la véritable raison qui pousse les présidents à franchir la ligne rouge constitutionnelle, c’est outre la fascination qu’exerce le pouvoir, la peur du gendarme ou plutôt du juge.

Beaucoup de dirigeants africains craignent de se voir poursuivis pour corruption ou autres manquements graves à la loi le jour où ils ne seront plus couverts par l’immunité présidentielle. « Il faut dire que la démocratisation de la vie politique n’a rien changé aux politiques de prédation, de clientélisme et de corruption qui avaient cours avant les années 1990. Au contraire, elles touchent aujourd’hui l’ensemble de la vie sociale et politique », déclare Alioune Badara Fall, en citant la pratique exacerbée du clientélisme au Sénégal sous Abdoulaye Wade. Et d’ajouter : « Dans ces conditions, cela ne m’étonne guère que nos chefs d’Etat veuillent rester au pouvoir de peur d’avoir de maille à partir avec la justice, tant au niveau interne des Etats que sur le plan international, au regard de la pratique de la Cour Pénale Internationale qui semble leur accorder une place «privilégiée» dans les procédures d’incrimination et de poursuite qu’elle applique aux hommes politiques africains depuis sa création. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles cette Cour est aujourd’hui contestée par les Africains ».

Pour beaucoup d’observateurs de la vie politique africaine, ces résistances à une pratique plus normée de la démocratie démontrent une absence de maturité politique des dirigeants africains dont beaucoup ont accepté d’entrer dans le jeu démocratique contraints et forcés par des contingences domestiques ou internationales. Difficile pour eux d’imaginer les élections autrement que comme un outil de préservation de pouvoir. D’ailleurs, peu de chefs d’Etat ont perdu les référendums qu’ils ont organisés pour faire sauter le verrou constitutionnel au renouvellement de leurs mandats. Les deux exceptions à la règle sont Frederic Chiluba en Zambie et d’Olusegun Obasanjo au Nigéria qui virent leurs tentatives de modification de la Constitution bloquées par leurs parlements, en 2001 et 2006 respectivement.

On constate dès lors que le recours à la volonté populaire n’aboutit pas toujours à un accord avec la présidence pour un rallongement de la durée du mandat du président. Nous y reviendront.

En outre, « un nouveau discours de la Baule s’impose pour rappeler aux pays africains qu’il est important que tous s’engagent dans une véritable refondation de la démocratie », pouvait-on lire dans Le Monde, à la veille du Sommet de l’Elysée consacré à la paix et à la sécurité en Afrique. Et aussi à la veille d’un autre sommet qui s’est tenu aux Etats-Unis et qui avait réuni cette fois Américains et Africains ; le président Obama avait fait dire aux chefs d’Etats d’Afrique qui prennent à la légère leurs textes constitutionnels et les font amender pour les adapter à leurs ambitions : « ce dont l’Afrique a besoin, ce ne sont pas des hommes forts mais des institutions fortes ! »

« La refondation de la démocratie africaine passera par la société civile africaine », déclare pour sa part Alioune Badara Fall. « La société civile était dans les rues à Bénin d’où les premières revendications pour la démocratie sont parties en 1989. C’est elle, et non pas la Conférence de la Baule (même si l’on doit reconnaître qu’elle a eu des effets avec la conditionnalité démocratique qui venait de faire son entrée dans les relations entre la France et les pays francophones d’Afrique), qui a propulsé l’Afrique  dans l’ère du multipartisme. François Mitterrand s’était contenté d’apporter sa voix aux revendications qui s’élevaient du fond des sociétés africaines.

« C’est toujours cette société civile qui a refusé au président Wade au Sénégal de modifier la Constitution pour préparer sa succession au profit de son fils. Ce fut le début de la fin de son règne avec sa défaite à l’élection présidentielle de 2012, alors même que sa candidature contestée avait été validée par le Conseil constitutionnel ».

Chemin faisant on peut affirmer que l’Afrique ne pourra se développer ou être émergente sans des institutions fortes ayant obtenu l’assentiment populaire. Si l’on sait que la plupart donne au référendum l’unique forme de révisons et la procédure parlementaire n’est que exceptionnel. Ainsi au Sénégal la constitution dit que : « la durée du mandat du Président de la République est de sept ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ». L’article 103 rajoute : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux députés. Le Premier Ministre peut proposer au Président de la République une révision de la Constitution.

Le projet ou la proposition de révision de la Constitution est adopté par les assemblées selon la procédure de l’article 71. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.

Toutefois, le projet ou la proposition n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès.

Dans ce cas, le projet ou la proposition n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés. Les articles 65 et 77 ne sont pas applicables aux lois constitutionnelles.

La forme républicaine de l’Etat ne peut faire l’objet d’une révision ». Cet article ressemble beaucoup a l’article 89-3 de la constitution française qui dispose : « Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale.

Cet article de la constitution sénégalaise consacre le référendum comme la règle en matière de révision constitutionnelle et le recours au parlement par le Président de la République comme l’exception. Or depuis l’indépendance et surtout durant la période de gouvernance de Mr Abdoulaye Wade presque la totalité  des révisions l’ont été par la voie parlementaire.

Ce qui relevait donc de l’exception est devenu la règle contrairement à l’esprit des institutions de la république sénégalaise et la volonté de ses concepteurs au premier rang desquels le président Léopold Sédar Senghor. Même si plusieurs constitutions africaines peuvent se prévaloir d'une exceptionnelle longévité en créant de véritables nations néanmoins elles ont subi de profondes mutations qui la plupart ont été faites par voie parlementaire au gré de la volonté du président frileux de recourir à la volonté populaire.

Ce phénomène inflationniste de révisions constitutionnelles et les méthodes employées par le constituant ne participent pas à la lisibilité de notre loi fondamentale et affaiblissent sa légitimité. Cette banalisation de la révision constitutionnelle est symptomatique de la désacralisation et de la dévalorisation symbolique qui frappent les pays africains.

Cette multiplication anarchique des révisions s’est doublée d’une fracture importante entre représentation nationale et souveraineté populaire comme l’ont démontré les multiples coups d’état en Afrique entraînant instabilité et détresse populaire. Le peuple ne trouve alors que ce seul moyen pour se séparer de ses dirigeants.

 Il est dès lors important de pouvoir proposé de poser les bases d’une constitution africaine qui, votée par référendum aura la légitimité nécessaire pour durer longtemps.

A)   Proposition Constitutionnelle

A un moment crucial, où le président sénégalais décide de faire appel à une révision constitutionnelle par référendum pour limiter son mandat, n’est-ce pas le moment opportun pour en finir et établir une constitution pérenne. Compte tenu des frais financiers, matériels et humains que cela va engendrer cette nouvelle constitution devra obtenir le blanc-seing de tout le peuple sénégalais pour rester enfin caduque pour des siècles et des siècles parce que moulée dans nos traditions propres.

Pour ce faire, cette constitution devra avoir trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire complétement indépendants les uns des autres. Un président de la république et un vice-président élus au suffrage universel pour une durée de 6 ans renouvelable une fois. Un statut devra être élaboré pour les anciens présidents pour éviter cette peur de quitter le pouvoir. Il conviendrait alors de penser un statut « du juste milieu » ; un statut qui permette une « prééminence présidentielle encadrée et rationnalisée ». Prééminence, pas primauté. La prééminence se conçoit davantage de manière dynamique « par rapport à… » et rend possible tous les écarts de hiérarchie, du plus minime au plus important ; alors que la primauté fige la hiérarchie et postule la supériorité indélogeable du chef de l’Etat, jusqu’à l’hégémonie. Mais cette prééminence doit être encadrée car le présidentialisme immodéré est l’alibi démocratique de l’autoritarisme.

Partant de ce constat qu’est ce qui est tabou ? Certainement pas de constater la nécessité d’un président fort, il y aurait même un consensus sur cette idée ; mais davantage les raisons qui conduisent à ne pas pratiquer de rupture nette avec ce qui pourrait s’apparenter comme une résurgence du présidentialisme négro africain. D’où la nécessité d’accompagner cette réflexion par une réflexion relative aux contre-pouvoirs qui ont pour vocation de limiter les risques de dérives. Il faut donc déterminer dans un contexte renouvelé la meilleure architecture possible pour parvenir à cette organisation.

1 - L’adhésion à l’idée de prééminence présidentielle

Le consensus autour de l’autorité du président est un acquis. Tout comme est acquis, en conséquence, que toute forme de parlementarisme qui reléguerait, à des degrés divers, le chef de l’Etat, est inopérant dans le contexte africain dont on sait que l’institution présidentielle, si convoitée, doit demeurer centrale. Il reste alors en aménager les modalités.

D’abord concernant le mode de désignation du président de la république. Beaucoup a été dit, je n’y reviendrai pas, si ce n’est pour admettre que la remise en cause de l’élection du président au suffrage universel direct serait incompatible, d’une part avec le statut de représentation sociale et sociétale du président et, d’autre part, avec l’impératif d’un président politiquement fort. Surtout, ce mode d’élection permet une sorte de conciliation entre le dogme pluraliste (le suffrage universel symbole de démocratie, à condition bien entendu que l’élection soit réellement ouverte et concurrente) et la veine autoritaire qui irrigue encore certains régimes africains. C’est en fait profondément l’ambiguïté de cette désignation qui séduit : elle est à la fois la preuve du constitutionalisme démocratique et en même temps une garantie potentielle qui puisse assurer au futur chef d’Etat une pratique présidentialiste. Le prix à payer est celui de l’aléa. A ce titre, l’élection au suffrage universel direct est bien un trait essentiel du constitutionnalisme en Afrique ; cette élection devra se faire en même temps que celle du vice-président qui le supplée en cas de carence présidentielle. C’est le ticket présidentiel cher à Maître Wade.

Sous cette forme, la structure interne de l’exécutif ne devra pas souffrir de dyarchie. D’une part parce que quand les primatures ont vu le jour, elles ont souvent été privées des compétences qui auraient pu permettre un vrai rééquilibrage au sein du couple exécutif ; et d’autre part parce que quand les présidents ont accepté l’instauration d’un premier ministre, c’était avant tout pour mieux les subordonner et renforcer, par contraste, leur autorité. Donc à la place d’un bicéphalisme formel et de façade, il faut un président fort, ce qui exclut un régime parlementaire. En Afrique, le régime qui se moule avec nos traditions est celui du président fort.

Sous cet angle, la rationalisation de l’institution présidentielle (qui correspond à bien à l’idée d’endiguement de ses pouvoirs dans le respect de la primauté de son statut) ne peut procéder de l’auto limitation (qui viendrait de l’intérieur du pouvoir exécutif, via un premier ministre dont on a dit qu’il servait plus les apparences que le partage réel du pouvoir) mais bien d’une hétéro-limitation (c'est-à-dire par des pouvoirs concurrents extérieurs à l’exécutif même).

2- Nécessité de repenser fortement le statut des contre-pouvoirs juridiques et politiques au chef de l’Etat.

On a beaucoup épilogué sur les contre-pouvoirs mais je voudrais simplement ici la remettre en perspective dans le contexte africain francophone. « Tout homme qui dispose du pouvoir est tenté d’en abuser » rappelait Montesquieu. La pratique politique en Afrique francophone n’a malheureusement fait que confirmer ce constat. D’où l’idée de modération du pouvoir qui prend un relief particulier quand il s’agit à la fois de permettre l’autorité du chef d’Etat tout en le limitant. Il faut ici être clair. Dans le contexte du constitutionalisme en Afrique il ne s’agit pas tant de limiter, par principe, les compétences du président de la république, mais bien d’empêcher un usage qui franchirait non seulement les frontières du légal mais aussi, au-delà, du légitime c'est-à-dire de l’acceptable. Dans la perspective du constitutionalisme africain, c’est l’empêchement de l’excès de pouvoir manifestement inacceptable qui est donc requis, (là où dans le constitutionalisme occidental c’est peut-être davantage l’idée de modération permanente pour rester dans un cadre légal qui est attendue, et ce même en dehors de toute tentation d’abus).

Autrement dit, les contre-pouvoirs ont en Afrique une double fonction : celle de ne pas empêcher l’exercice de l’autorité du chef de l’Etat ; mais celle d’empêcher l’exercice d’une dérive autoritaire. Tout repose sur l’appréciation de la distinction entre le légal et le légitime. Il faut pour ce faire que ces contre-pouvoirs institués, politiques ou juridiques, soient crédibles et efficaces pour ne pas être contre productifs, c'est-à-dire servir d’alibi pluraliste et démocratique à une institution présidentielle qui concentre les pouvoirs et qui cherche, en autorisant l’existence de contre-pouvoirs platoniques, à se parer des habits du constitutionnalisme.

Le nouveau constitutionalisme en Afrique se fonde sur le pluralisme et la concurrence ; d’où l’émergence des contre-pouvoirs. Mais ces derniers doivent être dotés d’une puissance de frappe adéquate, c'est-à-dire optimale, tant pour préserver le champ de l’autorité présidentielle que pour permettre la sanction de ses décisions inacceptables. Je me contenterai d’énumérer ici les contre-pouvoirs qui sont susceptibles de jouer en faveur d’une prééminence présidentielle encadrée :

Premièrement, les contre-pouvoirs politiques :

-           D’abord, contre-pouvoir politique conjoncturel type, le parlement : dans un régime de type présidentiel africain, celui-ci doit clairement participer à la définition des limites politiques infranchissables du chef de l’Etat. De chambre d’enregistrement dans la période post coloniale, il doit progressivement acquérir les facultés de statuer (par la délibération) et d’empêcher (par l’exercice du droit d’amendement et la saisine de la cour constitutionnelle). Rappelons en tous cas qu’historiquement la montée en puissance des parlements fut justifiée par la nécessité d’encadrer l’absolutisme monarchique. Ce qui a pu permettre de passer d’un régime despotique à un régime de type présidentiel fort.

-           Ensuite, et c’est un corollaire, il faut admettre, et c’est un changement culturel profond, que si le retour du parti unique a pu être considéré comme la clef des nouveaux présidentialismes africains, l’institutionnalisation, même a minima, de l’opposition politique, véritable contre-pouvoir politique structurel, renforce la crédibilité de la puissance présidentielle ; celle-ci apparaissant d’autant plus renforcée qu’elle est capable de surmonter, selon les règles et procédures en vigueur, les résistances d’une opposition politique. Cela ne veut pas dire aussi qu’il faille créer une pléthore de partis politiques sans résonance populaire : « partis kiosque à pain ».

Deuxièmement, les contre-pouvoirs juridiques :

-           C’est d’abord le pouvoir judiciaire, rarement qualifié de juridictionnel dans les constitutions africaines francophones. L’ascension puis l’émancipation de la justice est synonyme d’un pouvoir majoritaire présidentiel qui accepte d’être régulé par le juridictionnel. Or dans les constitutions africaines, si le judiciaire est érigé en troisième pouvoir notamment grâce à la proclamation d’un principe d’indépendance qui doit théoriquement permettre de le soustraire à l’emprise du pouvoir politique, il sert bien souvent en pratique la cause présidentielle. Plus que de consacrer l’indépendance, l’acceptation d’une autonomie encadrée pourrait être le premier pas d’un compromis.

-           C’est ensuite la Cour constitutionnelle, véritable contre-pouvoir structurel. C’est ici la plus importante innovation du constitutionnalisme des années 90. Elles sont la garantie de l’Etat de droit et, à ce titre, sont indissociables de la structure des pouvoirs d’un Etat qui aspire à construire une démocratie constitutionnelle. Elles sont d’ailleurs, à ce point, indissociables de l’Etat de droit que les constituants des années 90 n’ont pas hésité à leur confier des compétences plénières en matière de contrôle des élections et notamment de l’élection présidentielle. Dans le cadre d’un statut de prééminence présidentielle rationalisée, il faut bien comprendre que la Cour constitutionnelle n’est pas seulement là pour  faire preuve d’audace en vue d’accroître ses compétences ni même aller jusqu’à provoquer la démission d’un chef d’Etat ; elle doit aussi développer une fonction préventive et pédagogique en accompagnant le Président de la République dans l’intégration de la culture de constitutionnalité et l’acquisition des réflexes constitutionnels. Ce qui évidemment repose les éternelles questions de la désignation des membres et de la composition des cours (et on reparle ici des principes de fidélité – problème du renouvellement du personnel politique - et de préférences – ethnique ou autre -) ; et la question de l’étendue des compétences. La question qui se pose dans le constitutionnalisme africain n’est pas à cet égard « jusqu’où aller dans l’attribution des compétences » mais bien « jusqu’où ne pas aller » afin de ne pas faciliter une opposition systématique au chef de l’Etat. Mais c’est un autre débat.

B) Conclusion

Alors pour conclure, rappelons simplement que, quelle que soit l’ingénierie constitutionnelle, le statut du chef de l’Etat dépend avant tout de la personnalité de celui qui incarne l’institution et de la conception que ce dernier a de sa fonction. Et de ce point de vue-là, les tabous sont levés car les exemples récents n’ont fait que le confirmer.

Et en ce qui concerne le Sénégal il faut un parlement élu en même temps que le président de la république pour éviter les élections à répétition. Ceci donne aussi au parlement un architecture viable car ne vivant plus sous le couperet de la dissolution. Une constitution qui ne pourra être révisée que par référendum ; la révision parlementaire sera une exception et seulement dans des cas absolus bien déterminés par la constitution.

Enfin, il m’échoit de rappeler les Conclusions des Assises Nationales je cite : « Un pouvoir judiciaire indépendant sans aucune dépendance avec le ministre de la justice. Le système politique sénégalais doit nécessairement redéfinir ses orientations  fondamentales, en s'appuyant sur la Constitution et la Charte des Libertés, de la Démocratie et de la Bonne Gouvernance, en créant un environnement institutionnel stable et crédible,   répondant aux normes démocratiques de transparence, de responsabilité et d’efficacité. 

Ainsi, la nouvelle architecture institutionnelle proposée rend au peuple et à ses représentants leurs véritables prérogatives politiques et citoyennes. Le pouvoir législatif et le parlement sont par conséquent les lieux d’impulsion de la vie politique.

Le pouvoir judiciaire, restauré dans sa crédibilité et fort de la confiance des justiciables, assume son rôle d'arbitre entre l'exécutif et le législatif.

La refondation démocratique recommandée suppose l'existence d'authentiques contrepouvoirs en vue de  l’élargissement et de l'approfondissement du processus  de démocratisation de la société comme des institutions. Dans ce cadre, le pluralisme médiatique est garanti  par l’Etat et la mission de service public des médias assurée, dans le respect strict du droit du citoyen à l'information et du code de déontologie ».

Amadou DIALLO http://www.diallobeducation.com/

 

REF : RFI, Fabrice Hourquebie et Conclusions des Assises Nationales du Sénégal.


08/08/2014
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Le Sénégal doit-il resté francophone face au règne du wolof ?

Le Sénégal doit-il resté francophone face au règne du wolof ?

 

  1. La Francophonie

 

Le Sénégal accueillera le prochain sommet de la Francophonie en 2014, succédant ainsi au  14ème sommet de Kinshasa. Ce pays, d'où est originaire M. Abdou Diouf, le président de l'OIF, a été préféré au Vietnam ou la Moldavie et aussi Haïti qui s'étaient également proposés pour organiser le 15ème sommet de ladite organisation.

C’est par le Sénégal que la langue française a été introduite en Afrique. Notre pays est, en effet, la première colonie où fut ouverte une école française, précisément à Saint-Louis. Autant dire l’ancienneté de cette langue d’origine latine sur notre territoire national, qui a révélé en 1920 le premier écrivain africain, Amadou Mapathé Diagne, l’auteur des « Trois volontés de Malic » né le 7 septembre 1886 à Gandiol au Sénégal, qui fut le premier écrivain africain de langue française et n’oubliant surtout pas le premier agrégé de Grammaire et  académicien noir d’origine sénégalaise : Léopold Sédar Senghor, le père de la Francophonie.

 

Les indépendances acquises depuis plus d’une cinquantaine d’années on est en droit de se demander si le Sénégal doit rester un pays francophone ? D’ailleurs, dans son premier roman Amadou Mapathé Diagne évoquait déjà la cohabitation de la culture occidentale française et de la civilisation noire dans son village de Diamaguène. « Cet écrit constitue le premier texte romanesque en langue française ». Il posait ainsi les bases d’un triptyque entre des civilisations qui pouvaient paraitre plus antagonistes, plus destructrices que complémentaires. Malheureusement les pères de la francophonie ont plutôt œuvré pour la complémentarité des civilisations et au moment où il fallait créer de nouvelles nations la langue française paraissait comme un mal nécessaire pour ces nouvelles entités.

Mais voilà qu’aujourd’hui, le Sénégal est en passe de devenir le pays d’Afrique où l’on parle le français le plus fautif et le plus incorrect. Et ce n’est pas le « correcteur public » Mr Mamadou Sy Toukara de l’émission : « Sénégal ca Kanam » qui dira le contraire. Comment en est-on arrivé là ? Plusieurs raisons pourraient expliquer cette régression du niveau des Sénégalais en français. Il est possible de dénoncer l’état catastrophique où se trouve l’Ecole sénégalaise avec ses effectifs pléthoriques, son système de double flux, ses cohortes de volontaires ou de vacataires qui en savent très souvent moins que leurs élèves ! A cela, s’ajoute la réduction scandaleuse du temps de travail qu’entraînent les innombrables fêtes et jours fériés, sans compter les multiples grèves et vacances scolaires.

 

Aussi, l’environnement intellectuel des Sénégalais semble de plus en plus hostile à cette langue. Preuve en est que dans les textes officiels, les inscriptions et les journaux, on ne rencontre qu’un français qui doit faire retourner Senghor et Molière dans leurs tombes.

Mais le mal le plus profond et le plus insidieux réside dans ce nationalisme de façade qui revendique, comme le dit l’écrivain Mamadou Traoré Diop, « le devoir patriotique de mal parler le français ». Telle semble être, du reste, l’opinion de certains linguistes autoproclamés, qui ont l’art de faire de l’enseignement des langues nationales un fonds de commerce politicien et qui prétendent qu’aucun Etat ne s’est développé avec l’usage d’une langue étrangère.

 

Ces linguistes « nationalistes » sembleraient ignorer que le français n’est pas né sur le sol de l’Hexagone, que la langue de Molière est plutôt celle de Jules César. C’est bien ce conquérant romain qui, en 52 avant Jésus-Christ, battit les Gaulois de Vercingétorix à Alésia et leur imposa sa langue, le latin, qui, par suite d’une évolution historique, a donné naissance au français actuel parlé dans les rues de Paris, de Dakar, du Québec ou de Libreville.

Dès lors, il devient une nécessité pour que le français constitue, pour nous autres Africains, un précieux patrimoine culturel que nous a légué la colonisation française, au même titre que les Français, eux-mêmes, ont reçu cette langue de la colonisation romaine. Mieux, la diversité linguistique représente une grande richesse que nous devrions sauvegarder en nous enracinant d’avantage dans notre civilisation par l’étude de nos langues nationales et en nous ouvrant aux autres peuples par l’acquisition des langues étrangères les plus parlées à travers le monde.

 

Comme le français nous est échu en partage par le biais de l’histoire, efforçons-nous, sans complexe, de nous l’approprier et de le maîtriser. Voilà l’objectif que nous devons prendre en considération tout en sachant dompter cette langue et l’adapter à nos valeurs propres, n’est-ce-pas cela le sens des langues créoles qui ont su faire cet acte positif. Ne rejetons pas tout mais sachons en chaque chose tirer le positif.

 

Si un sénégalais de la banlieue invite un blanc en formulant son invitation en wolof, n’y voyez pas l’expression d’une quelconque défiance. C’est tout simplement dû au fait que dans ces immenses banlieues dakaroises, l’usage du français est des plus limités, et que le wolof règne en maître. Un grand nombre d’habitants des banlieues sont bien incapables de formuler des phrases en français. Certains n’ont jamais été à l’école. Parmi ceux qui y sont allés, beaucoup n’ont guère entendu la langue de Molière car bien des enseignants préfèrent s’exprimer en wolof, même pendant les cours.

Dans nombre de capitales d’Afrique francophone, la langue de Voltaire a pu s’imposer comme « lingua franca », permettant ainsi à des centaines d’ethnies de se mettre d’accord sur l’usage d’une langue, d’avoir un terrain d’entente.

 

Si à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, l’on préfère parler le français plutôt que de donner la primeur à telle ou telle autre langue ; tout est différent à Dakar, la capitale du Sénégal, où le wolof s’est imposé en roi. Même dans les milieux intellectuels, cette langue gagne du terrain.

« Mon patron impose l’usage du wolof dans toutes les conversations. Même si cette langue n’est pas vraiment adaptée aux discours techniques », explique Aissata, cadre dans une grande compagnie d’assurance. C’est pour cela à Dakar, beaucoup d’autres Africains francophones sont très souvent désarçonnés par cette omniprésence de la langue wolof.

 

« J’ai demandé à des Sénégalais de m’indiquer le chemin. Ils m’ont répondu qu’il fallait s’exprimer en wolof, alors même que je leur avais expliqué que je ne parle pas cette langue », s’étonne un Ivoirien, qui a dû abandonner la conversation avant qu’elle ne tourne au pugilat. « Nombre d’Ivoiriens, de Béninois et autres expatriés se sentent de moins en moins à l’aise à Dakar, à cause de l’omniprésence de cette langue uniquement en usage au Sénégal », explique Alphonse, un enseignant d’origine béninoise. D’ailleurs même des Sénégalais s’agacent du poids croissant de cette langue. 

Ainsi «Très longtemps, le chanteur Baaba Maal a été boudé par les radios sénégalaises parce qu’il chantait en pulaar et non pas en wolof. Moi aussi je veux défendre ma culture. A la maison, avec mes enfants je ne parle que le français et le pulaar. Je veux leur transmettre cet élément essentiel de l’identité », affirme Assane, un haut fonctionnaire d’origine peule.

 

En Casamance, dans le sud-ouest du Sénégal, comme dans les autres régions, le poids du wolof irrite parfois. « Au tribunal, les conversations se font le plus souvent dans cette langue. Les populations locales sont défavorisées. Ce n’est pas leur idiome. Comment peuvent-elles se défendre dans une langue qu’elles ne maîtrisent pas » ? Regrette Mr Savané, un haut fonctionnaire, même s’il reconnaît que des interprètes sont présents dans la plupart des juridictions.

A la télévision et à la radio, le wolof domine aussi. Les programmes en français ou dans les autres langues sont très minoritaires. Les débats politiques, sociétaux ou culturels se font généralement en wolof. Un wolof « maquillé » de français. Seuls les feuilletons, les films américains ou les séries indiennes sont doublés en français. Mais inutile d’espérer le commentaire d’un combat de lutte dans la langue de Molière. On un quelconque sous-titrage en français des débats en wolof. Par certains côtés, beaucoup d’Occidentaux éprouvent moins un sentiment d’altérité dans le sud du Nigeria où le pidgin-English, encore appelé Brocken English, sert de langue véhiculaire.

 

Au Sénégal, nombre d’enseignants se plaignent d’une baisse générale du niveau en français. « Il a considérablement diminué au cours des dernières années. Les professeurs parlent  très souvent en wolof. Dans la vie de tous les jours, le wolof domine », explique Oumar Sankharé, enseignant à l’université de Dakar. Il ajoute à cela une explication politique: « Lorsque l’on demande à certains Sénégalais pourquoi ils ont autant de réticence à s’exprimer en français, ils donnent des justifications politiques. Ils affirment que ce n’est pas la langue du Sénégal. Un étrange nationalisme s’est développé ces dernières années ». Comme nous l’avons vu précédemment.

Malgré tout cela, après Léopold Sedar Senghor, Oumar Sankharé est le deuxième agrégé de grammaire du Sénégal. Il vient de décrocher ce précieux titre. Mais, selon ce dernier, les médias dakarois en ont peu fait cas. « Ici, on préfère faire les gros titres sur des lutteurs et des politiciens », constate l’un de ses collègues.

 

Même les enseignants du primaire s’alarment du niveau des élèves. « Il a considérablement baissé. C’est pire chaque année », s’inquiète Cheikh, un instituteur dakarois. Cheikh constate lui aussi que les enseignants préfèrent parler à leurs élèves en wolof. Même les élites ont pris le parti de s’exprimer de plus en plus souvent en wolof. Le français pratiqué est parfois devenu hésitant ou académique. Comme s’ils parlaient une langue étrangère. Ou même une langue morte. Le vocabulaire est quelques fois daté, ancien, figé ou « wolofisé ».

Cette situation est d’autant plus étonnante que le Sénégal s’enorgueillit d’être le berceau de la francophonie. Léopold Sedar Senghor, chef de l’Etat de 1960 à 1980,  a été un grand défenseur de la francophonie. Il prétendait même au titre de « père de la francophonie ». Le président poète a toujours proclamé son amour de la langue française et son successeur, Abdou Diouf, au pouvoir de 1980 à 2000, dirige désormais la francophonie.

A l’image de Jacques Diouf, à la tête de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) jusqu’à l'été 2011, les Sénégalais sont omniprésents dans les organismes internationaux. Traditionnellement, ils étaient réputés pour leur maîtrise de la langue française. Des Ivoiriens avaient d’ailleurs pour coutume de dire que les Sénégalais parlaient le « gros français », à savoir le français au vrai sens du terme. Mais de plus en plus, le « gros français » donne l’impression de décliner. Il laisse place à un français créolisé, un mélange de français, de wolof et aussi d’anglais.

 

De plus en plus de Sénégalais font des études et de longs séjours en Amérique du Nord et ils truffent leur français d’expressions américaines. Le déclin du français au Sénégal est aussi lié, sans doute, à la perte d’influence de Paris. Et au moindre attrait de la culture française à Dakar. Si partout en Afrique et dans les anciennes colonies on parle de francophonie, ici en France à Paris ce terme paraît désuet et mal intentionné.

La capitale sénégalaise est la région la plus à l’ouest d’Afrique, la plus proche des Etats-Unis. Une terre qui fait fantasmer. Même les lutteurs professionnels rêvent d’Amérique. A l’image de l’une des vedettes de la profession, Tyson, qui aime à se vêtir d’une bannière étoilée et à s’entraîner aux Etats-Unis.

 

Fin juillet à Dakar, j’ai croisé l’ex-ministre d’Etat Landing Savané. Cet ancien militant d’extrême gauche affirme qu’il sera sans doute candidat à l’élection présidentielle de 2012. Même lui qui revendique son passé soixante-huitard à Paris, admet regarder de moins en moins vers le Quartier latin. Quand Landing Savané n’est pas au Sénégal, c’est aux Etats-Unis qu’il se rend désormais. Signe des temps, Sitapha Savané l’un de ses enfants choisit une toute autre voie que celle de son père. Le fils de celui-ci joue au basket NBA aux Etats-Unis…

 

  1. La réalité du Sénégal

 

Le territoire sénégalais est couvert par au moins une vingtaine de langues africaines qui servent à la communication quotidienne de communautés linguistiques nationales dont la taille démographique est variable. De ces langues de communication inter-ethniques a émergé le wolof qui est ainsi retenu comme langue nationale et langue d’alphabétisation, à côté de cinq autres langues qui sont le poular, pulaar ou peul ; le sérère ou sereer ; le diola ou joola ; le mandika ou mandingue et le soninké ou Sarakollé. Toutes ces langues nationales n’ont pas le même dynamisme sur l’étendue du territoire national. Certaines sont d’un usage majoritaire, soit dans une localité, soit dans une région. Seule la langue wolof couvre au moins 80 % du territoire national comme première ou deuxième langue de communication.

Les six langues nationales reconnues par le décret N° 71 566 du 21 mai 1971 sont représentées dans la région de Dakar et surtout dans le chef-lieu de région. Dakar est devenu une véritable ville carrefour où convergent toutes les communautés linguistiques souvent pour des raisons socio-économiques. À côté du wolof, le français se trouve comme langue de communication interethnique dans tous les centres urbains du pays et même dans certains milieux ruraux. L’usage du français est fréquent là où le wolof n’est pas forcément utilisé, ce qui lui assure son statut de langue seconde dans le champ du répertoire linguistique des Sénégalais. Le français n’est plus perçu comme langue du colonisateur mais plutôt comme une composante du patrimoine linguistique national. Le Sénégal pourrait donc être vu comme le prototype d’un pays francophone d’éducation.

 

En effet, dans une approche géopolitique, un État se définit comme un État francophone s’il reconnaît le français comme langue officielle d’une façon unique ou plurielle, si son chef d’État participe au « Sommet des chefs d’États francophones » et est impliqué dans les opérateurs de ces Sommets, comme l’Agence de la francophonie – anciennement dénommée Agence de coopération culturelle et technique – ou comme l’AUPELF-UREF, et s’il est utilisateur exclusif du français dans toutes les communications officielles internationales et de manière privilégiée dans les communications nationales.

Ainsi, la situation géopolitique de la francophonie sénégalaise n’est entachée d’aucune incertitude. Le français est la langue de l’État sénégalais et les populations sénégalaises, par le biais de l’école et par une production et une exposition langagière suffisantes : médias d’État, publications institutionnelles et didactiques, se sont appropriées le français comme langue de communication, signant ainsi l’acte de copropriété et de partenariat entre le français et les langues nationales dont le wolof qui, par sa dynamique sociale, est l’une des premières langues véhiculaires à côté du français. C’est cette situation de plurilinguisme, où le français occupe une position institutionnellement privilégiée, qui a fait dire à Abdou Diouf, président de la République du Sénégal, dans son allocution lors du Sommet francophone de Cotonou : «en Afrique, la langue française doit inscrire son maintien et son dynamisme dans le contexte linguistique, culturel, éducatif, médiatique et géopolitique africain. Elle cohabite avec nos langues dont on dit qu’elles sont ses partenaires. Mettons donc en œuvre ce partenariat ».

 

C’est là une reconnaissance officielle de l’évidence de l’inscription du français dans le multilinguisme, ce qui ouvre alors la possibilité d’examiner la politique linguistique et éducative appliquée ou suggérée au Sénégal.

 

  1. Paysage sociolinguistique du français au Sénégal

 

La coexistence du français et des langues nationales ouvre la possibilité de représenter sous forme de tableaux chiffrés, à partir de la grille d’analyse des situations de francophonie élaborée par Robert Chaudenson, les rapports entre le français et les langues nationales au Sénégal.

Cette grille d’analyse des situations linguistiques de l’espace francophone sera expérimentée sur le Sénégal à partir du « status » (statut et fonction) des langues en présence et du corpus, défini par Robert Chaudenson (1988) comme le mode et les conditions d’appropriation et d’usage de la compétence linguistique. Dans cette grille, il s’agit, comme le précise l’auteur, de chercher, avant tout, sur le plan du status, à rendre compte d’un choix de système, alors que sur le plan du corpus, on doit viser à saisir l’image d’une réalité concrète. À chaque rubrique une évaluation chiffrée est réalisée donnant ainsi un total de 100 points, ce qui correspondrait au cas limite et idéal du français en France.

 

L’observation du status et du corpus d’évaluation approximative montre que le français a, au Sénégal, un status élevé et un corpus faible par rapport au wolof qui a un corpus important et un status faible. Cette différence entre corpus et status reflète l’importance du wolof dans le champ communicationnel des Sénégalais. Si la tendance de la dynamique du wolof et des autres langues nationales appuyée par une forte revendication culturelle, qui elle-même est soutenue par de nombreux ONG, ne s’essouffle pas, on peut s’attendre dans le futur à une revalorisation obligée des langues nationales. Le français sera alors une véritable langue seconde et les conditions favorables à un bilinguisme équilibré seront probablement mises en place.

C’est dans cette perspective qu’il faudrait saluer les conclusions, concernant l'éducation, du Sommet de la francophonie tenu à Dakar en 1989 où on a recommandé la mise en place d'une politique linguistique qui favoriserait l’organisation d’un véritable « partenariat linguistique entre le français et les langues nationales ». Cette politique devrait inciter à l’enseignement des langues africaines à l’école pour mieux enraciner cette institution éducative dans le milieu socioculturel de l’enfant. Car, en Afrique, aucune méthode de français, fut-elle de français langue seconde, ne parviendra jamais à combler le fossé qui sépare l’école de la vie.

 

Le seul moyen de réconcilier l’élève africain avec son environnement social n’est pas de lui apprendre une langue étrangère ou bien une langue seconde mais bien de lui enseigner à lire et à écrire dans sa langue première ou dans la langue véhiculaire nationale qu’il parle déjà.

 

  1. La politique linguistique du Sénégal

 

La politique linguistique du Sénégal peut être caractérisée par les deux composantes suivantes:

 

• Promouvoir les principales langues nationales pour en faire des langues de culture,

• Maintenir le français comme langue officielle et langue de communication internationale.

 

Le français, de par son statut et les fonctions qu’il assume, s’est imposé comme une réalité linguistique nationale. Il est la langue officielle de l’enseignement.

Les établissements préscolaires utilisent les langues nationales jusqu’aux grandes sections (entre 3 et 5 ans) où un quart du temps est consacré à l’initiation au français. En revanche, dans l’enseignement privé catholique, seul le français est utilisé.

 

Par ailleurs, la communication écrite est entièrement en français dans l’administration. L’espace éditorial est presque totalement occupé par le français. En décembre 1971, avait été créée la revue mensuelle Kaddu, entièrement en wolof, animée par l’écrivain Ousmane Sembène et le linguiste Pathé Diagne. Cette revue a disparu de l’espace éditorial. Actuellement l’Association des Chercheurs du Sénégal, par sa branche linguistique, publie Sofa, une revue bilingue wolof et pulaar.

En dehors de ces trois domaines (enseignement, administration et presse) justifiant son « status », le français est d’un usage restreint comme le montre le tableau du corpus. Les communications quotidiennes s’établissent en langues nationales. Le monde des « affaires » est largement dominé par le wolof dans les grandes agglomérations. Les secteurs secondaire et tertiaire privés recrutent un personnel non scolarisé en français comme les travailleurs manuels.

 

  1. Le wolof parlé au Sénégal

 

L’examen de la langue nationale utilisée, en particulier la langue véhiculaire du pays, montre l’importance du vocabulaire technique et administratif français dans le discours en langue nationale des Sénégalais. Les phénomènes d’alternance codique et de code « mixing » sont fréquents comme le prouvent cet exemple tiré de l’article de Ndiassé Thiam intitulé « La variation sociolinguistique du code mixte wolof-français », publié en 1994 dans la revue Langage et Société, N° 68.

« D’ABORD li mu fi AFFIRMER nii taxawul ci dara ». Combien de mots français ou de mots Wolof trouve-t-on dans cette phrase ?

 

Rares sont de nos jours les Sénégalais instruits en français qui sont capables de soutenir une conversation dans leur langue première sans employer dans chaque phrase un ou deux termes français, même si ces termes sont disponibles dans leur langue de socialisation première. La conversation conviviale se caractérise par un va-et-vient entre français et langues nationales pour se terminer dans un discours métissé, comme le confirme une de nos interviews recueillie à Dakar, lors d’une enquête que nous avions menée sur l’usage du français au Sénégal : « mais maintenant + dans les bureaux + partout + dans les cars + dans les rues + partout les gens + ils sont habitués à parler wolof + puis terminer en français ou bien parler français et terminer en wolof + de sorte que + c’est presque une habitude (Corpus enseignant) ». Nb les + sont des mots wolof introduits dans le discours.

Ce témoignage atteste de la vivacité de la situation diglossique au Sénégal. La coexistence rapprochée entre le français et les langues de souche sénégalaise est à l’origine de l’alternance codique qui peut être considérée comme un indice de présence du français dans le champ communicationnel des locuteurs sénégalais. Le wolof comme langue véhiculaire permet en milieu urbain d’observer ce phénomène auquel les autres langues présentes sur le territoire national sont également assujetties.

 

Le wolof et le français se partageant de plus en plus certains domaines, cela a pour conséquence linguistique et sociolinguistique la rareté des interactions dans lesquelles le wolof, outil conscient de l’échange linguistique, est exempt de mots français. Ce partage de fonctions statutaires, entraîne des formes de métissage linguistique avec notamment des phénomènes d’alternance codique et d’emprunt qui vont des langues nationales au français. Ces phénomènes sont souvent la résultante de l’adoption d’un nouveau mode de vie urbaine où l’on a tendance à s’entourer d’objets n’appartenant pas à la tradition culturelle du pays et à discuter de sujets savants avec une approche contemporaine. Parler wolof, dans ces conditions, signifie utiliser beaucoup plus de mots wolofs que de mots français dans son discours et parler français serait probablement l’inverse.

Quelques autres exemples tirés des corpus du français parlé au Sénégal que nous avons recueillis, transcrits et archivés dans notre banque de données orales permettent d’illustrer le métissage en question.

 

Dans le corpus intitulé Reli, L2 refuse de parler français et décide de poursuivre la discussion en wolof. En revanche L1 décide de mener la discussion en français.

Voici le wolof de L2 :

 

« dafa am no xamne + intêret mo leen di dungal ci lunuy def + yow gisnga buma enrégister + yow mayma rek » (Reli, p. 1, L3 à 6 ) ou encore p. 16 L1 à 7

« mais l’islam pronewul + woxul nit ni dangay now rek toog di xoole comme ça yalla dana jox li + loolu bena religion waxu ko + da nu ni leen ngeen jàng + ngeen def lu nek + mais dinga essayer dal + le reste nak yalla kay def mais yow dinga essayer – dinga liggey – def tout li nekk sa xeel parce que bu nu la doter d’une nature »

 

Ce qui donne dans une traduction linéaire :

« mais l’islam n’a pas prôné + n’a pas dit à la personne de venir seulement de s’asseoir de regarder comme ça Dieu lui donnera ça + cela aucune religion ne l’a pas dit + on vous a dit d’apprendre + de faire tout + mais d’essayer en tout cas + le reste alors c’est Dieu qui le fera mais toi tu dois essayer – tu dois travailler – faire tout ce qui est dans son esprit parce que si on te dote d’une nature »

 

Cette production orale en wolof représente un tout petit échantillon de l’usage abondant de mots outils comme « mais, parce que, pour » que le locuteur du wolof urbain, voire tout simplement contemporain, emprunte au français pour cimenter l’ossature de son texte. Quand le Sénégalais affirme parler wolof, il s’agit probablement de ce wolof métissé auquel les élèves sont doublement exposés : dans la famille, et à l’école par le biais de leurs enseignants. Voyons encore quelques témoignages d’enseignants :

 « (...) et même pendant nos euh euh z’animations pédagogiques + les collègues se s’expriment + en wolof euh et euh c’est ce qui fait + en fait(e) que euh cet état de fait euh euh se répercute au niveau de euh de l’enseignement que nous dispensons – voilà donc euh – » ( PA p. 67, L12 à 16 et p. 68, L1 )

 

« les collègues + au lieu d’intervenir en français – euh emploient le fra – le wolof + à la place du français – par exemple ils s’expriment facilement en wolof + euh là euh il n’y a euh aucun blocage + et même euh le euh le prestataire a tendance lui aussi + à répondre en wolof comme les questions sont posées en euh euh + en wolof – euh souvent c’est l’animateur + qui est obligé + de recentrer les débats + de dire + qu’il faut parler en français + et souvent il est euh sujet à euh à une désapprobation générale + quand il le fait – » (PA p. 70, L7 à 16 et p. 71, L1 à L7 ).

L’analyse de ces témoignages montre, contrairement à la période coloniale où les langues nationales étaient interdites à l’école, et même si la législation scolaire n’a pas changé, que les pratiques et représentations des enseignants ont évolué. Le français n’est plus – du moins officieusement – la seule langue de l’école. Nous voyons là un formidable prétexte offert aux décideurs pédagogiques et politiques pour accélérer la mise en place d’un enseignement bilingue permettant à l’apprenant de construire mentalement les deux systèmes linguistiques bien séparés avant que des habitudes nocives ne s’installent et compromettent dans le futur toute chance de réussite d’une méthodologie cohérente et conséquente. À défaut de cela, une situation diglossique durable, au sens que lui donne J. Fishman (1976), risque de s’installer.

 

Ces témoignages d’enseignants sont également un aveu d’impuissance, face à l’influence des acquisitions linguistiques réalisées dans la langue première qui sont renforcées et réinvesties lors de l’apprentissage du français. N’est-ce pas là aussi une des causes de la faiblesse des élèves en français normé, faiblesse que nous essayerons d’analyser après avoir dressé le tableau de l’histoire de l’enseignement du français au Sénégal.

F-Historique de l’apprentissage du français au Sénégal.

 

La première école en langue française est ouverte en 1830. De cette date à nos jours, on peut diviser les péripéties de l’enseignement du français au Sénégal en quatre périodes distinctes.

 

1. Première période : 1817-1965

 

L’enseignement dispensé de 1817 à 1965 était de type normatif avec la méthode directe. C’était un enseignement en français langue maternelle malgré la brève tentative de Jean Dard. La langue africaine locale était interdite à l’école. L’usage du « symbole », objet que devait garder tout élève parlant en langue du terroir, permettait de rappeler à tous les élèves qu’ils devaient oublier dans l’espace scolaire leur langue familiale afin d’acquérir la composante prescriptive et coercitive du français le plus châtié.

Au lendemain de l’indépendance acquise en 1960, trois possibilités étaient offertes au Sénégal pour ce qui est de l’enseignement du français à l’école :

 

1. Conserver le contenu et les méthodes de l’enseignement de type colonial avec la langue française comme unique langue d’enseignement, des méthodes identiques à celles du français langue maternelle et un enseignement très élitiste. Cette attitude a été observée de 1960 à 1965.

 

2. Introduire les langues nationales dans l’enseignement et aboutir à un enseignement sénégalais en langue africaine, le français n’intervenant au mieux que comme matière d’enseignement.

Le Sénégal n’a pas opté pour cette deuxième possibilité et les États africains qui pensaient avoir définitivement décollé en substituant leurs langues nationales au français, sans prendre les précautions nécessaires, ont fait des atterrissages forcés. Le Sénégal a opté pour une introduction non précipitée des langues nationales dans le cursus scolaire.

 

3. Conserver le français comme langue unique d’enseignement, mais l’enseigner en tenant compte des langues nationales, principalement du wolof, langue véhiculaire nationale.

Le Sénégal, sous la présidence de Léopold Sédar Senghor, optait pour cette troisième alternative perçue comme plus prudente et plus conforme à l’option francophone du pays.

 

2. Deuxième période : 1965-1980

Cette période correspond d’une part à la codification des langues nationales et, d’autre part, à l’expérimentation de la méthode « Pour parler français » (PPF) du Centre de Linguistique Appliquée de Dakar (CLAD).

 

Pour mettre en pratique sa politique linguistique, le Sénégal, dirigé par Senghor, a d’abord entrepris une politique de formation de linguistes de niveau universitaire spécialisés dans la description des langues africaines. Puis, dès 1977, après la codification de l’écriture des six langues nationales retenues, une première tentative d’enseignement de celles-ci dans des classes expérimentales est lancée. Le manque de matériels didactiques et la faible formation des maîtres ont contribué à l’échec et à la suspension de l’expérience. Durant cette expérimentation, la langue nationale était d’abord objet d’enseignement, puis médium d’enseignement à partir de la quatrième année de l’élémentaire.

Parallèlement à cela, l’enseignement du français se poursuivait avec une méthodologie fondée sur des études de linguistique contrastive et des contenus mieux adaptés au contexte socioculturel et aux besoins des élèves. Cette méthodologie a été mise en pratique par le CLAD dans la méthode PPF. Ainsi, tout en conservant un horaire et des programmes de langue première, on a tenté d’adapter l’enseignement aux réalités socioculturelles sénégalaises. On n’a pas suffisamment tenu compte, dans les contenus des dossiers pédagogiques élaborés entre 1965-1975, du contexte dans lequel vivent les élèves et, sur le plan linguistique, l’introduction de la langue parlée a permis de faire du français non seulement une langue destinée à former une élite, mais également et surtout un instrument permettant au plus grand nombre de faire face aux besoins de communication en français. Le français ne devait plus être exclusivement littéraire, mais s’ouvrir aux divers domaines d’emploi de la langue courante pratique.

 

Les remèdes que le CLAD se proposait d’apporter étaient définis par Maurice Calvet (1969 : 89) de la manière suivante :

• « Empêcher la créolisation des langues en contact en renforçant, grâce à la notion de norme, le processus culturel de convergence et en ralentissant au maximum le processus naturel de divergence;

 

• Favoriser et promouvoir par des moyens pédagogiques appropriés, grâce aux progrès de la linguistique, un bilinguisme harmonieux, support de deux visions du monde, peut-être différentes, mais presque toujours complémentaires et communicables;

• Donner à l’élève de la classe de « langage » la possibilité d’améliorer progressivement et sûrement ses performances, dans le cadre de compétence qu’est toute langue, cadre préétabli et préexistant à tout apprentissage particulier;

 

• Enfin, assurer à l’élève africain un meilleur devenir en le dotant des instruments linguistiques nécessaires à son épanouissement d’homme moderne ».

La méthode du PPF, en usage au Sénégal de 1965 à 1980, période pendant laquelle elle a été généralisée, a pour principale méthodologie une démarche structuro-globale dont les deux principes fondamentaux peuvent être ainsi formulés :

 

• priorité de l’oral sur l’écrit, mais non primauté;

• utilisation des dialogues comme point de départ des leçons de langage.

 

La méthode est accompagnée d’un livre du maître conçu comme un ensemble de véritables fiches pédagogiques capables de combler l’insuffisance de la formation des maîtres. Une leçon de langage du PPF se décompose en trois étapes (Présentation, Exploitation, Fixation) correspondant chacune à des objectifs psychologiques et pédagogiques précis.

La suppression en 1981 du PPF par les États Généraux de l’Éducation et de la Formation se faisait sentir. Les praticiens attendaient en vain les nouvelles directives et les nouveaux dossiers pédagogiques qui devaient leur permettre de faire face aux nécessités quotidiennes de leur métier. Jusqu’en 1991, l’école sénégalaise attendait des propositions de méthodologies d’enseignement. Les classes pléthoriques et l’absence de directives pédagogiques claires ont contribué à la dégradation de la qualité de l’enseignement au Sénégal.

 

3. Troisième période 1981-1991

Ainsi, 1981 ouvre le début de la troisième période qui correspond à un vide méthodologique, à la suite de la suppression du PPF par les États Généraux de l’Éducation et de la Formation, convoqués par le Président de la République Abdou Diouf un mois après la démission du Président Léopold Sédar Senghor.

 

Les États Généraux de l’Éducation et de la Formation avaient réuni, pour la première fois dans l’histoire didactique du Sénégal, toutes les personnes et organisations intéressées par le processus éducatif : enseignants, chercheurs, représentants du gouvernement, syndicats, parents d’élèves, personnalités religieuses, organisations d’étudiants. Cette grande rencontre nationale devait procéder à une remise en question de tout le système éducatif sénégalais afin de mieux l’adapter aux besoins d’une « école nouvelle nationale, démocratique et populaire » parce que le système éducatif, calqué sur le modèle français, n’était plus adapté aux besoins de développement du pays.

Un nouveau système éducatif national (fondé sur les réalités sénégalaises et africaines), démocratique (accordant des chances égales pour tous quant à l’éducation) et populaire (rompant avec les pratiques élitistes de la sélection-élimination) devrait être mis en place par une Commission Nationale de Réforme (CNREF) chargée de finaliser les travaux des États Généraux de l’Éducation et de la Formation. C’est dans ce contexte de refonte générale que la méthode d’apprentissage du français, le PPF, a été supprimée et on a enregistré une recommandation « ferme » pour la promotion des langues nationales comme langues d’enseignement dans tout le cursus scolaire. Si les conclusions de la CNREF étaient appliquées, on assisterait au Sénégal à une nouvelle redistribution des fonctions des langues qui se résumerait à une triglossie : « langue du milieu, qui véhicule les valeurs culturelles et aide au développement cognitif de l’enfant, langue d’unification nationale, destinée à promouvoir la conscience nationale, et langue étrangère, pour les besoins de la communication interafricaine et internationale. » (O. Ka, 1993). Le wolof serait alors la langue d’unification nationale et le français la langue seconde.

 

En attendant l’application des conclusions de la CNREF déposées depuis 1984, le français, selon les textes officiels, doit être enseigné comme langue seconde et langue étrangère. La méthode PPF, décrite plus haut, était fortement orientée dans la perspective d’enseignement du français langue étrangère. Rien n’est encore fait pour l’enseignement du français langue seconde même si l’on perçoit mieux l’urgence d’une éducation bilingue (français/langue(s) nationale(s).

L’organisation du partenariat entre le français et les langues nationales a toujours été au cœur des préoccupations des autorités politiques. C’est ce que Christian Valentin, représentant personnel du Président de la République à la francophonie a réaffirmé dans son rapport-programme présenté au Troisième Sommet de la francophonie tenu à Dakar en mai 1989. L’idée force de ce rapport sur l’orientation de politique linguistique pour les pays africains francophones comme le Sénégal est d’inciter à :

 

• la définition d’une véritable complémentarité français/langues nationales excluant toute idée de hiérarchisation entre celles-ci et celle-là;

• la prise en compte du multilinguisme dans la mise en place du processus de développement culturel, économique et social.

 

Cet objectif ne peut être atteint que par une politique de promotion effective des langues nationales à côté du français par le biais de l’enseignement. Il s’agit donc de faire de la langue de l’élève le premier instrument de découverte de son environnement, afin de mieux l’enraciner et de mieux poser les bases d’une véritable interculturalité fondée sur l’appropriation linguistique de la langue française par ses usagers. L’enseignement en langue nationale, loin d’être un frein à l’apprentissage du français, favorisera une bonne symbiose entre langues nationales et français, en évitant la tendance à la bilingualité soustractive dont les signes précurseurs sont les emprunts non motivés qui émaillent le discours des Sénégalais. Il s’agit de gérer une situation de français langue seconde car il existe au Sénégal un environnement langagier (au sens large) porteur pour le français, qui partage sur le plan de la situation linguistique, avec le wolof, des espaces d’usage social relativement bien définis. D’autres espaces le situent en concurrence, en complémentarité, ou même en couple avec la langue première ou le wolof comme langue véhiculaire, marque évidente de sa place comme langue seconde.

 

4. Quatrième période 1991 à nos jours.

L’année 1991 marque le début d’une reprise d’activités didactiques avec les manuels de l’Institut National d’Étude et d’Action pour le Développement de l’Éducation (INEADE).

 

À partir de 1998, le Ministère de l’Éducation de Base et des langues nationales a initié une réforme des curriculums tentant enfin de répondre à l’exigence de l’enseignement non seulement des langues nationales mais aussi à l’exigence d’un enseignement du français avec un statut de langue seconde.

Diagnostic du sentiment de la faiblesse en français des élèves

 

L’observation directe des méthodes utilisées même à l’époque du PPF (certains conservateurs ont continué à user de la méthode directe tout en pratiquant timidement le PPF, car la nostalgie des méthodes pédagogiques de Davesne connues sous le célèbre titre de Mamadou et Bineta est encore vivace dans les esprits), et à fortiori depuis sa suppression en 1981, montre que le français est enseigné comme langue maternelle au Sénégal. Les manuels didactiques disponibles sont en général une pâle copie de ce que l’on retrouve en France. Les progressions sont très rigoureusement identiques à celles qui sont destinées aux élèves français. En vérité, on enseigne en français, du primaire au supérieur, comme le recommandent les Instructions Officielles, en croyant qu’on enseigne le français. Parfois, on peut déplorer le fait qu’on enseigne plus en français qu’on enseigne la langue française. Aussi, la Commission Nationale de Réforme des programmes de Français et l’Association Sénégalaise des Professeurs de Français, constatant les faiblesses enregistrées en français par les élèves, ont-elles souhaité la poursuite de l’enseignement de la langue française jusqu’en classe terminale, ce qui permettrait de rendre obligatoire le français comme matière en terminale et au baccalauréat. Ce constat de baisse de niveau en français et surtout de l’inadaptation des méthodes et méthodologies d’enseignement justifie une série de réformes et de remises en cause du système éducatif sénégalais.

Depuis le début des années 1970-1980, il a eu plusieurs tentatives de remise en cause du système pédagogique hérité de la colonisation qui malgré tout ce qu’on avait pu lui reprocher, avait pour effet de mettre des enfants, souvent très âgés (entre huit ans et douze ans) en contact direct avec un français soigné en les plaçant dans un environnement hermétique à toute autre influence linguistique que le français normé. La plupart de ces nouveaux recrutés à l’enseignement élémentaire avaient une solide acquisition de la langue première par un bain linguistique prolongé dans le milieu familial et avaient, en plus, très souvent aussi une bonne faculté de mémorisation due à la récitation des sourates du Coran. En plus de ces préalables cognitifs, les enseignants étaient choisis parmi l’élite de l’époque, s’ils ne sont pas français, et étaient bien rémunérés et surtout socialement bien considérés. La fonction enseignante étaient alors valorisée et valorisante. On comprend alors qu’une méthodologie d’apprentissage basée sur la mémorisation-application de règles et pratiquée par des enseignants motivés puisse obtenir quelques résultats satisfaisants.

 

Avec l’ère de l’indépendance, nous assistons à une sénégalisation des cadres de l’Éducation Nationale et à la formation sur place de ces cadres. Le bachelier d’aujourd’hui peut ne rencontrer dans sa formation que des enseignants sénégalais formés sur place et peut-être quelques rares conseillers pédagogiques français (détenteurs de la norme exogène du français). C’est dire que ceux qui servent de modèle à l’élève tout au long de son apprentissage scolaire du français et en français ont été formés sur place, tout comme la plupart des cadres dans d’autres secteurs d’activités.

 

Ce sont donc des enseignants, très souvent mal préparés, qui propagent parfois inconsciemment le « mauvais français », qu’on fustige et qui soutient le sentiment d’une faiblesse en « bon français ». En plus, l’émergence d’un français du Sénégal qui a du mal à trouver une parcelle de légitimité à l’école et qui se fait sentir dans beaucoup de productions en français, ne facilite pas l’acquisition d’une bonne compétence capable de générer un usage acrolectal de la langue officielle. Le refus de ce français mésolectal, que l’enfant rencontre quotidiennement, crée une source de conflit sur la variété du français à utiliser, variété que l’enfant d’avant les années 60 ne connaissait pas. Ce dernier était exposé à une seule variété, qui était le français scolaire normatif ou français acrolectal, français de Mamadou et Bineta de D’Avesnes.

Une formation de base insuffisante, une formation continue inexistante, des effectifs pléthoriques constituent une partie de la toile de fond explicative de la faiblesse du niveau, principalement en français, des élèves sénégalais. Cette faiblesse entraîne la baisse du niveau dans les autres matières d’enseignement parce que le médium de l’enseignement n’est pas assimilé de manière adéquate.

 

Pour un aménagement des langues dans l’enseignement

Face à cette situation de crise didactique que faire? Il est urgent de repenser le système éducatif en entier en tenant compte, d’une part de l’environnement sociolinguistique dans lequel doit s’exercer le métier d’enseignant du français et en français, et, d’autre part, de la nécessaire corrélation entre les impératifs d’une éducation en langues nationales et d’un apprentissage obligatoire en français et du français.

 

Une démarche de type contrastive devrait être à la base de toute réflexion méthodologique car la situation sociolinguistique est telle qu’il est impossible de faire table rase des langues de souche sénégalaise et ou de renoncer au français. Enseigner le français aujourd’hui suppose également mettre en place une structure ou une stratégie permettant d’exploiter les ressources et (ou) les représentations acquises en même temps que les langues nationales. Cela peut se faire en retardant l’âge de la scolarisation pour favoriser une meilleure acquisition de la langue première en famille ou dans des structures para ou préscolaires (école maternelles post-scolarisation, écoles arabes, écoles coraniques, écoles religieuses, écoles franco-arabes, écoles communautaires de base, etc.).

L’enseignement des langues nationales n’interviendrait dans l’éducation de base (école primaire) que comme matière d’enseignement au même titre que les autres matières participant à la formation et plus précisément à l’éducation de l’apprenant. Les langues nationales n’interviendraient comme langue d’enseignement que dans le cadre de l’éducation civique et morale, de l’éducation pour l’environnement et la santé. Les langues nationales seront alors les langues de l’enracinement et la langue seconde qu’est le français, la langue d’ouverture. C’est dans ces conditions et avec une grande précaution (en étant prudent sur l’option enseignement en langues nationales sur tout le cursus et en optant plutôt et d’abord pour l’enseignement des langues nationales du primaire à l’université et dans les écoles de formation) qu’on organisera de manière fiable et en l’inscrivant dans le long terme, le partenariat entre français et langues nationales. Une conséquence inévitable de ce partenariat où le français est en situation de langue seconde sera le développement d’une norme endogène, marque de l’appropriation du français, dont l’école doit tenir compte dans l’appréciation des compétences communicatives des apprenants.

 

Abdou Diouf, dans son discours au Sommet francophone de Cotonou en 1995, ne recommandait-il pas cela aux pays africains lorsqu’il disait : « Prenons en compte le français d’Afrique, tout en conservant à la langue sa structure et sa solidité ».

N’est-ce pas là une reconnaissance de l’appropriation du français par les Africains et un appel pressant à tenir compte de la norme endogène, c’est-à-dire du français parlé par les Africains à des Africains. Ces Africains, locuteurs légitimes du français, sont ceux que leur statut social habilite et oblige à la fois à pratiquer cette langue de partage sans toutefois se détacher des modes de vie et de pensée africains et dont les usages linguistiques et langagiers ne mettent pas en cause l’intégrité du français. L’un des signes de l’appropriation du français en Afrique et au Sénégal en particulier est le développement d’un discours mixte qui témoigne de la coprésence permanente du français et des langues nationales dans les productions langagières.

 

C’est cette présence de la norme endogène (variété qui ne correspond pas toujours à la norme scolaire ou norme académique qu’est censée transmettre l’école) dans des situations de communication où la vigilance métalinguistique est en veilleuse qui crée souvent une certaine insécurité linguistique et qui motive le sentiment de la baisse de niveau en français. Les représentations du français à l’école sont celles qui sont liées au français littéraire, ce qui ne permet pas de prendre souvent conscience du développement d’une norme endogène, conséquence linguistique d’une situation de français langue seconde.

La situation de langue seconde, comme le précise le CREDIF dans l’enquête sur l’« Usage social du français langue seconde en milieu multilingue dans certains pays francophones », est celle où objectivement les locuteurs ont la possibilité quotidienne d’utiliser ou au moins d’être confrontés à cette langue dans leur commerce quotidien, entre membres d’une même communauté vivant dans une situation multilinguistique et multiethnique. Ou encore cette autre situation dans laquelle la langue a été adoptée comme un instrument de communication permettant le dialogue entre les peuples parlant des langues de diffusion limitée et n’ayant pas d’audience en dehors des pays où elles se pratiquent. Le français est ainsi, pour l’Afrique francophone, langue de communication internationale. C’est pour cela qu’il est bon de marquer la différence entre l’apprentissage d’une langue étrangère et l’apprentissage d’une langue seconde parce que les besoins de formation en français langue seconde sont nettement plus élevés que ceux qui sont ciblés en français langue étrangère. En effet, l’apprenant de français langue seconde est destiné à acquérir une compétence communicative proche de celle du locuteur natif tout en étant potentiellement sensible aux différents usages mésolectaux et même acrolectaux de la langue. Il se doit d’être le prototype du bon francophone, au terme de sa formation, parce qu’il sera non seulement locuteur mais aussi un potentiel utilisateur scientifique du français. Le français, en situation de langue seconde, est alors langue d’accès au savoir spécialisé, au savoir de pointe, langue de communication scientifique et donc langue d’ouverture vers le monde. Enseigner le FL2 suppose une méthodologie préalable permettant de définir un seuil de dicibilité francophone car l’acceptabilité de la norme endogène doit s’accompagner d’une exigence sur la correction grammaticale. Dès lors, il nous semble qu’il est d’évidence nécessaire de revoir l’enseignement du français en fonction des besoins de communication en langues nationales et en français et surtout de tenir compte de l’environnement dans lequel baigne l’enfant. C’est cet environnement qui permet d’analyser la variété de français que l’enfant consomme parfois passivement et qui est à l’origine de la baisse de niveau en français que tout le monde déplore.

 

L’organisation de ce partenariat suppose une politique de planification linguistique encouragée et mise en œuvre concrètement par les décideurs politiques. Pour cela, décideurs politiques et pédagogiques doivent contribuer à étendre l’enseignement des langues nationales dans tout le cursus scolaire et universitaire en un premier temps et dans un second temps passer progressivement à l’enseignement en langues nationales en commençant par l’éducation de base.

Pour conclure, disons que le français est et restera encore pour plusieurs générations la langue officielle du pays. Mais il est souhaitable que la politique de revalorisation des langues nationales soit plus hardie et les méthodologies d’enseignement du français rénovées et adaptées à la réalité sociolinguistique du pays. Pour bien gérer sa francophonie, le Sénégal doit tendre vers l’application des décisions politiques qui recommanderaient une éducation multilingue. C’est dans cette perspective seulement qu’on éviterait de « métisser » le français et qu’on limiterait le processus de sa restructuration par les langues nationales. Un bon enseignement du français qui tiendrait compte de la norme endogène après un travail de normalisation et une « bonne » politique éducative, et qui donnerait aux langues nationales la place qu’elles méritent dans le tissu éducatif sénégalais, favoriseraient – à n’en pas douter – la réalisation d’un bilinguisme équilibré chez les jeunes Sénégalais.

 

C’est là, nous semble-t-il, la façon d’inscrire le français dans le multilinguisme et la clé du succès de la francophonie non seulement sénégalaise mais aussi africaine.

Amadou DIALLO http://www.diallobeducation.com/

 


20/08/2013
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La soumission de l’Etat au droit constitue un Etat de droit

 La soumission de l’Etat au droit
constitue un Etat de droit


 «De la
présomption d’innocence à la présomption de culpabilité
»

 Si
l’Etat est un justiciable, sa soumission au droit ne doit en aucun cas faire grincer les dents dans une démocratie digne de ce nom. Quel message
notre pays envoie à ceux qui ont beaucoup de respect pour la démocratie sénégalaise.
Heureusement la détermination de certains mouvements citoyens donne à penser
que la reconquête de l’Etat de droit reste possible. C’est en fait une crise de
la représentation qui apparaît, dans la mesure où la détérioration globale de
l’image des hommes politiques risque de 
devenir beaucoup plus forte qu’elle ne l’était tant dans le respect du
droit que de la morale.

Dans le cadre du fonctionnement normal d’un
Etat de droit, la Cour de justice de la CEDEA n’aurait même pas dû être saisie,
car l’anomalie procédurale était patente. Il s’y ajoute que la sensibilité
idéologique des hommes politiques est devenue tellement instable dans notre
pays que l’on assiste à la ruée de certains cadres politiques
vers le parti au pouvoir. Ils suivent le mouvement et renoncent à leur conviction.
Pire ils mettent à mal la
sécurité Juridique de nos institutions.

A en croire certains ténors de l’APR, l’Etat
du Sénégal ne souhaite pas respecter la décision de la Cour de la CEDEAO
concernant l’interdiction de sortie du territoire qui frappe Karim Wade et
consorts.

Au-delà de son aspect juridique, le bon sens
interdit à une autorité juridique ou administrative de prendre une décision en
catimini (sans document écrit) en interdisant à un citoyen de quitter le
territoire sans aucune notification.

Une décision ordonnant ou interdisant la
liberté constitutionnelle d’aller et venir doit être notifiée à la personne
mise en cause. Dans cette affaire, les personnes présumées coupables d’enrichissement
illicite n’ont reçu aucun acte administratif ou juridique leur interdisant de
quitter le territoire.

L’Etat du Sénégal vient de rejoindre l’Etat d’Israël face au non-respect des décisions des juridictions
Internationales.

La justice doit être déconnectée des rancœurs
du pouvoir politique  qui est censé assurer
l’Etat de droit dans toute sa rigueur et dans la
sérénité. Au-delà de la  suspicion légitime qui entoure toute cette
procédure, le fait que Madame le garde des sceaux soit divorcée d’un des mis en
cause et du camouflé de la Cour de justice de la CEDEAO devait l’amener à
prendre de la hauteur en posant sa démission.

Cependant, il est impératif de tout faire
pour mettre à la disposition de la justice tous ceux qui de près ou de loin,
ont participé au festin des
carnassiers face aux deniers publics.

Il est également nécessaire de corriger
l’oubli par omission « des fonds politiques » par le nouveau pouvoir.

Les fonds politiques n’ont pas pour objectif
d’enrichir ceux qui les détiennent.
Le cas échéant, ils doivent être
poursuivis pour abus de biens sociaux.

Sans compter 
l’appropriation du terrain domanial par 
certaines autorités politiques et administratives, il est du devoir du Ministre
de la bonne gouvernance de vérifier s’il n’y a pas eu de délit de prise illégal
d’intérêt aussi bien des anciens  que des
nouveaux tenants du pouvoir politique.

Alioune Badara Fall le bâtonnier de l’ordre
d’Avocats dans le journal télévisé du 14/01/2013 à la sortie de l’audience avec
le chef de l’Etat Macky Sall  celui-ci n’a
relevé aucune violation des droits de l’homme alors même que  les moyens de L’Etat sont mobilisés pour
intimider les opposants. Rappelez-vous  Ousmane
N’Gom arrêté à kolda pendant qu’il faisait 
la campagne pour les  élections
législatives, au motif qu’il n’a pas déféré à la convocation du juge, alors que
ce dernier  pouvait attendre son retour
sur Dakar, mais envoyé un hélicoptère pour  aller chercher Ousmane N’Gom à Kolda était
inapproprié.

Par ailleurs, Me Amadou Sall avait accusé «
le Président Macky Sall de faire du fétichisme en choisissant sciemment
d’auditionner Karim Wade les jeudis pour le libérer mystiquement dans la nuit
du jeudi au vendredi. "C’est la sixième fois que l’on convoque un jeudi.
On ne peut pas gérer un pays avec les fétiches, on ne peut pas gérer un pays
dans le mystique».

Le Président Macky Sall doit intégrer le fait
qu’il est président de tous les Sénégalais même pour ses anciens ami(e)s qui
sont supposés aujourd’hui être des bandits ou des charlatans

Il y a une certaine théâtralisation des
procédures en cours qui risque d’affecter malheureusement la sincérité d’une justice
sereine.

Le procureur spécial Alioune N’DAO est placé
sous la direction et le contrôle de l’autorité du garde des sceaux Aminata Touré,
par conséquent je ne vais pas m’attarder sur ce cas spécial

Dommage que la RADDHO n’a pas été hardie dans le dossier de violation grave que constitue la restriction de
la  liberté d’aller et de venir de certains anciens dignitaires alors même
qu’aucune notification  ne leur a été signifiée.

La RADDHO 
a-t-elle cessé d’être une organisation de défense des droits de
l’homme ?

Seuls les mouvements citoyens peuvent
garantir la vigilance en attendant que l’Etat s’autolimite au droit.

   Le M23 a apporté une
véritable révolution citoyenne au Sénégal. «Y
EN A MARRE » et la RADDHO (Rencontre Africaine pour la
Défense des Droit de l’Homme) ont fait un travail remarquable pour la défense
de la République, d’un Etat de droit et de la démocratie.

Pour autant, le M23 ne peut et ne doit se substituer aux partis
politiques, mais ce mouvement
citoyen doit exiger que l’Etat de droit soit respecté dans tous ses aspects.
Cette exigence doit naturellement concerner, indistinctement : les
rapports entre les citoyens, le bon fonctionnement de l’Etat, des partis
politiques, des associations, des syndicats, des comités de soutien bref toutes
les structures d’encadrement.

Il est utile de rappeler que le M23 n’est pas un mouvement
politique ni une coalition de partis. Leurs leaders réels n’étaient pas
candidats à l’élection présidentielle  de 2012 non
plus. Les partis politiques ont profité de la détermination de  « Y
EN A MARRE » pour se greffer sur ce mouvement par opportunité.

Le danger est de considérer le M23 comme un parti politique et de
vouloir négocier une quelconque gestion du pays. En revanche, rien n’interdit à
Macky Sall de rencontrer les leaders du M23 pour recueillir leur sentiment,
leur demande comme n’importe quelle structure d’encadrement. Négocier avec
l’APR de Macky Sall la façon de conduire les affaires de l’Etat ne doit en
aucun cas être la règle. Contrairement à la RADDHO,
«Y EN A MARRE» peut se transformer en parti politique, car rien ne l’en
empêche, en revanche, leurs missions et leurs objets changeront du fait que
nous sommes dans une démocratie représentative et non populaire.

Le M23 en tant que force sociale contraint par le pouvoir
politique à cause du tripa touage de la constitution (l’adoption avortée de la
réforme constitutionnelle du 23 juin 2011 relative au ticket présidentiel) de
se situer par rapport aux objectifs bruyamment affichés et justifiés, en s’imposant
comme un interlocuteur aux différents acteurs du jeu institutionnel.

 L’activisme du M23 appelle des réserves. Un électeur mature,
est celui qui est dégagé de toute solidarité préfabriquée, moins captif des
mots d’ordre des partis ou d’une structure d’encadrement d’une part, et
également dégagé des contraintes lui empêchant la capacité de reconnaitre par
lui-même ses propres intérêts.

Le M23 est une des expressions ponctuelles d’un mécontentement lié
au ticket présidentiel, à l’irrecevabilité de la candidature de Wade, aux
coupures d’électricité et de corruption d’une manière particulièrement
spectaculaire. Si, en revanche, le changement de stratégie du M23 durait, cela
signera la mutation du mouvement en un véritable parti politique.

Peut-être
s’attaquer véritablement à tous ceux qui ont flirté dans le seul but de
s’enrichir.

L’enrichissement
illicite n’est pas apparu de façon soudaine et immédiate au Sénégal, mais date
de très longtemps.

Ce
comportement excessif de posséder (boulimie foncière), je le qualifie de
conformisme politique de classe, c'est-à-dire un mécanisme qui permet aux
hommes politiques de s’enrichir en peu de temps, surtout lorsqu’ils occupent
des postes à haute portée économique, pour faire comme ceux qui les ont
précédés. Des dispositions que les hommes politiques intériorisent rapidement
pour acquérir le plus de biens sans équivalent avec leurs apports économiques,
politiques et sociaux, constituent un danger pour la démocratie.

Leur
objectif est de tirer l’essentiel de leurs revenus pour toute leur existence
dans le peu de temps que durent leurs responsabilités politiques ou
administratives. Pour être riche, il faut être Ministre ou directeur général
d’une grande entreprise publique. Il serait intéressant de demander à tous ceux
qui ont exercé de hautes fonctions politiques et administratives de justifier
l’origine licite de leurs revenus.  Du
moins rassembler des preuves de leur culpabilité  par le Procureur non spécial pour les accusés
devant la haute Cour de justice pour ceux d’entre eux qui ont exercé des
fonctions ministérielles. La majorité d’entre eux n’a pas hérité d’un
patrimoine familial qui justifie souvent des revenus insolents et extravagants.

Ce sont souvent des
organisations dans lesquelles ces comités de soutien qui se manifestent par les
trafics d’influence de leur relation avec les détenteurs de pouvoirs politiques
ou économiques utilisent différents moyens de pression pour arriver à leurs
fins.

Plus
grave est le risque de contrôler la distribution des postes en mettant l’homme
qu’il ne faut pas à la place qu’il faut.

C’est pourquoi il n’est pas
trop d’affirmer le principe qu’en plus d’hommes vertueux, il faut des règles
efficaces pour une bonne gouvernance.

Les déclarations ne suffisent
pas à elles seules à traquer les biens mal acquis, mais aussi vérifier si ces
« grands hommes » paient et s’ils sont à jour dans le paiement de
tous leurs impôts, dans le cas contraire       obligé
la Direction des Impôts et Domaines à recouvrer les impôts dont ils sont redevables
depuis des décennies.

Le
consensus qui entoure la traque des biens mal acquis risque de se heurter à l’incapacité
du pouvoir à la mettre en œuvre conformément à la procédure, car il pense plus
à la (communication) qu’à rendre les dossiers irréprochables.

Or, l’éclatement de la coalition Bokk
yaakkaar est plus que probable, car ces formations politiques ont préféré une
juxtaposition ou d’une addition des voix pour accéder au pouvoir en lieu et
place de la désignation d’un candidat qui porte un projet.

Si
les nouvelles mesures qui sont présentées aujourd’hui sont si prometteuses et
innovantes, pourquoi n’ont-elles pas été appliquées par Macky Sall quand il déterminait
et conduisait la politique du Sénégal ?

Une alternance sans alternative
n’est pas souhaitable pour le pays, pour l’instant les prémices d’une bonne
gouvernance tardent à être visibles.

 

Abdourahmane KEITA

abdoukeita1@gmail.com


22/03/2013
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Lettre du président Hugo Chavez aux participants du IIIe Sommet Afrique-Amérique latine et Caraïbes (Guinée équatoriale, février 2013).

Lettre du président Hugo Chavez aux participants du IIIe Sommet Afrique-Amérique latine et Caraïbes
(Guinée équatoriale, février 2013).

Caracas, 22 février
2013

Frères et sœurs,

Recevez mon plus
fervent salut bolivarien, unitaire et solidaire, avec toute ma joie et toute
mon espérance pour le déroulement de ce IIIe Sommet tant attendu des chefs
d’État et de gouvernement d’Amérique du Sud et d’Afrique.

Je regrette vraiment,
du plus profond de mon être de ne pouvoir être présent physiquement parmi vous
pour vous réitérer, par une sincère accolade, mon irrévocable engagement en
faveur de l’unité de nos peuples. Je suis présent, cependant, dans la personne
du Chancelier de la République bolivarienne du Venezuela, le camarade Elias
Jaua Milano, à qui j’ai demandé de vous transmettre la plus vive expression de
mon amour pour ces continents qui sont plus que frères, unis par de solides
liens historiques et destinés à avancer ensemble vers leur rédemption pleine et
absolue.

Je le dis du plus
profond de ma conscience : l’Amérique du Sud et l’Afrique sont un même peuple.
On réussit seulement à comprendre la profondeur de la réalité sociale et
politique de notre continent dans les entrailles de l’immense territoire
africain où, j’en suis sûr, l’humanité a pris naissance. De lui proviennent les
codes et les éléments qui composent le syncrétisme culturel, musical et
religieux de notre Amérique, créant une unité non seulement raciale entre nos peuples
mais aussi spirituelle.

De la même manière, les
empires du passé, coupables de l’enfermement et de l’assassinat de millions de
filles et de fils de l’Afrique mère dans le but d’alimenter un système
d’exploitation esclavagiste dans leurs colonies, semèrent dans Notre Amérique
le sang africain guerrier et combatif qui brûlait du feu que produit le désir
de liberté. Cette semence a germé et notre terre a enfanté des hommes aussi
grands que Toussaint Louverture, Alexandre Pétion, José Léonardo Chirino, Pedro
Camejo parmi beaucoup d’autres, avec pour résultat, il y a plus de 200 ans, le
début d’un processus indépendantiste, unioniste, anti-impérialiste et
reconstructeur en Amérique latine et caribéenne.

Ensuite, au XXe siècle,
vinrent les luttes de l’Afrique pour la liberté, ses indépendances, contre ses
nouvelles menaces néo-coloniales, Patrice Lumumba, Amilcar Cabral pour n’en
citer que quelques-uns. Ceux qui, dans le passé, nous ont conquis, aveuglés par
leur soif de pouvoir, ne comprirent pas que le colonialisme barbare qu’ils nous
imposaient deviendraient l’élément fondateur de nos premières indépendances.
Ainsi, l’Amérique latine et les Caraïbes partagent avec l’ Afrique un passé
d’oppression et d’esclavage. Aujourd’hui plus que jamais, nous sommes fils de
nos libérateurs et de leurs hauts faits, nous pouvons dire, nous devons dire
avec force et conviction, que nous unit aussi un présent de lutte
indispensables pour la liberté et l’indépendance définitive de nos nations.

Je ne me lasserai pas
de le redire, nous sommes un même peuple, nous avons l’obligation de nous
rencontrer au-delà des discours formels dans une même volonté d’unité et ainsi
unis, donner vie à l’équation qui devra s’appliquer dans la construction des
conditions qui nous permettront de faire sortir nos peuples du labyrinthe dans
lequel le colonialisme les a jetés et, par la suite, le capitalisme néo-libéral
du XXe siècle.

Pour cela, je veux
évoquer la mémoire de deux grands combattants pour la coopération sud-sud comme
l’ont été les deux ex-présidents du Brésil et de la Tanzanie, Luis Ignacio «
Lula » da Silva et Julius Nyerere dont les apports et les efforts ont permis,
en leur temps, la mise en place de magnifique forum pour une coopération
solidaire et complémentaire comme l’est l’ASA [América del Sur/Africa].

Cependant, les temps
que nous vivons nous obligent à consacrer nos plus profondes et urgentes
réflexions à l’effort nécessaire pour transformer l’ASA en un véritable
instrument générateur de souveraineté et de développement social, économique,
politique et environnemental.

C’est sur nos
continents que l’on trouve les ressources naturelles, politiques et historiques
suffisantes, nécessaires, pour sauver la planète du chaos où elle a été
conduite. Faisons que le sacrifice indépendantiste de nos ancêtres qui nous
offre le jour d’aujourd’hui serve à unifier nos capacités pour transformer nos
nations en un authentique pôle de pouvoir qui, pour le dire avec le père
Libérateur Simon Bolivar, soit plus grand par sa liberté et sa gloire que par
son extension et ses richesses.

Les paroles de cet
immense général uruguayen José Gervasio Artigas résonnent toujours dans mon âme
et dans ma conscience : « Nous ne pouvons rien attendre si ce n’est de
nous-même. » Cette pensée si profonde renferme une grande vérité que nous
devons assumer, j’en suis absolument convaincu.

Notre coopération
sud-sud doit être un lien de travail authentique et permanent qui doit tourner
toutes ses stratégies et ses plans de développement soutenable vers le sud,
vers nos peuples.

Quoiqu’en aucune
manière nous ne nions nos relations souveraines avec les puissances
occidentales, nous devons nous rappeler que ce ne sont pas elles qui sont la
source de la solution totale et définitive pour l’ensemble des problèmes de nos
pays. Loin de l’être, quelques-unes d’entre elles appliquent une politique
néo-coloniale qui menace la stabilité que nous avons commencé à renforcer sur
nos continents.

Frères et sœurs, je
voudrais rappeler pour ce IIIe Sommet des chefs d’État et de gouvernement de
l’ASA, l’esprit de fraternité, d’unionisme et de volonté qui a dirigé le
déroulement de ce IIe merveilleux Sommet dans l’île de Margarita, au Venezuela,
qui nous permit d’adopter unanimement les engagements de la déclaration de
Nueva Esparta. Je souhaite avec beaucoup de foi et d’espérance que nous
puissions récupérer à Malabo l’impulsion et l’effort de ce moment
extraordinaire pour notre processus d’unité, le Sommet de 2009, qui a montré
autant par sa fréquentation massive que par la quantité et le contenu des
accords atteints.

Depuis le Venezuela,
renouvelons aujourd’hui notre plus ferme engagement dans le renforcement du
Secrétariat permanent de la table présidentielle stratégique de l’ASA avec ses
principales tâches et fonctions pour accélérer le rythme dans la consolidation
de nos institutions et obtenir ainsi une plus grande efficacité dans notre
travail conjoint.

Je regrette avec
beaucoup de douleur et de peine que tout notre travail commencé formellement
depuis 2006 ait été interrompu par les forces impérialistes qui prétendent
encore dominer le monde. Ce n’est pas un hasard, je le dis et je l’assume
pleinement, que depuis le sommet de Margarita, le continent africain ait été
victime des multiples interventions et des multiples attaques de la part des
puissances occidentales.

Les nombreux
bombardements et invasions impériaux empêchant toute possibilité de solution
politique et pacifique aux conflits internes qui ont commencé dans diverses
nations d’Afrique, ont eu comme objectif principaux de freiner le processus de
consolidation de l’unité des peuples africains et, en conséquence, de miner les
progrès de l’union de ces états avec les peuples latino-américains et
caribéens.

La stratégie
néo-coloniale a été, depuis le début du XIXe, de diviser les nations les plus
vulnérables du monde pour les soumettre à des rapports de dépendance
esclavagiste. C’est pour cela que le Venezuela s’est opposé, radicalement et
depuis le début, à l’intervention militaire étrangère en Libye et c’est pour le
même motif que le Venezuela réitère aujourd’hui son rejet le plus absolu de
toute activité d’ingérence de l’OTAN.

Face à la menace extra-régionale
pour empêcher l’avance et l’approfondissement de notre coopération sud-sud, je
le dis avec Bolivar dans sa Lettre de Jamaïque de 1815 : « Union, union, union,
cela doit être notre plus importante consigne. » Notre Gouvernement renouvelle,
en ce IIIe Sommet de l’ ASA dans cette république sœur de Guinée équatoriale,
son absolue disposition à avancer dans le travail nécessaire pour consolider
notre coopération dans les secteurs que j’ai personnellement proposées à notre
dernier sommet, dans la belle île de Margarita. Énergie, Éducation,
Agriculture, Finances et Communication continuent d’être nos priorités et pour
celles-ci, nous réitérons notre engagement pour avancer dans des initiatives
concrètes comme Petrosur, l’Université des peuples du Sud ou la Banque du Sud,
pour ne citer que quelques exemples. Dans le secteur de la communication, nous
proposons, depuis le Venezuela, que cet effort que nous avons réussi à mettre
en place ensemble dans différents pays de l’Amérique du Sud, TeleSur, s’articule
avec l’Afrique afin qu’il puisse accomplir depuis ces latitudes sa principale
fonction : relier les peuples du monde entre eux et leur apporter la vérité et
la réalité de nos pays.

Enfin, je veux
renouveler à tous mon désir que les résultats projetés lors de ce IIIe Sommet
ASA nous permette de transformer ce forum en un outil utile pour conquérir
notre définitive indépendance en nous plaçant à la hauteur de l’exigence de
l’époque et comme le dirait le Libérateur, le plus de bonheur possible pour nos
peuples. Je suis un convaincu, simple et obstiné, nous réussirons à mener à
bien cette cause que nos libérateurs et martyres nous ont transmise depuis des
siècles. Nos millions de femmes et d’hommes présentés en sacrifice pour leur
pleine et absolue liberté. Avec le père infini, notre Libérateur Simon Bolivar,
je dis une fois de plus : « Nous devons attendre beaucoup du temps, son ventre
immense contient plus d’espérance que de faits passés et les prodiges futurs
doivent être supérieurs aux anciens. »

Marchons donc vers
notre union et notre indépendance définitive. En paraphrasant Bolivar, je dis
maintenant : « Formons une patrie, un continent, un seul peuple, à tout prix et
tout le reste sera supportable. »

Vive l’union
sud-américaine et africaine ! Vive l ’ASA !

Jusqu’à la victoire
toujours ! Nous vivrons et nous vaincrons !

Hugo Chavez Frias

Président du Venezuela.


06/03/2013
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Le Conseil constitutionnel et nous

Le Conseil constitutionnel et nous


Si le débat autour de la candidature du Président de la République arrive à ouvrir une réflexion sur la place du Conseil constitutionnel dans notre démocratie, il aura sans doute été bienfaisant. Ce débat est important, bien sûr, mais l’opportunité doit en être saisie pour repenser l’arbitrage juridictionnel de la politique dans notre pays. Depuis des mois, beaucoup de choses ont été dites, en rapport avec ce débat. En soi, cette vivacité de la controverse publique est une chose stimulante, et il faut s’en féliciter. Il ya du reste fort à parier qu’après avoir été sous les feux de la rampe, puis dans l’œil du cyclone, notre justice constitutionnelle sortira de l’épreuve quelque peu transfigurée, non parce qu’elle serait dorénavant sensible aux conditionnements de la conjoncture politique, mais parce qu’à l’occasion d’un débat il est vrai tendu, elle aura compris l’espérance désormais investie en elle et l’assumera en toute clairvoyance. C’est déjà un acquis : il y aura, sans doute, un avant et un après 2012.
Mais les périodes d’effervescence sont aussi, souvent, des moments de confusion, dans lesquels les impulsions passionnelles et les inclinaisons partisanes prennent volontiers le pas sur un minimum de sérénité sans lequel le débat public n’est ni sain ni fécond. Que le raidissement du débat public soit le fait d’acteurs politiques n’est que normal, c’est même, ajouteront d’autres, le sel de la démocratie. Mais il est tout aussi légitime de chercher, au milieu de cette houle, à rappeler un certain de choses qui ont pu, il faut bien le dire, être oubliées ou occultées –on n’ose dire volontairement – dans cette controverse. Des choses qui ont pu être dites ou insinuées, certaines doivent être relativisées, alors d’autres méritent incontestablement d’être appuyées, confortées. Les faux procès ne doivent pas faire oublier les vrais défis.
Deux faux procès
Dans la fureur du débat, c’est d’abord la « clarté » et la « simplicité » qui ont été érigées en règle. La question de la candidature du Président de la République n’est certainement pas une question insoluble au regard des dispositions de la Constitution, elle y trouve sans aucun doute sa solution – nous y reviendrons -. Mais donner à penser que les normes sur lesquelles travaille le juge constitutionnel sont d’une clarté cristalline, que l’acte de juridiction constitutionnelle est un acte purement « technique », réalisable au terme d’une démarche mécanique n’est pas très sérieux. Il faut accepter la complexité intrinsèque de la justice constitutionnelle, la tenir pour irrévocablement acquise et, dans le cadre de cette contrainte originelle, travailler à faire prévaloir ses propres thèses. Dans leurs avatars extrêmes, certains points de vue entendus ont résonné à la manière d’un « Circulez, ya rien à interpréter », puisqu’il était entendu que « tout est clair ». Lorsque l’on se mêle de parler de la question en termes « scientifiques », il faut évidemment éviter de tomber dans le piège des raisonnements sommaires et des alternatives simplistes. Notre démocratie, jeune et impatiente, succombe souvent à la tentation des bipolarisations et aime à mettre en scène les oppositions spectaculaires, fracassantes, qu’il s’agisse de politique, ou qu’il soit question de l’interprétation des règles qui la régissent. Nul n’est, bien entendu, obligé de sombrer dans cette tentation. Il serait très préjudiciable que la vivacité de nos controverses emportât tout sur son passage, et que la véhémence des positions finît par déboucher sur un affaissement de
 
toute instance critique dans notre démocratie. « Critique », c’est-à-dire, dans la mesure du possible, distante. Le seul apport d’un regard d’ « expert » sur un débat politique est de rendre fidèlement compte de ses tenants et de ses aboutissants. C’est là une exigence minimale de l’ « honnêteté intellectuelle », le débat scientifique n’est pas obligé d’être à la remorque du débat politique.
Il faut donc récuser, dans son principe même et abstraction faite des péripéties de notre vie politique, l’idée que le juge doit appliquer des « règles claires ». Au contraire, la norme qui se rapporte à la Constitution est souvent affectée de complexité, et ce pour deux raisons. La première tient à son laconisme, à la brièveté de son énoncé. Contrairement à d’autres de ses homologues juges, il n’a pas de matériau normatif abondant, et doit donc suppléer cette carence, qui est d’abord un facteur de complexité dans l’accomplissement de sa mission. La seconde raison est que la Constitution est un lieu d’oppositions, aussi paradoxal que cela puisse être. Il n’est pas rare, que dans un même texte, on trouve une chose et une autre qui tend à la relativiser. Cela ne veut pas dire que toutes les vérités se valent – car il y en a toujours une qui présente un degré de pertinence supérieur aux autres, mais il faut intégrer cette dimension-là du travail du juge de la Constitution. Il ne sert à rien de nier cette évidence, il faut en prendre acte : il n ya pas de police du sens dans cette matière-là.
Mais cette relativité fondamentale a une conséquence que nous devons assumer : c’est que les décisions du juge constitutionnel ne sont pas des vérités révélées, qu’on peut et qu’on doit même toujours les discuter, les soumettre à la « critique » au sens premier du terme – c’est –à-dire les « juger ». La tentation est en effet grande de dire qu’une fois que le Conseil s’est prononcé, il faut se taire. Ce point de vue se nourrit, dans notre pays, d’un facteur institutionnel et d’un facteur conjoncturel : puisque les décisions du Conseil s’imposent à tout le monde, il ne faut pas les discuter, pourrait-on être tenté de dire ; et puisque le débat sur la validité de la candidature présidentielle nous a tant occupé, il est temps de le clore, ajoutera-t-on, dans la même veine. Une telle opinion est une tentative de mise au pas de la réflexion critique, elle n’est pas acceptable.
L’autre faux débat sur le Conseil constitutionnel porte sur la nécessité de n’y avoir que des « spécialistes ». Là également, on aura entendu des choses que ne corroborent ni des données scientifiques, ni l’expérience pratique de nombre de juridictions constitutionnelles dans le monde. Dans un élan qui a pu confiner au sectarisme, des juristes se sont même parfois vu exclus du débat, sous prétexte qu’ils ne seraient pas des « spécialistes ». Or, l’interprétation de la Constitution pose des problèmes transversaux qui concernent tous les praticiens du droit, quelle que soit leur « spécialité ». La réflexion sur nos institutions souffre de deux maux, le juridisme et l’académisme : penser qu’une démocratie se bâtit à coups de textes, considérer que le débat sur les institutions est un apanage. Or, rendre la justice constitutionnelle n’est pas un exercice d’ésotérisme. Sait-on qu’il existe des pays dans lesquels, pour être juge constitutionnel, on n’a même pas besoin d’être juriste de formation, mais, par exemple, ancien député ? Sait-on qu’au Sénégal même, les universitaires présents au Conseil n’ont jamais été, depuis 1992, des « spécialistes de la Constitution », et que nul n’a trouvé à redire à la manière dont ils faisaient leur travail ? Oublie-t-on que maintes juridictions intègrent en leur sein des avocats, des magistrats et autres personnes ne se prévalant pas nécessairement d’une
Connaissance théorique pointue des questions constitutionnelles ? Faut-il même rappeler que c’est d’hommes de ce type que l’on attend une effectivité des normes constitutionnelles ? Ce sont les avocats, les praticiens des droits de l’homme, les gens de justice qui sont les mieux placés pour promouvoir la Constitution, parce que ce sont eux qui, dans leur pratique contentieuse, en invoquent les dispositions, en diffusent les normes dans le corps social, en demandent et imposent le respect. Ce qui fait qu’une juridiction constitutionnelle fonctionne bien, c’est l’alchimie bienfaisante qui naît du brassage des spécialités, c’est le croisement des points de vue, c’est la diversité des trajectoires : le spécialiste de la Constitution, qui apporte sa connaissance théorique et sa capacité à conceptualiser les questions posées; l’homme de justice, qui en connaît les enjeux contentieux ; l’ex législateur, qui sait saisir les ressorts des compromis rédactionnels ; l’ « activiste » des droits de l’homme, qu’habite le souci de la bonne insertion des droits humains dans la réalité... Le débat constitutionnel est donc loin d’être une affaire de caste, toute « circonscription » de celui-ci est l’indice d’une pathologie, la pathologie de l’ineffectivité. Au demeurant, la question brûlante dans notre pays, celle de la candidature du Président – occurrence qui a donné lieu au « procès en spécialisation » - ne requérait certainement pas une compétence « constitutionnelle » extrêmement aigüe pour recevoir sa réponse.
Précisons tout de même un point. L’ouverture du débat constitutionnel a une exigence minimale : c’est que ceux qui s’y expriment, à commencer par les juges constitutionnels eux-mêmes, s’intéressent à la Constitution. Les habitudes de nomination, sous nos latitudes, omettent tellement cette condition minimale que l’on en arrive, parfois, à cette absurdité consistant à nommer des gens presque contre leur gré, parce que les choses constitutionnelles ne les intéressent pas (ce qui est bien sûr leur droit). Rien ne s’oppose à ce que l’on « entende » les personnes avant de les nommer. Ni simplification outrancière de son rôle, ni procès en spécialisation donc. Mais notre juridiction constitutionnelle a certainement un vrai défi à relever.
Un vrai défi
Ce que nous sommes en droit d’attendre en retour du Conseil constitutionnel, c’est qu’il soit une institution de son temps. Dans la trajectoire des juridictions, il se produit des moments décisifs, des périodes cathartiques, où la manière de rendre la justice change, non sous le poids de la pression d’acteurs, mais sous l’aiguillon d’un nouveau contexte social ou politique. Par excellence et par vocation pourrait-on dire, c’est le juge constitutionnel, d’entre tous, qui est préposé à ce travail pionnier.
Le Sénégal a bien changé depuis 1992, date à laquelle notre juridiction a été mise en place. Malheureusement on a le sentiment que l’instance arbitrale de notre démocratie n’a pas suivi ce mouvement, a eu tendance à concevoir sa mission de manière quelque peu statique et étriquée et, il faut bien le dire, finalement frustrante pour certains. Or, rien n’est plus nocif que ce sentiment de défiance. Le carcan des textes et la logique des compétences d’attribution ne justifient pas tout. Sur trois sujets de discussion qui ont eu lieu il y a quelque temps, le Conseil aurait pu délivrer son oracle sans nécessairement que les textes qui le régissent soient modifiés. Il en a été ainsi, aux premiers temps de l’application de la nouvelle Constitution,
 
lorsqu’il s’est agi de choisir la procédure par laquelle le changement constitutionnel devait avoir lieu. De même, lorsqu’il a été saisi sur les lois de révision de la Conseil, le Conseil aurait pu statuer, ne serait-ce que sur la procédure utilisée, sans être entravé par une certaine conception de ses compétences. Enfin, sur la candidature présidentielle elle-même, on peut trouver à redire sur un certain nombre de choses. On en citera seulement deux.
La première a été l’évitement du débat dans la première décision intervenue. Le Conseil a, bien entendu, parfaitement le droit de considérer qu’il n y a pas lieu à débat parce qu’il n’a pas été spécifiquement saisi sur ce point. Mais alors, les articles controversés n’avaient sans doute pas leur place dans la décision rendue. Les évoquer, c’est nécessairement devoir aborder le débat noué autour d’eux, à propos de la candidature du Président. Si le Conseil a, à ce stade, une conception notariale de sa fonction, s’il estime – et rien ne l’en empêche – qu’il doit se contenter d’enregistrer seulement des candidatures, c’est encore son droit. Mais il ne peut, à notre sens, esquiver le débat sur des points que, d’une certaine manière, lui-même soulève. Si le juge s’était abstenu de se référer à ces textes, on aurait brocardé son silence, mais sa position aurait eu sa rationalité. Tel n’a pas été le cas à notre sens.
La seconde décision pose un véritable problème dans la mesure où elle subordonne la normativité de la déclaration présidentielle de 2007 à sa mise en forme « législative », ou tout au moins écrite. L’interprétation du Président n’aurait de portée s’il avait revêtu la forme d’un acte juridique écrit, semble dire le Conseil. Ce serait une curieuse manière de voir, qui poserait elle-même un double problème. De désignation d’abord, car une interprétation individuelle transformée en norme perd son caractère « individuel ». Si ce qu’exige le Conseil était fait, nous ne serions plus en présence d’un acteur interprète, mais d’une « loi » interprétative. Ensuite, ce point de vue fait question parce que derrière lui, on croit deviner le préjugé, que rien ne justifie évidemment, qu’il n ya de droit qu’écrit et que, d’une certaine manière, « les paroles s’envolent ». Or, dans des systèmes juridiques encore plus formalistes que celui dans lequel on se trouve, une portée est donnée aux « paroles » d’un homme qui occupe des fonctions importantes. Dans les relations internationales par exemple, plus d’une fois, un Etat s’est vu engagé par une expression orale d’un de ses représentants. On ne voit pas au nom de quoi les paroles prononcées par une autorité seraient juridiquement inefficaces. Le Conseil peut, dans la quête du sens du texte, « reléguer » la déclaration présidentielle, lui préférer d’autres preuves ou indices, mais il ne peut pas, pensons-nous, lui dénier toute portée sous prétexte qu’elle ne serait pas en quelque sorte suffisamment solennelle. Oui, les acteurs de la Constitution en sont des interprètes ! Non, pour faire droit, un comportement ou une déclaration n’a pas besoin, sauf exception, d’être formulée par écrit ! L’interprétation présidentielle est une interprétation normative, on ne peut pas lui substituer une norme interprétative.


Alioune SALL
Pr Agrégé de droit public et science politique
Chef du Département de droit public à l’UCAD
Avocat
sallaliounes@yahoo.fr
31.01.2012


31/01/2012
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